Epuisement 2

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Talixan avançait plus vite que jamais. Son écheveau blanc balançait de droite et de gauche, au rythme de ses coups d'oeil rapides, alors même que son buste restait bien en ligne, aussi discret que possible. Il menait Zephyr, qui suivait avec difficulté, d'une haie à une autre, d'un muret à un haut tas d'herbes coupées. Ils trottèrent ainsi, pliés en deux comme des voleurs, et traversèrent toute une propriété sans voir âme qui vive. Quelques bruits au loin les avertirent tout de même de la présence d'ouvriers qui s'en allaient aux champs. Ils redoublèrent alors de vigilence. Leurs pauses s'allongèrent. Le regard de pie du vieux chasseur semblait s'attacher à percer toutes les ombres, à décrypter le moindre mouvement de feuillage. Durant ces pauses, Zephyr faisait tourner le vent, de façon à ce qu'il leur apporte les sons de chaque coin de l'horizon tour à tour. Talixan avait compris son manège et n'en perdait pas une miette - sa bourrasque blanche se figeait soudainement, et son regard perçant laissait place à l'ouïe.

Ils parvinrent ainsi, au bout d'un réseau de canaux, à un grand carré d'arbres aux troncs effilés, ponctué de ronces et de plantes grimpantes. Ils s'y enfoncèrent et Talixan, après avoir fait signe à Zephyr de ne plus bouger, enlaça le plus grand tronc et entama son assension. Il fila comme une flèche vers le sommet. Mais il ne s'arrêta pas là, et continua son parcours discret d'arbre en arbre : il en profitait pour faire un tour d'horizon complet.

Il réapparut aussi vite qu'il avait disparu, s'aidant des racines des plantes aériennes pour descendre à la seule force des poignets.

Il n'était même pas essouflé lorsqu'il murmura à son jeune compagnon :

- Des champs et des canaux, à perte de vue. Mais je sais où nous sommes : il y a au nord-est un village que je connais, reconnaissable à la butte sur laquelle il repose. Nous poursuivrons directement vers le Nord, en l'évitant. Il y a quelques baies dans ces arbres, que je vais cueillir, et tu me donneras ta gourde, que je la remplisse dans le premier canal d'eau claire que nous croiserons. Tu éviteras de t'approcher des canaux tant que je ne te ferai pas un signe explicite. Nous nous contenterons de ça... Si tu peux tenir ?

Zephyr confirma qu'il tiendrait le coup, alors même que son estomac grondait méchamment.

Dans l'ensemble, ils progressèrent beaucoup plus rapidement qu'ils ne s'y étaient attendus. Ils parcouraient de longues distances sans rencontrer personne. Ils arrivaient ensuite à des champs où de nombreux baribes, et divers autres individus de taille plus raisonnable, s'attaquaient aux épis encore sur pieds. Ils les contournaient alors en prenant mille précautions, sachant que d'autres ouvriers agricoles pouvaient surgir à tout moment d'un sentier ou d'un cabannon. Puis ils retrouvaient le calme de la nature, et cheminaient de champ en champ sous le pépiement des oiseaux, alors que le soleil tournait dans le ciel. A plusieurs reprises, pris dans un écheveau inextricable de canaux, ils durent entrer dans l'eau. Talixan, devant, muni d'un batton, inspectait les herbes et progressait à pas comptés. Au milieu du canal, ils avaient de l'eau jusqu'à la taille, mais rejoignaient vite la berge opposée et s'y hissaient dès que Talixan la jugeait sûre.

Le soleil et la fraîcheur des canaux aidèrent Zephyr à mobiliser suffisamment ses forces pour suivre Talixan jusqu'à la nuit. La distance qu'ils avaient parcourus lui semblait fantastique, mais il était une fois de plus épuisé.

Sous la lune verte, cachés dans un bosquet, ils dinèrent de quelques feuilles de salades et de fruits ramassés en chemin. Talixan s'interdisait de faire un feu, chasser aurait donc été inutile.

La lune rose jetait encore sa clarté sur le monde lorsque le chasseur réveilla son compagnon. Sa logique était sans faille : il valait mieux avancer avant que les ouvriers ne commencent leur journée aux champs, et faire une sieste le midi dans un coin tranquille, lorsque la chaleur était à son maximum. Les yeux ensommeillés, Zephyr rassembla ses esprits et ses maigres affaires et, le sac sur le dos, mis ses pas dans ceux de son mentor. Ils cheminaient doucement dans la semi-obscurité, évitant branches basses et ronciers. Talixan s'arrêta net. Par-dessus son épaule, Zephyr discerna lui aussi une forme humaine allongée au pied d'un arbre.

Le chasseur se saisit de son arc, et comme aucun bruit ou mouvement ne troublait la scène, se risqua à avancer vers la personne allongée là. En arrivant au-dessus du corps, ils échangèrent un regard incrédule. Kanoo. Elle gisait là, à quelques pas de leur abri nocturne.

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