Pour la toute première fois...

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L’aube terminait de pointer son nez quand Erhawe se posa devant la maison. Sans la lune, c’était extrêmement difficile de voler, et elle avait mit ses dernières forces dans ce retour.

Cette nuit passée en compagnie de l’étrange Zaël lui avait fait du bien. Elle avait eu l’impression de trouver enfin un ami, une personne de son âge avec qui parler.

Et puis le temps était passé si vite… Pour elle qui ne connaissait que les heures à rallonge, c’était une sensation particulièrement étrange.

Elle lui avait raconté que ses parents étaient devenus fous après d’atroces souffrances. Que Selicien, grâce à ses amis, avait réussi à les faire partir d’un endroit où ils étaient prisonniers. “D’un endroit où chaque jour apportait son lot de torture quotidienne”, avait-il dit. Il parlait toujours si sérieusement, l’Oncle…

Le garçon lui, ne connaissait pas sa mère. Il savait simplement que la reine les haïssait et les avait enfermés, lui et son père, dans une partie de la forêt. Ce dernier passait ses nuits à couper du bois manuellement et le jour, il devait l’amener le plus proche possible de la ville, sans pouvoir franchir les murs magiques et invisibles qui l’emprisonnaient.

Et tout comme Erhawe, Zaël passait son temps seul, à attendre.

Avant de s’envoler, la veille au soir, elle était effrayée. Effrayée de ce qu’elle venait d’apprendre, d’avoir des parents qui ne l’aimaient plus et de devoir supporter ça tous les jours.

Mais maintenant, tout cela n’était plus que secondaire. Un coeur d’enfant se console vite, et sa rencontre nocturne lui avait changé les idées.

C’est donc avec le sourire qu’elle toqua à la porte de chez elle, s’attendant à quelques reproches bien sentis. Elle savait que l’Oncle n’était pas là, il avait dû partir tôt, bien avant l’aube, laissant Pépa attendre sa nièce. C’était une souffrance quotidienne pour le sorcier et son familier de subir chaque jour la séparation. Ils n’étaient pas fait pour ça, mais Erhawe était une priorité, et valait bien quelques sacrifices.

Le papillon était donc resté, et lui ouvrit la porte en faisant appel à sa magie, naturelle chez elle.

Plus son maître était loin, plus ses pouvoirs s'amenuisaient. Elle pouvait donc faire des petites choses comme ouvrir une porte ou recoller un petit objet cassé, mais, pour certains sorts importants, elle était obligée d’être en symbiose parfaite avec le Sorcier.

Et si un jour il mourrait, elle ne serait plus alors qu’un simple animal, tout en bas de la chaîne alimentaire. Mais en général, la douleur de cette ultime séparation était si forte que les familiers suivaient leur maître dans le trépas.

Ce qui, heureusement, n’était pas le cas. Et Pépa semblait bel et bien vivante… vivante et furieuse. Les sourcils froncés, les bras croisés, elle bloquait l’entrée de ses longues ailes déployées.

Erhawe sourit. Un grand sourire enfantin, dévoilant des dents blanches et désordonnées. Ses yeux pétillaient, et son air joyeux ne lui échappa pas.

Étonné, le papillon recula un peu. La petite avait l’air si triste et apeurée hier… qu’avait-il bien pu se passer depuis ?

— Euh… ça va ?

— Super ! J’ai un nouvel ami !, s’exclama l’enfant, heureuse. Il s’appelle Zaël et la reine ne l’aime pas, lui non plus. Il est gentil, il m’a laissé entrer chez lui. On a beaucoup discuté. Son papa coupe du bois toute la nuit et ne m’a pas vu. Zaël a dit qu’il garderait le secret. Et il m’a dit aussi que j’avais de la chance d’avoir deux parents vivants, parce que lui…

— STOP ! Tu as vu quelqu’un ? Tu as parlé à quelqu’un ? Tu ne t’es pas transformée devant lui au moins ? s’exclama-t-elle, soudainement inquiète.

— Si ! Parce qu’il ne me croyais pas. Mais il m’a dit qu’il ne dirait jamais rien à personne de moi, parce qu’il ne veut pas se faire gronder, son papa n’est pas très gentil tu sais...

— Bon… si tu le dis… lâcha Pépa en levant les yeux au ciel.

— Mais je n’aime pas quand tu t’en va comme ça, continua-t-elle. Je me suis encore inquiétée en ne te voyant pas revenir… C’est bien la première fois que tu disparais si longtemps…

Erhawe baissa les yeux, les épaules basses.

— Pardon. Je voulais pas te faire de peine.

— Bon… ce n’est pas grave… mais si tu y retournes, tu me le dis, d’accord ? Je viendrais avec toi pour savoir si on peut faire confiance à ce bonhomme. Et je ne dirai rien à ton oncle…

— C’est vrai ?

— Oui, rit le papillon en reprenant de la hauteur. Mais maintenant, va dormir un peu et te préparer. Ils arrivent bientôt.

Contente, elle fila dans sa chambre et s’allongea quelques heures, éreintée.

Ce fut une cacophonie de voix fortes provenant de l’extérieur qui la réveilla. Sans perdre de temps, elle sauta de son lit et enfila sa plus belle robe, coiffa rapidement ses longs cheveux puis se précipita à l’extérieur. Mais en voyant le groupe arriver au loin, elle fut prise d’un accès soudain de timidité et se cacha derrière un gros arbre, effrayée. Elle les vit tous marcher d’un pas pressé et entrer dans le domaine, sans être assez proche pour pouvoir les distinguer.

Puis elle se baissa, cueilli quelques fleurs et les suivit de loin, avant de franchir la porte, apeurée, son petit bouquet dans le dos.

En la voyant, les rires des hommes et les discussions enthousiastes s’éteignirent d’un coup.

“C’est elle”, chuchotaient ils. “Comment vont-ils réagir en la voyant ?”

Sur son passage, chacun reculait et un chemin se traça devant elle.

Tout au bout de la pièce, elle pouvait voir un homme faire les cent pas, l’air hagard. A côté, une femme était assise sur un fauteuil à bascule et se balançait rapidement, les yeux fous. Tous deux avaient le visage strié de cicatrices et n’avaient pas l’air de savoir où ils se trouvaient.

Erhawe avait un peu peur. Mais elle savait qui ils étaient, et ce qu’ils avaient vécu. Alors elle continua à avancer, lentement, sentant chaque regard posé sur elle.

Enfin, elle se stoppa à quelques mètre du couple, les joues rouges. La femme, sans cesser son balancement, posa ses yeux sur elle, tandis que son compagnon lui jetait de fréquent coups d’œil, comme s’il était incapable de la regarder vraiment.

Elle toussota.

Aucune réaction.

Alors, peignant son sourire le plus convaincant sur son visage, elle sortit ses mains de son dos et, agitée de légers tremblements nerveux, leur tendit son bouquet, témoignage silencieux d’un amour que rien ni personne ne pourrait jamais éteindre.

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