Dix-neuf ans

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Elle avait à peine un jour quand elle a été contrainte à un exil forcé.

À quatre ans, elle avait eu sa première métamorphose.

À sept ans, elle avait fait la connaissance de Zaël… et de ses parents.

Et c’est à l’âge de treize ans que son chemin croisa celui de la Trêva, c’est à dire le fantôme d’Aofeani, la princesse défunte.

C’était une nuit. A travers l’esprit embrumé d’un familier mourant, elle avait été confrontée aux horreurs qui se déroulaient dans le pays. Des horreurs qui portaient un nom, celui d’une reine. Un nom volé, et porté par une personne qui n’en possédait pas.

Aofeani n’était qu’une princesse à l’heure de son décès. Et à l’heure où de grandes mains blanches et graciles, en tout point semblables aux siennes, avaient volé son dernier souffle, la princesse n’était plus.

Le pouvoir se concentrait désormais entre les mains d’une autre, celles d’une étrangère qui n’en était pas vraiment une, celle d’une femme plus sanguinaire, assoiffée de vengeance et de puissance.

Orchestrant dans l’ombre l’exécution du Roi, elle avait fini, à coup de promesses et d’enchantements, par convaincre le peuple et par coiffer sur sa tête le diadème royal.

Erhawe avait dix-neuf ans, désormais.

Depuis six ans, elle se préparait. La Trêva venait lui rendre visite, parfois. Elle lui parlait du Royaume, de son père, et de l’enfant qui grandissait encore dans son ventre le jour de sa mort. Mais il était extrêmement rare qu’elle n’aborde le vif du sujet, qu’elle ne mentionne cette reine, cette femme sans nom qui lui avait tout pris.

En secret, elle lui enseignait de nombreuses incantations et des maléfices puissants, une magie plus importante dont Selicien ne lui parlait jamais. Ce dernier avait fini par lui raconter le but de ses expéditions: il oeuvrait avec d’autres pour faire éclater la vérité, montrer au peuple innocent les horreurs qui l’entourait. Jeune, il fermait les yeux, mais après la torture et l’exil forcé, il avait décidé d’agir.

Aidé de Pépa, il avait découvert qu’Erhawe n’était pas seule. Partout à travers le monde, dans chaque territoire, on pouvait retrouver au moins un cas comme elle. Beaucoup en étaient morts, et d’autres étaient cachés, comme elle. Il leur avait parlé, pour ensuite monter sa propre résistance.

Il lui avait promis qu’il l’emmènerait, un jour. Qu’à partir de ses dix-neuf ans, les choses changeraient pour elle. Qu’elle allait enfin pouvoir jouer un rôle.

Erhawe lui avait parlé d’Aofeani. Il lui avait dit de se méfier: “Les fantômes sont des êtres étranges et torturés, ma chérie. Tout ce qu’ils souhaitent, c’est régler tout ce qui les retient sur terre, qu’importe le moyen. On ne peut pas leur faire confiance.”

Elle ne l’écoutait pas vraiment. Elle aussi voulait voir la Reine, l’Usurpatrice descendre de ce trône qui ne lui revenait pas.

Et aujourd’hui était le grand jour, ce jour béni où elle pourrait enfin quitter cette existence emplie d’ennui et de tristesse pour se concentrer sur autre chose. Ses parents seraient confiés à une amie de Selicien, la douce Mageia qui s’occuperait bien d’eux.

Elle avait promis à Zaël de le rejoindre le plus souvent possible. Il râlait à l’idée de ne plus la voir, et trouvait cette quête inutile. Mais avait fini par accepter, sans avoir vraiment le choix.

Un sourire aux lèvres, elle arrangea une dernière fois sa tenue et revérifia son sac. Son premier voyage, sa première véritable expédition… Bien entendu, elle irait bien plus lentement qu’à vol d’oiseaux, car il y aurait Selicien et Pépa. Mais d’une certaine façon, ça avait son charme…

— Alors, tu te sens prête ? lui demanda doucement le papillon en se posant sur son épaule.

La jeune femme sourit.

— Tout quitter ne va pas être facile, j’imagine… Mais je me sens plus prête que jamais.

Toutes deux regardèrent la grande chambre d’Erhawe, songeuses. C’était une chambre d’enfant, dans les tons bleus clairs, envahie d’objets de toutes sortes.

— D’accord, avoua-t-telle. J’ai la boule au ventre. Je ne suis jamais partie si loin… Je ne sais pas ce que mes parents vont faire, sans moi. Le père de Zaël est de plus en plus violent et l’oblige souvent à l’accompagner. Et il n’a aucun ami, sauf moi…

— Ne t’en fais pas. Ton ami est quelqu’un de fort. Il se battra.

— Je n’en suis pas si sûre, chuchota la jeune femme. Il est de plus en plus distant en ce moment. Des fois, j’ai comme l’impression que ce n’est plus la même personne.

— Le monde continuera à tourner, avec ou sans toi. Tu ne peux pas tout changer, tu ne peux pas abandonner ton rêve et cesser de te battre à cause de tes amis ou de tes parents…

Une larme roula sur sa joue. C’est vrai. Comme souvent, Pépa avait raison… mais il s’agissait tout de même de son monde, de sa vie, de ses habitudes. Abandonner son passé la plongeait dans une vague de nostalgie, mais elle savait que si ne bougeait pas, elle allait finir par devenir folle…

Consciente de la bataille qui se déroulait en elle, le familier prit son envol pour lui laisser un peu d’espace.

Erhawe ferma les yeux. Tout se mélangeait dans son esprit: Ses parents, Zaël, Selicien, la mystérieuse Trêva…

Sa vie prenait un autre tournant, et son rêve allait enfin se concrétiser. Que demander de mieux ?

Dans un sursaut de motivation, elle prit son sac, ouvrit la porte et sortit de chez elle sans se retourner, le sourire au lèvres et les yeux brillants.

L’aventure l’attendait au bout du chemin...

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