La Trêva

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— Et voilà le travail ! s’exclama la jeune fille, toute fière.

Elle venait de finir de coiffer sa mère. Ses cheveux étaient coupés de manière irrégulière, mais les coups de ciseaux avaient permis de dégager un peu son visage, le rendant un peu plus humain. Certes, on voyait mieux les cicatrices, mais il était impossible de les chasser, elles étaient trop profondes, ancrées depuis trop de temps déjà. Il fallait vivre avec.

À chaque fois qu’elle s’occupait d’eux, elle veillait à le faire manuellement. Et puis elle n’avait pas tant de choses à faire, et c’était pour elle un moyen de leur montrer son amour.

À leur façon, ses parents étaient tous deux dans leur monde, à mille lieues d’ici. Son père ne cessait de marcher, et il était difficile, voire presque impossible, de le faire s’asseoir. Quant à sa femme, elle était toujours assise sur le même fauteuil à bascule, effectuant les mêmes balancements.

Ils voyaient les choses sans les regarder. Le regard perdu au loin, le visage inexpressif. Le seul moment où Maleva esquissait un sourire, c’était à l’heure du coucher, quand sa fille déposait un baiser sur son front.

Un sourire bref, éphémère, mais un espoir potentiel pour Erhawe qui ne désirait qu’une seule chose: leur guérison.

Selicien s’impliquait moins. Il les avait connus jeunes, il les avait connus heureux, il les avait connus vaillants et fiers. Et maintenant…

Il continuait donc de partir en vadrouille, sans jamais donner de véritable raison, sauf à Pépa, qui gardait le secret.

Erhawe, aidée par le familier, passait son temps à s’occuper d’eux. Elle sentait chaque jour le fardeau peser un peu plus sur ses frêles épaules, mais elle n’abandonnait pas. Jamais.

Ils avaient vécu tant de choses terribles: leurs familiers torturés et tués sous leurs yeux, on les avait frappés, brûlés, on avait chuchoté à leur oreille des choses horribles…

Alors, un beau jour, ils avaient arrêté. Arrêté de se battre, arrêté d’espérer.

La partie était finie, et ils avaient perdu.

Ce n’est que des années plus tard que le Sorcier avait réussi à les faire s’échapper.

Mais il était arrivé trop tard...

Parfois, elle avait l’impression que la situation était trop difficile à supporter. Le visage collé à la fenêtre, elle attendait que la nuit tombe, et lorsque la lune était haut dans le ciel, elle se métamorphosait et partait retrouver son cher ami.

Ils passaient souvent des nuits entières à discuter, le dos dans l’herbe et la tête dans les étoiles, jusqu’à ce que ces dernières s’effacent et que le pas lourd du père se fasse entendre au loin.

Et aujourd’hui, voyant Oxen continuer de marcher nerveusement en pyjama et sa mère continuer de se balancer paisiblement, laissant le grincement de sa chaise remplir le silence, elle décida que ce soir ferait partie de ces occasions.

Fatiguée, la jeune fille les ramena dans leur chambre et rentra à son tour dans la sienne. Elle les avait fait manger quelques heures plus tôt et le soleil s’apprêtait à se coucher, lui aussi. Enfin, prévenant Pépa qui appliquait une crème apaisante sur ses antennes, elle fut prête à partir.

Les rayons lunaires se posèrent sur sa peau et son corps s’illumina. Puis ses membres se transformèrent, laissant l’animal remplacer l'humain.

Erhawe était devenue cygne, et, les ailes déployées, se dirigeait vers la masure de son ami. Petite, la distance à franchir était si longue, si éreintante qu’elle s’écroulait de fatigue une fois arrivée. Mais à présent, ce n’était plus qu’une bagatelle, ses ailes avaient grandi, son corps avait mûri et elle était beaucoup plus rapide que jadis.

En quelques longues minutes, elle était arrivée devant chez lui. Donna quelques coups de bec contre la fenêtre et reprit son apparence initiale, attendant qu’il lui ouvre.

Ce qu’il ne fit pas, car il était déjà derrière elle. Il l’avait vu traverser le ciel, flirtant avec les nuages était sorti l'attendre dehors.

— Zaël ! s’exclama-t-elle en se jetant dans ses bras, heureuse.

Une semaine venait de se dérouler sans qu’elle n’ait pu le rejoindre, et ils étaient tous deux heureux de se retrouver enfin.

Il la serra contre lui un bref instant, puis mit fin à leur étreinte.

— Tu reviens enfin ! lui reprocha-t-il. Je t’attendais, moi...

— Pardonne-moi, s’excusa la jeune fille en souriant. Mes parents, tu sais…

— Au moins, tu as deux parents, toi, répliqua-t-il, vexé.

C’était leur principal sujet de discussion… et de dispute. Elle préféra ne pas se lancer là dedans dès son arrivée et changea de sujet:

— Alors, qu’as-tu fait depuis la dernière fois ?

Il ne releva pas. Il s’était bien vite rendu compte qu’Erhawe était sa seule amie, et par conséquent très précieuse. Il n’avait aucune envie de perdre ça.

— J’ai écouté mon père. Tout à l’heure, je lui ai répondu. Regarde ce qu’il m’a fait..., lui dit-il en retroussant sa manche droite. Une blessure encore fraîche barrait la presque totalité de son bras.

— Ohhh… Ça te fait mal ?

Elle appuya légèrement sur son bras, lui arrachant une légère grimace.

— Bien sûr que ça me fait mal ! grommela Zaël en le retirant brusquement.

— Laisse-moi t’aider… murmura-t-elle en l’examinant. Il faut des feuilles d’Aruirtie, des pétales de Luilae et un peu d’eau, finit-elle par décréter. Allons chercher ça.

Il la regarda et esquissa un léger sourire contrit.

— Merci… désolé pour l’accueil. Mon père est tellement violent en ce moment, et sans toi, c’est difficile…

— Je ne t’en veux pas, ce n’est ni facile pour toi ni pour moi, elle serra brièvement sa main dans la sienne en signe de compassion

— Bon allons-y.

Ils se mirent en route pour sillonner tranquillement les bois à la recherche des ingrédients qui soulageraient la plaie du garçon.

La forêt était sombre, mais ils y étaient habitués. La seule chose qui pouvait paraître étrange, c’était les sons. Ils étaient comme assourdis, et seul un bruit déchirait le silence. Le bruit de pleurs.

Inquiets, il s’avancèrent et finirent par distinguer au loin un jeune chien, recroquevillé sur lui même. Faisant barrière à son ami, qui ne possédait pas ses capacités psychiques, elle plongea dans l’esprit de l’animal. Et ce qu’elle y vit la fit frémir d’horreur.

Ne pouvant soutenir ces images, elle sentit ses genoux se dérober et tomba en arrière, vite rattrapée par Zaël.

— Erhawe ! Erhawe, parle-moi ! Qu’as-tu vu ?

— Elle les déchire, murmura la jeune fille. Elle déchire les familles, dévore chaque particule magique qui les constitue. Elle est puissante, si puissante…

— Mais qui ?!

— La Reine… Aofeani…

Il ne comprenait pas tout, mais saisissait l’horreur de la situation.

Soudain, il la vit écarquiller les yeux, choquée, le regard fixé derrière lui.

Il se retourna.

Une Trêva, un grand spectre d’argent était debout juste à côté d’eux. C’était le fantôme d’une femme, une très grande et très belle femme.

— Qui êtes-vous ? murmura Erhawe.

— Vous m’avez appelée... Je suis là.

— Mais qui êtes-vous ? répéta-t-elle avec insistance.

— Aofeani… la véritable Aofeani... c’est moi.

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