Sur le chemin

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Déconcertée, Erhawe se retourna pour voir si la fameuse Landa était derrière elle. Mais non, c’était bien elle que le monsieur regardait avec amusement. Content, il sauta de son familier, un bison au pelage foncé et s'avança vers elle.

La jeune femme sourit nerveusement. De toute évidence, on l’avait prise pour une autre et elle n’avait aucun moyen de dissiper le malentendu : elle n’oubliait pas qu’elle n’avait pas le droit d’exister, surtout ici.

Perdue, elle chercha rapidement son oncle du regard… rien à faire, il s’était volatilisé.

Mais c’était trop tard pour réagir. L’homme était déjà devant elle et s’exclamait joyeusement :

— Ah ben ça alors ! Si je m’y attendais ! Un temps qu’on t’as pas vu ma jolie… Tu viens donc à Ger-Toqe avec nous ?

— Euh… bégaya-t-elle, ébahie.

— Mais si, viens donc avec nous ! Allez, pas la peine de faire la timide ! J’imagine que l’vieux Gordrux a fini par t’obliger à v’nir… ah, si c’est pas malheureux, ces gosses qui sortent jamais d’chez eux…

Elle hésitait encore sur la conduite à tenir, les joues rouges, se dandinant d’un pied sur l’autre.

— Bon, j’suis sûr qu’le Mexance s’ra ravi d’te voir ici, ricana-t-il en lui faisant un clin d’oeil grivois. Il en peut plus d’son vieux père…

Elle sourit. La situation était tout de même cocasse : elle, une jeune Exilée prise pour une véritable habitante par ce monsieur bedonnant, recouvert d’une multitude de couleurs vives.

Riant toujours, il lui fit signe de le suivre derrière son familier, qui cachait un jeune homme maigre aux airs timides. Il haussa les sourcils en voyant la jeune trouvaille de celui qui semblait être son père. De toute évidence, il était surpris, lui aussi.

— Mexance ! S’écria de nouveau l’homme en lui tapant dans le dos, le projetant fortement en avant. Mon fils, ton ennui est terminé, ta Landa a décidé d’nous r’joindre ici même !

Le garçon haussa les sourcils de nouveau. De toute évidence, il ne la reconnaissait pas, mais était trop poli pour répliquer. Et puis elle avait un air si perdu, si effrayé, qu’il préféra se taire. De toute façon, son vieux père ne cessait jamais de parler, et il ne pouvait en placer une.

La jeune femme se concentra et fit appel au pouvoir de son oncle. Elle le sentait proche sans pouvoir deviner précisément où il était caché. Elle ne savait pas communiquer télépathiquement, mais entendit enfin sa voix dans son esprit : “ Suis-les. Fais comme de rien. Ne les quitte pas. Pépa restera avec toi pour assurer ton alibi, et nous nous retrouverons au bout du chemin.”

Elle soupira. Elle n’avait visiblement pas le choix. Dans tous les cas, le papillon serait avec elle, c’était déjà assez perturbant ainsi…

D’ailleurs, il se posa sur son épaule, ses grandes ailes caressant doucement sa joue comme pour la rassurer, puis se présenta devant les deux hommes:

— Je suis Pépa, dit-elle, tout sourire. Et vous ?

Erhawe écarquilla les yeux. Elle n’avait pas vraiment besoin de se présenter, puisqu’ils étaient censés se connaître déjà… Par chance, ils rirent de bon coeur, l’un amusé, l’autre de plus en plus étonné.

— Mais… j’y pense, demanda le père avec un air soudainement sérieux, le familier de Landa n’était pas un cobra nommé Keiry ? Tu m’avais pas dit que c’était un papillon, fils…

— Oh, s’exclama le garçon, gêné. J’ai dû me tromper avec quelqu’un d’autre…

Il haussa les épaules et plongea ses yeux dans ceux de la voyageuse. Il avait de beaux yeux verts foncés et un air doux. Elle ne savait pas pourquoi il avait décidé de la couvrir ainsi, mais esquissa un pâle sourire pour le remercier. Il lui rendit son sourire, les yeux pétillants, amusé. Il la prenait sans doute pour une simple fille qui avait malencontreusement croisé le chemin de son père et qui avait décidé de jouer le jeu. S’il se doutait…

Après une longue logorrhée sur les bienfaits et les vertus de la marche en plein air ainsi que les progrès de la magie, il se frappa la main sur la tête en s’exclamant:

— Mais qu’j’suis bête ! C’est not’tour, allons-y !

Erhawe fronça les sourcils. Notre tour... de quoi ? Elle regarda autour d’elle : le paysage n’avait pas changé. Le chemin s’étendait sur des centaines de kilomètres au moins, et était complètement bloqué tant il comportait de monde. Non, elle ne voyait pas ce qu’ils allaient pouvoir faire !

Sauf… un détail lui fit plisser les yeux. A présent qu’elle était concentrée, elle remarquait que non, rien n’était immobile autour d’elle. Il suffisait à une personne de toucher son familier pour disparaître et laisser la place à quelqu’un d’autre. Selicien ne lui avait jamais parlé de quelque chose de tel…

Emerveillée, elle questionna du regard son nouveau compagnon de route, mais c’est Pépa qui lui expliqua en premier, en lui glissant à l’oreille ce que son oncle avait omis de préciser:

— Certains chemins sont spéciaux. C’est une terre magique et un itinéraire particulier qui amplifie les pouvoirs des familiers. Même si ce n’est pas le plus important, celui-ci fait partie de l’un d’eux… en bref, nous, familiers, pouvons vous faire voyager n’importe où, dans la mesure du possible.

— Mais, murmura la métamorphe assez doucement pour ne pas être entendue par d’autres, tu n’es pas mon familier…

— Ce n’est pas un problème. Je t’ai éduqué presque seule et nous nous connaissons depuis ta naissance. Nous avons un lien, ma chérie. Donc même si tu n’est pas Selicien, ce chemin me donne assez de puissance pour te téléporter au bout.

— Alors, vous êtes prêts les d’jeuns ? Allez, stop les les messes basses, ma p’tite. Agrippez vous tous à vos familiers et lâchez pas l’mien… s’agirait pas qu’on s’perde.

C’était la seule chose qu’elle désirait en cet instant, mais au moment où elle allait enlever sa main de l’épaisse fourrure du bison, celle de Mexance se plaça au dessus de la sienne, comme s’il avait deviné ce qu’elle allait faire et souhaitait l’en empêcher.

Déçue, elle grimaça et il se pencha vers elle pour lui chuchoter:

— On sait tous deux que tu n’es pas la jolie Landa et les étrangers sont rares ici. Alors, si tu ne m’en veux pas, je vais te garder avec nous…

Elle allait lui répondre mais sentit le monde tanguer autour d’elle avant qu’elle ne puisse dire quoi que ce soit. Elle se sentit transporter et ferma les yeux, apeurée. La main posée au dessus de la sienne se fit plus ferme et ce contact la rassura légèrement.

Elle avait l’impression de voler, mais, contrairement à d’habitude, elle ne contrôlait rien.

Et puis enfin, ses pieds se posèrent doucement sur le sol et elle retrouva sa position initiale. Elle reprit ses esprits puis ouvrit les yeux.

Le souffle soudainement coupé, elle réalisa complètement ce que l’Oncle lui avait soufflé, il y a quelques minutes à peine.

Plus de retour en arrière possible, désormais...

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