Chapitre 69

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— Pourquoi tu voulais me voir ? lança Alec.

Jordan se mit à sourire doucement, il s’avança d’un petit pas vers lui. Le côté de son visage était éclairé par la lumière provenant de la gare. Le coin de ses lèvres était toujours étiré... ça ne lui avait pas manqué de revoir Jordan.

— Je t’ai vu avec Marion, aujourd’hui.

Alec tenta de rester impassible, cachant son anxiété grandissante.

— Et alors ? C’est ma pote, on n'a plus le droit de discuter ensemble ?

Il s’étonna lui-même d’avoir eu autant d’assurance face à Jordan. Il n’oubliait cependant pas la menace qui restait toujours au-dessus de lui. S’il y avait bien un mec qui était capable de foutre en l’air sa tranquillité au lycée, c’était bien celui qui se tenait en face de lui.

— Pourquoi vous avez besoin de vous cacher quand vous parlez ?

Alec serra les dents, il avait l’impression que Jordan était en train de jouer avec lui. Mais il essaya de rester calme.

— Elle m’a dit que tu voulais pas qu’on se parle.

— Ah bon ? J’ai dit ça, moi ?

En disant ça, son front se plissa et ses sourcils se haussèrent, comme s’il était surpris d’entendre ces mots. Bien évidemment, il faisait semblant, et ça avait l’air de l’amuser.

— Je sais pas, mais en tout cas, c'est ce que tu lui as fait comprendre. Arrête de jouer sur les mots.

— J’ai l’impression que ses amis me valident pas.

Et il se mit à fixer Alec avec insistance.

— C’est marrant, j’ai la même impression.

Jordan parut visiblement surpris par sa répartie. Et là, ce n’était pas du cinéma. Alec se sentait courageux, ce soir-là ; il était porté par une force venue de nulle part, qui lui donnait du courage. Beaucoup de courage.

Il avait l’impression d’être métamorphosé, le temps d’un soir.

— Et t’aurais une explication à tout ça ?

— Nan, mais j’pense que t’en auras une, toi.

Jordan retrouva son petit sourire en coin. Il avait l’air d’apprécier qu’Alec rentre dans son petit jeu.

Et Alec, lui, sentait sa confiance grandir.

Il était prêt à l’affronter, cette fois-ci.

— Tu m’expliques pourquoi Marion fait un régime ? demanda-t-il.

— Peut-être parce qu’elle a envie de me plaire ?

— Et tu l’as forcée à le faire, je suppose.

— Je l’ai forcée à rien du tout, c’est elle qui prend ses décisions elle-même, je la laisse libre de faire ce qu’elle veut !

Jordan ne cachait pas sa fierté et son mépris, mais Alec avait bien compris qu’il jouait sur les mots. Il suffisait juste d’être plus malin que lui.

— Tu lui as déjà dit qu’elle était grosse, et j’étais là. Alors ça ne m’étonnerait pas que tu lui aies répété. Tu sais bien qu’elle complexe sur son poids, et tu te sers de ses sentiments pour la manipuler.

Jordan parut indigné, il leva les bras en l’air et ouvrit de grands yeux.

— « Manipuler », tout de suite les grands mots ! Et j’te signale qu’elle se sent mieux dans sa peau, maintenant.

— Qu’est-ce que t’en sais ?!

— Elle te l’a dit, nan ?

Alec fut paralysé. Comment Jordan pouvait-il savoir ce qu’elle lui avait dit ? Est-ce qu’il était en train de bluffer ?

Nan… Ce n’était pas possible, son regard montrait qu’il était beaucoup trop sûr de lui, alors comment avait-il pu deviner ? Il n’avait quand même pas pu les espionner, Alec avait scruté partout autour de lui avant de parler à Marion.

À moins que…

— T’es pas sérieux…

— Quoi ? lâcha Jordan avec dédain.

Alec lui jeta un regard noir.

— Tu l’as forcée… à te raconter ?

— Je l’ai pas « forcée », comme tu dis. Je la force à rien, elle a voulu me parler de votre petite discussion, et elle m’a tout raconté ! En tant que couple, on ne se cache rien et on se dit tout !

« On se cache rien, mon cul ! » pensa alors Alec. « Si ce con apprenait qu’elle l’avait déjà trompé avec Matt, il rigolerait moins. »

— Mais bon, reprit Jordan. J’crois que j’peux pas encore lui faire confiance, puisqu’elle va déjà voir ailleurs, cette salope.

Alec se mordit la lèvre inférieure. Son front était en sueur, il avait de plus en plus de mal à garder son calme. Il respirait fort, sa poitrine se soulevait à chaque inspiration, puis retombait lourdement… Ses poings se serrèrent, il avait envie de lui refaire le visage, mais il savait que ce n’était pas la solution, que c’était exactement ce que Jordan cherchait à faire.

— Et pourquoi vous vous cachez ?

— Parce qu’entre nous deux, ça sera bientôt fini.

— Et pourquoi ça ?

— Parce qu’on s’aime déjà plus…

Il avait presque l’air triste. Alec ne savait pas s’il s’agissait encore de sa comédie, ou bien si de vrais sentiments s’étaient échappés. Il devait sans doute y avoir un peu des deux.

— Une fois que tu l’auras baisée, tu vas la laisser tomber, c’est ça ?

— C’est pas elle que j’veux baiser, dit-il d’un ton grave.

Et là, il planta fermement son regard dans celui d’Alec.

Il mit quelques secondes avant de comprendre le sens de sa phrase.

Il resta figé sur place, il ne savait pas quoi faire, ni répondre. Il espérait avoir mal compris, il priait pour que ça soit une blague, pour que le visage de Jordan s’illumine dans quelques secondes et qu’il se foute de sa gueule. Mais non, son sourire en coin avait disparu, son visage était tout proche de lui, et son souffle venait s’écraser sur le nez d’Alec…

Le regard de Jordan devenait de plus en plus insistant, Alec ne se sentait pas en sécurité, les battements de son coeur étaient rapides, son front était humidifié par la sueur et tout son corps tremblait. Il fit un pas en arrière, mais Jordan fit un pas en avant pour se rapprocher de lui. Ses pupilles s’étaient dilatées, il ne disait plus rien, ses doigts tremblaient légèrement.

« J’vais y aller… » murmura Alec, du bout des lèvres.

Les poings de Jordan se resserrèrent. Tout son corps tressaillit.

— D’accord.

Alors Alec se retourna, ses baguettes sous le bras. Et il marcha aussi vite qu’il le pouvait, sans oser se retourner vers lui.

Puis il rentra chez lui, et claqua la porte derrière lui. Il jeta les baguettes sur le plan de travail de sa cuisine et partit se réfugier dans sa chambre. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il trouva le courage de regarder la rue, à travers sa fenêtre. Mais après une longue minute à scruter attentivement les moindres recoins, il dut conclure tout était vide et silencieux.

Jordan n’était plus là.

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