Episode 14

9 minutes de lecture

C’est l’heure, ma valise est prête. Je vais voir l’équipe soignante qui a prit soin de moi pendant si longtemps pour leur dire au revoir. Mes parents sont derrière moi. Ils ont rapporté des chocolats et une bouteille de champagne pour fêter ma sortie et remercier les équipes.

Je suis heureuse de sortir mais effrayé aussi. Je vais remettre les pieds dans la réalité. Je vais retourner chez moi. Pour de vrai. Je vais revoir la chambre de ma sœur. La mienne, retrouver mes affaires, un quotidien, une routine. C’est aussi rassurant que terrifiant.

Dans la voiture la tension est pesante. Ma mère essaye de détendre l’atmosphère en racontant tout ce qu’elle a préparé, tout ce que je vais pouvoir faire, sortir en ville, une séance shopping etc… mais je ne peux m’empêcher de penser que pour faire tout ça je n’ai jamais été seule jusqu’à présent.

D’habitude j’ai ma sœur avec moi. Je regarde la place à ma droite dans la voiture qui reste désespérément vide. Je sens les larmes monter et ma gorge se nouer. Ma mère tourne la tête pour me voir, elle ne dit plus rien jusqu’à ce qu’on arrive à la maison.

J’entre dans la maison tout doucement, je redécouvre mon chez moi. J’essaye de me le réapproprier. Je me dirige lentement vers ma chambre. Je passe devant la chambre d’Anna et marque une pause. Dois-je entrer ? Mes parents m’observent à l’autre bout du couloir, mon père a passé un bras autours des épaules de ma mère et ma mère a posé la tête sur son épaule. Ils me laissent faire, tout en m’assurant une présence protectrice.

Je continue finalement mon chemin. Jusqu’à ma porte. J’entre et retrouve ma bulle, intacte tel que je l’ai laissé un peu plus d’un mois plus tôt. Ma mère a fait la poussière, rien ne laisse suggérer qu’autant de temps s’est écoulé sans que je n’entre dans ma chambre. Enfin… si j’en crois les images qui me reviennent, je suis pourtant revenu ici, et plutôt deux fois qu’une !

Je m’assoie sur mon lit et observe mon univers soigneusement rangé dans cette pièce, je plonge dans mes souvenirs. Je m’y perds. Je me revois penchée sur mon bureau, passer des heures sur des cours dont je n’en ai plus aucun souvenir. Je me vois concentrée sur un dessin.

Quelqu’un frappe à la porte de ma chambre. Ma mère passe la tête dans l’entrebâillement.

- Tu veux venir manger ? J’ai préparé ton plat préféré. Me dit-elle avec un sourire qui se veut encourageant.

J’hoche la tête. C’est dur pour moi, mais je vois bien que c’est dur pour mes parents aussi. Ils ont vu leurs deux filles quitter la maison mais il n’y en a qu’une seule qui y est retournée. La seconde ne rentrera jamais au bercail.

Je dois être forte pour eux. Je dois être forte pour Anna. Je ne vis plus pour moi-même maintenant. Je vis pour ma sœur et moi. Nous sommes deux. Je vais porter les espoirs et les envies de ma sœur en plus des miens.

Je ne l’abandonnerai pas une nouvelle fois.

Je me lève, animée d’une nouvelle force. Il est temps d’aller faire honneur au plat de ma mère. Un gratin dauphinois !

Le lendemain est une journée tranquille, je passe du temps avec mes parents, cela leur fait autant de bien qu’à moi, mais je les prépare également à mon départ. Demain je rejoins Jun pas très loin de l’hôpital pour ensuite aller voir son manager à leur appartement. Lui de son côté doit lui annoncer la nouvelle et le préparer à ma venue.

Je ne suis pas particulièrement nerveuse à l’idée de le rencontrer, au contraire ! Je vais rencontrer les personnes proches de Jun, il m’en a parlé tellement de fois, de façon détournée bien sûr, je ne m’en rends compte que maintenant que je connais la vérité.

Tout est prêt, j’ai mon sac a main et un tiquet valable 24h pour voyager en transport en commun. Mon père est allé me l’acheter hier après que je les ai convaincus de me laisser y aller. J’ai convenu avec Jun d’une heure pour se retrouver et il est temps d’y aller. Sinon je serais en retard.

Je sors de ma chambre, je passe devant la porte de ma sœur. J’ai toujours l’impression qu’elle va s’ouvrir sur une Anna pleine de joie de vivre me proposant d’aller faire telle ou telle autre activité. Mes parents m’attendent dans le salon.

Je leur souris dans l’espoir de les rassurer et leur promet de rentrer à la maison. Je suis sincère. Mais nous l’étions aussi avec Anna la dernière fois que nous avons franchi le pas de la porte ensemble un mois plus tôt.

Je sors et me dirige vers l’arrêt de bus le plus proche de la maison. Avant d’aller voir Jun, je dois d’abord aller voir quelqu’un d’autre. Je monte dans le bus lorsqu’il s’arrête à ma hauteur. Le soleil me réchauffe à travers les vitres.

Je descends quatre arrêts plus loin. Je franchis les grilles du cimetière et m’oriente entre les tombes comme si j’avais déjà parcouru ce chemin des dizaines de fois. J’arrive devant une pierre tombale joliment fleuri. Ma mère à toujours eu le sens de la déco.

Anna y est écris en grosses lettres dorées. Je découvre, caché entre les fleurs une carte manuscrite. Je reconnaitrais cette écriture entre mille. Lily. Elle a écrit un mot pour Anna, et plusieurs de nos amies ont signé. En lisant son mot des larmes se mettent à couler sur mes joues. Je réalise que je ne suis pas la seule avec mes parents à souffrir de la disparition de ma jumelle. Toutes nos amies en souffrent et auront du mal à s’en remettre.

Je réalise également que depuis que je me suis réveillée je ne les ai pas vu à l’hôpital. Peut-être était-ce trop dur pour elles de venir me voir ? Trop tôt ? Chacun gère son deuil à sa façon, et voir la copie conforme de la personne qu’on a perdue n’est pas évident. Je ne veux pas leur en vouloir. Je vais leur laisser le temps. Ce soir j’enverrai un message à Lily.

Je ferme les yeux, et pense à ma sœur. Je lui adresse quelques mots en pensée. Je lui envoie tout l’amour que je ressens pour elle. J’en suis sûr, je le sens elle est avec moi constamment et pour toujours.

Je me redresse. Il est temps de partir, mais je reviendrais. Je retourne à l’arrêt de bus. Je viens d’arriver au point de rendez-vous. Jun est déjà là, il m’attend. Je suis heureuse de le voir. Il semble également content, mais contrairement à moi, il est nerveux.

Je lui demande comment s’est passé la discussion avec son manager. Il prend le temps de réfléchir avant de me répondre.

- Il n’était pas content du tout. Je dirais même furieux. Mais il n’a pas eu le choix, il devait accepter la situation. Je pense que je n’ai pas réussi à le convaincre, il doit penser que c’est moi qui te l’ai dit.

Je ne dis rien, j’hoche la tête. Je me sens moins sereine tout à coup. De toute façon il ne pourra rien m’arriver de pire que ce que j’ai déjà vécu. Jun me regarde plus attentivement, il vient de remarquer le sac que j’ai avec moi.

- Qu’est-ce que c’est ? C’est lourd ? Donne je vais le porter. Dit-il en tendant la main.

Je le regarde surprise, par réflexe l’un de mes sourcils se soulève. Il s’arrête dans son mouvement et affiche un air gêné. Je n’ai pas l’habitude qu’on veuille porter mes affaires sous prétexte que c’est peut-être lourd et que je suis une fille. Je lui explique donc qu’en France, ce n’est pas courant. Il comprend et veut s’excuser mais je refuse, je le rassure en lui disant que ce n’est pas grave. La gêne se dissipe et nous marchons tranquillement en silence vers notre prochain transport, le métro.

Nous sommes devant la porte de son appartement et je sens une boule me retourner le ventre. Moi qui n’étais pas stressée avant… c’est du passé, je n’ai qu’une envie, rentrer chez moi. Je regarde Jun, il comprend à mon expression que je ne suis pas rassurée.

- Ça va aller.

- Oui…

Il ouvre la porte et nous entrons. Je n’ai pas le temps de dire ouf que deux personnes se précipitent !

- Mélanie ! Te voilà enfin ! S’écrit Jim Do.

Hae Kuk et Jim Do m’accueillent chaleureusement. Je retire mes chaussures avant de m’avancer davantage dans la pièce. Je salue les garçons, et repère le manager. Un homme légèrement plus âgé avec une expression sévère sur le visage.

Avant que je ne puisse aller le voir deux autres garçons viennent me voir. Hak Bong et Kwon Hyun. Après m’être présentée à eux même si je doute que ça soit absolument nécessaire puisque Jim Do venait de crier mon prénom et qu’ils savaient tous que j’étais la correspondante de Jun, je me dirige vers le manager.

J’essaye de faire bonne impression en le saluant poliment dans sa langue, puis en français. Je constate qu’une de ses commissures s’est relevé en un début de sourire. C’est très léger mais ça me donne de l’espoir, peut-être que ce ne sera pas si terrible finalement ? Je me souviens soudain que j’ai amené quelque chose.

- Ah ! Oui ! Je vous ai amené ça. C’est mon plat préféré, j’ai pensé que vous aimeriez peut-être gouter un plat typiquement français. C’est ma mère qui l’a cuisiné. Dis-je en montrant mon sac, non sans une pointe de fierté.

Personne ne bouge, alors Jun vient prendre le sac que je tends et en sors le plat.

- Oh un gratin dauphinois !

- Vous connaissez ?

- Oui c’est le premier repas qu’on a mangé en arrivant en France !

Je suis légèrement déçu, moi qui pensais leur faire découvrir quelque chose, c’est raté. Mais en voyant leur regard plein d’étoiles je me rassure. Ils ont peut-être gouté le gratin dauphinois, mais ils n’ont pas mangé celui de ma mère ! A force de le cuisiner pour ma sœur et moi elle est devenue une sorte d’experte !

- Mademoiselle Mélanie ?

Mon sourire se fane légèrement. C’est le manager qui m’appelle.

- Oui ?

- Merci pour ce plat. Nous nous ferons un plaisir de le manger. Vous remercierez votre mère également.

- Bien sûr…

- Mais maintenant si ça ne vous ennuie pas, j’aimerai que l’on discute d’un autre sujet.

- Oui, bien sûr, je comprends…

- Asseyez-vous. Me dit-il en me désignant une chaise à table.

Je m’y installe et les garçons s’assoient également. Jun est à ma droite, Hae Kuk à ma gauche et Jim Do à coté de Jun. Le manager est en face de moi, entouré par Hak Bong et Kwon Hyun. Je me sens entourée, moins seule, plus forte. Jun est là.

- Mademoiselle Mélanie, Jun-i m’a raconté que vous étiez au courant de son travail, il m’a dit que vous aviez deviné. Soit. Connaissez-vous les conséquences que cela peut avoir si vous en parlez à qui que ce soit ? En avez-vous la moindre idée ?

- J’en ai au moins une petite idée oui.

- Ah oui ? Vraiment ? Ils ont travaillé des années et des années, très dur, ils ont fait énormément de sacrifices pour en arriver là où ils en sont, pour atteindre leur rêve. Et le simple fait que vous vous ventiez auprès de vos amies ou sur internet de connaitre une star de kpop pourrait mettre tout ce travail en danger ! Etes-vous vraiment consciente d’être devenue une bombe vivante pour leur carrière ? Dit-il son ton devenant de plus en plus menaçant au fur et à mesure qu’il parle.

- Manager-nim ! Intervint Jun. Il n’est visiblement pas content.

- Ce n’est rien Jun, je comprends ce qu’il veut dire. Il agit comme ça parce qu’il veut vous protéger. Je ne peux pas lui en vouloir, après tout s’il vous perd, il perd tout aussi.

Le manager me regarde avec davantage d’attention maintenant. Visiblement il ne s’attendait pas à ce que je réagisse ainsi. Peut-être pensait-il m’intimider suffisamment pour que je me recroqueville. Raté. Je ne suis pas fait de se bois là. Il va voir ce que c’est une française avec un fort caractère.

Annotations

Vous aimez lire Romane A.L ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0