Chapitre 70

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La lumière provenant de son portable brûlait les yeux d’Alec. Il était allongé sur son lit, plongé dans l’obscurité, avec comme seule source de lumière cet écran presque collé à son visage. Il relisait sa conversation par messages, en se demandant comment il avait bien pu en arriver là…


Message reçu à : 17h12

Jordan : « Salut »

Alec : « Oui ? »

Jordan : « Tu vas bien ? »

Alec : « Euh oui mais pourquoi tu viens me parler ? »

Jordan : « Moi aussi je vais bien, merci »

Jordan : « Elle va bien Marion ? »

Alec : « J’en sais rien, je pense que oui »

Alec : « Pourquoi tu me demandes ? »

Jordan : « Comme ça, pour savoir »

Alec : « Mais c’est ta meuf, tu devrais savoir »

Jordan : « Je l’ai pas vue ce week-end »

Jordan : « On devait se voir samedi mais elle m’a dit qu’elle était malade »

Jordan : « Elle était avec toi ? »

Alec : « Nan »

Jordan : « Elle était avec qui, alors ? »

Alec : « Bah j’en sais rien moi, demande-lui »

Alec : « ? »

Alec : « T’es là ? »


Message reçu à : 17h58

Jordan : « Il faut qu’on se voie »

Alec : « Pourquoi ? »

Jordan : « Ce soir 19h45 devant la gare RER »

Alec : « Tu sais même pas où j’habite »

Jordan : « C’est dans l’annuaire »

Alec : « Et je dis quoi à mes parents ? »

Alec : « Jamais ils me laisseront sortir à cette heure-ci »

Jordan : « Dis-leur que tu vas à la boulange »

Alec : « Mais tu veux faire quoi ? »

Alec : « ? »

Alec : « Eh oh ? »

Alec : « … »


Message reçu à : 19h33

Jordan : « J’suis là »

Jordan : « T’as intérêt à être là dans 10 minutes »


***


La conversation s’arrêtait là. Il éteignit son portable et le posa sur son bureau. Il était à présent allongé sur le dos, les mains posées sur son ventre, plongé dans le noir.

Il savait qu’il n’arriverait pas à dormir, sa tête était bourrée de questions.


Le garçon était encore sous le choc après les derniers mots de Jordan. Il ne savait pas quoi en penser… C’était juste impossible, Jordan n’était pas comme ça, il n’était pas capable de faire toutes choses, il ne pouvait pas avoir le moindre sentiment pour Alec…

Il y devait forcément y avoir autre chose.



Alec était à peu près persuadé que Jordan jouait avec lui et qu’il tentait de le manipuler, mais il ne savait pas pourquoi il faisait ça.

Peut-être que ça faisait partie de son petit jeu, que ça l’amusait de manipuler les gens, de semer le doute dans leur esprit et de leur faire croire des choses…

En tout cas, il ne devait pas se laisser avoir par tout ça. Il décida de laisser de côté ce qui s’était passé et d’essayer d’oublier ce moment bizarre. C’était la meilleure chose à faire, selon lui.


Et il garderait tout ça pour lui, personne n’en saurait rien. Même pas Ruben.

Il valait mieux que ça reste entre eux, il ne laisserait pas Jordan foutre la merde dans sa vie…


***


Alec avait quand même réussi à dormir quelques heures, mais pas assez pour être en forme. Le réveil sonna beaucoup trop tôt à son goût, et il eut du mal à se lever.

Il se traîna jusqu’à la salle de bains et se déshabilla en vitesse. Ses paupières étaient encore lourdes et il était presque plié en deux, comme un vieux papy. L’eau brûlante qui coulait sur sa peau lui faisait du bien, mais il devait faire attention à l’heure. Alors il tourna le mitigeur d’un grand geste pour que l’eau soit gelée et qu’il soit forcé sortir rapidement.

Puis il sortit de la cabine de douche, s’habilla rapidement et partit aussitôt, sans prendre la peine de dire bonjour à ses parents, qui n’en avaient probablement rien à foutre.

Il réussit à choper son train in extremis après une petite accélération vers la fin. Il avait mal à la tête à cause de sa nuit trop courte, il sentait que ça allait être une journée de merde…


***


— Alec ! Vous êtes avec nous ?

Il releva brusquement la tête, et bafouilla un « oui désolé ». Ses yeux s’étaient fermés quelques secondes sous le coup de la fatigue, et le prof de français s’était presque jeté sur cette occasion de le reprendre.


Il entendit Matthieu souffler du nez à côté de lui, sans doute en train de se foutre de sa gueule.

— Quoi ? lança Alec froidement.

— Wow, du calme ! J’t’ai rien fait.

— J’suis un peu fatigué, pardon…

— C’est l’moins qu’on puisse dire, t’as l’air complètement sur les nerfs, il t’arrive quoi ?


Alec fut tenté de lui dire, mais il s’était juré de garder ce problème pour lui. Ça ne concernait que lui et Jordan, personne d’autre ne devait être impliqué dans cette affaire, et il était assez grand pour se démerder tout seul. Alors il décida de dire seulement ce que Matthieu avait besoin de savoir.

— Jordan est un connard, fais gaffe à lui. Il fait du mal à Marion.

— Ça, je le savais déjà. Pourquoi t’as mis autant de temps avant de parler ?

— J’ai tourné ma langue dans ma bouche sept fois, tu m’as toujours dit de le faire.


Matt se mit à sourire doucement.

— C’est nouveau, t’écoutes mes conseils, maintenant ?

— Tout c’que tu dis n’est pas forcément d’la merde.

— T’es à la fois marrant et désagréable aujourd’hui.

— J’suis comme ça quand j’ai mal dormi.

— J’dirais plutôt que c’est parce que t’es contrarié…


Matthieu fit alors la moue en avançant sa lèvre inférieur, et il se mit à pousser une sorte de gémissement en plissant les yeux, histoire de montrer qu’il était en pleine réflexion. Puis son visage s’éclaira d’un coup, Alec crut presque voir la petite ampoule des dessins animés s’allumer au-dessus de la tête de son pote.

— J’parie que t’as parlé à Jordan ! lança Matt.

Alec sentit alors ses joues chauffer. Ce mec était vraiment insupportable à pouvoir lire dans ses pensées ! Il ne put s’empêcher de soupirer, ce qui donna raison à Matthieu.

— Écoute, j’ai pas vraiment envie d’en parler… Demain, quand j’aurais enfin eu une nuit complète, je te raconterais tout. Ok ?

— Ça me va ! répondit-il avec un grand sourire.


Le reste de la journée passa assez vite, Alec réussit à rester éveillé pendant les cours, et il trouva même la force de participer après la pause-déjeuner, le ventre bien rempli.

Malgré tout, il était exténué et n’avait qu’une envie : rentrer chez lui. Alors ce fut un grand soulagement pour lui lorsque la dernière sonnerie de la journée retentit, synonyme de libération pour lui. Il fit son sac en vitesse et fila à toute vitesse vers la sortie du lycée.

Les rues étaient encore presque vides, il avait réussi à devancer le flots d’élèves sortant tous à la même heure. Il ne fut donc pas gêné et put marcher rapidement jusqu’à la station de métro.

Mais lorsqu’il tourna pour traverser une petite ruelle assez calme il tomba nez-à-nez avec…

— Ruben ?

Celui-ci fronça les sourcils.

— T’as l’air surpris d’me voir.

— Ah oui merde, j’suis con, j’avais complètement oublié qu’tu devais venir.


Ruben le dévisagea, et ça n’était pas bon signe.

Sa mine se renfrogna, il resta en silence quelques secondes, observant attentivement le visage d’Alec en plissant les yeux, avec un air suspicieux…

— Qu’est-ce qui t’arrive ? lança-t-il alors.

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