Le Marché

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La première chose qu’elle remarqua, ce fut… le bruit. C’était une cacophonie épouvantable, où chacun apostrophait son voisin. Ensuite, ce fut le monde. Elle n’en avait jamais vu autant regroupé autour d’elle. En quelques secondes, on l’avait poussé au moins trois fois et il était difficile d’avancer au milieu de toute cette cohue.

C’était un marché, mais encore plus bondé, coloré et impressionnant que ce que lui avait raconté Pépa, lorsqu’elle la bordait étant enfant.

Ce marché s’étendait à l’horizon, tant et si bien qu’elle n’en voyait pas la fin. La concurrence était donc de mise, et c’était celui qui criait le plus fort qui, généralement, trouvait acquéreur. L’on pouvait y trouver de tout: des statues, des plats cuisinés et à emporter, des verres magiques utiles à la distinction d’aura, des épices provenant de l’autre côté du Continent…

Il semblait difficile de ne pas dénicher l’objet recherché, que ce soit une soie rare ou un carnet banal.

Sans vraiment s’en rendre compte, elle serra la main de son voisin. Tout cela lui semblait tellement… étrange, lointain, et ses yeux brillants trahissaient son émerveillement.

Le jeune homme la regarda avec amusement :

— Ferme la bouche, tu baves.

Erhawe sursauta et enleva sa main. L’espace d’un instant, elle l’avait pris pour Zaël. Mais son ami n’était pas là, et le grand bonhomme à l’allure renfrognée se moquait d’elle. Elle rit, gênée, puis lui rétorqua en reprenant ses esprits :

— Baisses-toi un peu, tu me caches la vue.

Pris sur le court, il réprima un sourire et se tut. Ils ne se connaissaient pas, contrairement à ce qu’immaginait son paternel, mais ça ne le dérangeait pas, au contraire. Elle était loin d’avoir l’air dangereuse et ces week-ends à parcourir le célèbre marché de Ger-Toqe étaient si longs et fatigants qu’il préférait de loin la compagnie d’une inconnue.

Son père descendit du bison et commença à se frayer un chemin dans la foule. Se perdre volontairement ici effleura son esprit, mais elle sentait le regard de Mexance qui ne la lâchait pas, et Pépa semblait aussi perdue qu’elle, le trafic aérien étant lui aussi saturé par les milliers de familiers volants qui traversaient le ciel.

Selicien lui avait dit qu’il la retrouverait au bout, c’était un sorcier puissant, autant continuer à jouer le jeu. L’Oncle finirait bien par la retrouver... et puis elle avait vraiment envie de se promener, sentir ces effluves de parfum qui gravitaient autour d’elle, goûter à ces milliers de saveurs inconnues et négocier le prix d’un vieux grimoire usagé. Toutes ces choses inconnues auxquelles elle ne pouvait prétendre dans son vieux manoir oublié.

L’homme d’âge mûr marchait à bonne allure, et le garçon ralentit volontairement le pas, la forçant à faire de même. Dès qu’ils furent à bonne distance de son père, il se tourna franchement vers elle et lui posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres depuis qu’il l’avait vue pour la première fois :

— Qui es-tu ? Tu as les yeux et les cheveux des gens de chez nous, mais ton teint est aussi pâle que ceux du Nord, et on dirait que tu n’as aucune manière…

Pour avoir remarqué tout ça chez la jeune fille en si peu de temps, il devait avoir l’esprit fin. Assez fin pour en déduire sa véritable nature ? Pas encore, sans doute, mais il finirait bien par s’en rendre compte...

Esquivant la question, elle se focalisa sur les dernières paroles et ricana :

— J’ai du moins assez de manières pour te dire que ce n’est pas une question qui se pose…

Il haussa les épaules :

— Je te la poses, parce mon père t’as emmené avec nous, et j’aimerai connaître l’identité de ma nouvelle camarade… à moins qu’elle même ne sache pas d’où elle vient.

Pépa, qui suivait la conversation, lui glissa quelques mots à l’oreille pour l’aider et elle les répéta, soulagée :

— Je suis la fille d’une des guerrières de la Reine. J’ai l’autorisation de faire tout ce que je souhaites jusqu’à mes vingt ans, âge auquel je devrait m’engager. Les soldates parcourent le pays sans jamais s’arrêter, et mon père est un simple villageois. C’est pour cette raison que je ne suis pas typée…

Il esquissa une moue sceptique :

— Et ton prénom ?

— Mergharite. Je m’appelle Margharite, ajouta-t-elle en souriant. Enchantée de faire ta connaissance…

Comprenant qu’il n’en apprendrait pas plus, il lui rendit son sourire et lui serra la main :

— C’est un honneur, mademoiselle la future guerrière. Comme je suppose que vous venez ici pour la première fois, souhaitez vous une promenade tranquille dans ce temple de beauté et de félicité ?

Elle rit avec légèreté. Il n’y avait qu’avec Zaël qu’elle avait l’habitude des plaisanteries, mais cet humour différent l’amusait et elle lui répondit sur le même ton par l’affirmative.

Il la guida alors vers les étals les plus intéressants, que ce soit d’un point de vue artistique ou simplement gastronomique. Quelques pièces dorées à l’effigie de la Reine lui permit de faire quelques courses puis, avec l’argent restant, d’offrir à Erhawe d’authentiques verres à aura; un objet qui lui faisait de l’oeil depuis son arrivée. Ils permettaient à quiconque les enfilait de percer la véritable nature de l’autre et l’étendue de son pouvoir.

Efficace, mais pas souvent très utile.

Elle les cacha aussitôt dans sa poche, après les avoir brièvement essayés sur quelques gens de passage : elle préférait que Mexance n’ait pas l’idée de les essayer sur elle, sans quoi son mensonge pouvait tomber à l’eau.

Le père du jeune homme avait disparu de leur champs de vision depuis un moment déjà, mais il ne s’en inquiéta pas. Ils en avaient l’habitude et savaient où se retrouver en cas de besoin. Et puis, leurs familiers pouvaient communiquer entre eux pour se retrouver…

— D’ailleurs, s’exclama la jeune femme en salivant devant un plat particulièrement alléchant; il est où, ton familier ? Je ne l’ai pas vu, pas entendu. Tu n’en as pas même parlé…

Il rougit, soudainement embarrassé et chuchota à son oreille :

— Ric est un hérisson, mais c’est un froussard et il déteste la foule. Il est aussi très susceptible avec une ouĩe très aiguisée… il se cache dans ma poche.

Un hérisson froussard… elle lorgna sur cette fameuse poche, curieuse, puis changea de sujet, soudainement songeuse.

Son oncle aussi était allergique à la foule, et pourtant il avait promis de la retrouver. Elle passait un bon moment, mais ils étaient arrivés il y a un moment déjà, et n’avait il pas promis de la retrouver “au bout du chemin” ?

Elle s’inquiéta… la nuit n’allait pas tarder à tomber, Pépa affirmait ne pas sentir sa présence et la nuit était sur le point de tomber. Le marché se vidait progressivement et l’endroit devenait de plus en plus calme.

Mais où était-il donc passé ?

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