Chapitre 44

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Alec niait les faits, mais Jordan n'écoutait rien. La haine et la colère déformaient son visage. Il leva son bras, son poing se serra encore, et les veines ressortaient au niveau de ses poignets, bleues comme la peur d'Alec à ce moment-là. Celui-ci les yeux, comme si ça allait le protéger, mit ses mains devant son visage et se mit à reculer en grimaçant.

Il était prêt à encaisser, il avait l'habitude.

Sauf que…

Rien ne se passa.

Quelques secondes s'écoulèrent, et il était toujours intact. Il ouvrit alors les yeux et baissa la garde.

Jordan était face à lui, il n’avait plus du tout la même expression... Il était redevenu le Jordan que tout le monde connaissait, avec cette assurance et ce calme de façade ; et surtout ce petit sourire en coin qui ne le quittait presque jamais.

Et il sembla à Alec que ce sourire était légèrement plus étiré que d’habitude.

Il était complètement paumé. Ses yeux grands ouverts, il ne comprenait rien du tout.

— Qu… Quoi ? lança-t-il.

— C’est bon, j’te laisse tranquille.

Alec était encore sous le choc, son cerveau était en ébullition, il n'arrivait pas à enregistrer ce flot d'informations, il ne pouvait plus réfléchir.

— Mais… T’es plus énervé ?

— Nan, c’est une technique que j’ai apprise pour savoir si quelqu’un m’a trahi : je fais genre que je l’ai cramé, et comme ça je peux vérifier qu’il n’a rien cafté. Il suffit de l’impressionner.

Jordan avait l’air fier de lui, et les joues d’Alec virèrent au rouge.

— Tu m’as pas du tout impressionné, hein.

— Ah bon ?

Jordan était clairement en train de se foutre de sa gueule, mais il ne pouvait rien faire. Il avait raison : il l’avait impressionné, voire même un peu plus que ça. Mais sa fierté personelle l'empêchait de l'avouer.

Le rugbyman perdit rapidement son sourire et redevint très sérieux.

— J’continue à t’surveiller. Si t’as envie de balancer, j’le saurais tôt ou tard. Compris ?

— Compris…

Il lui mit une petite tape derrière la tête, Alec ne savait pas trop si ce geste était plutôt amical ou méchant, mais il ne dit rien.

Jordan commença à s’en aller, mais il s’arrêta au bout de trois pas. Il sembla réfléchir quelques secondes, puis se retourna à nouveau vers Alec.

— Tu diras à ta pote que… je m’excuse.

— Comment ça ?

— Marion. Tu lui diras que je suis désolé de l’avoir insultée.

Alec fronça les sourcils, il restait tout de même sur ses gardes. Il reprenait peu à peu ses esprits et réussit à regagner de l'assurance.

— C’est bien, tu te souviens de son prénom. Mais pourquoi tu vas pas la voir toi-même ?

Jordan se mit à souffler du nez, comme si Alec venait de dire une connerie.

— C’est c’que j’ai fait.

— D’accord, très bien.

Il savait que Jordan s'attendait à ce qu'il lui pose plus de questions, mais il ne tomberait pas dans son piège. Il avait compris qu'il essayait de le rendre jaloux, de l'effrayer ou de susciter son admiration. Il cherchait sûrement à le manipuler ou à le rendre dingue.

Et moins Alec passerait de temps en sa compagnie, mieux il se porterait.

Alors il se redressa et s’en alla, tout simplement. Il passa à côté de Jordan, qui restait immobile, sans réagir. Il n’osa pas le regarder, mais il était sûr que sur ce visage se trouvait toujours ce sourire si mystérieux, qui cachait plein de choses, beaucoup plus que du simple mépris.

Il savait que ce sourire était la serrure qui protégeait ses secrets, le masque qui lui permettait de garder la tête haute et de duper tout le monde, de faire croire aux autres qu’il allait bien, qu’il allait même beaucoup mieux que n’importe qui sur Terre...

— Attends, souffla Jordan.

Le sang d’Alec se glaça. Il se retourna à nouveau, en essayant de garder une certaine assurance sur son visage, pour cacher la peur qui grandissait en lui.

— Quoi ? répondit-il sèchement.

Jordan sembla réfléchir un instant, ses lèvres s’entrouvrirent mais les mots moururent au fond de sa gorge. Il secoua la tête.

— Nan rien, oublie.

Alec resta paralysé un instant, le regard figé sur ces lèvres encore tremblantes. Qu’est-ce qu’elles avaient bien pu vouloir lui dire ?

— D’accord, salut.

Et il s’éloigna, la tête remplie de doutes, les yeux perdus dans le vide. Il faillit percuter un gars dans les couloirs, celui-ci lui gueula un truc à la gueule, mais il n’en avait pas grand chose à foutre. Il bredouilla un simple « Désolé » et continua sa route.

Il compta sur les cours de la journée pour essayer de penser à autre chose. Beaucoup de questions se bousculaient dans son esprit, il était en train de saturer. Il ne savait pas quoi faire…

Les cours passèrent trop lentement, il n’arriva à se concentrer que par moments. Sinon, il griffonnait machinalement sur sa feuille en écrivant tout ce que les profs disaient, sans vraiment chercher à comprendre ce que ça voulait dire.

À la fin des cours, alors qu'il était en train de ranger ses affaires dans son sac, il sentit une présence à côté de lui.

Il frissonna... Il n'osait pas se retourner, il avait trop peur pour ça.

— Alec ? fit la voix de Marion.

Il se redressa soudain, comme rassuré.

— Ah c'est toi ! fit-il en soupirant de soulagement.

— T'as l'air content d'me voir, ça va ?

— Nan t'inquiète, j'avais cru que c'était quelqu'un d'autre, et...

— T'as cru que c'était qui ?

Cette fois, son ton était beaucoup plus sérieux. Elle fixait Alec avec insistance, il détestait quand elle faisait ça, il avait l'impression qu'elle était en train de passer au détecteur de mensonges.

— Rien, oublie. C'est con.

— Bref, on s'en fout.

Il haussa les sourcils avec surprise. C'était tout ? Pas de question gênante, pas d'interrogatoire poussé, pas de menace ?

C'était trop beau pour être vrai...

— Tu vois c’que je t’ai dit sur Jordan, ce matin ? continua-t-elle.

Il fronça les sourcils et la regarda avec méfiance. Il n'aimait pas ce nom, il l'entendait beaucoup trop souvent à son goût.

— Oui ?

— Oublie tout, c’était des conneries, laisse tomber.

Dans sa tête, c’était la fête. Il se retint de pousser un énorme soupir de soulagement et essaya de cacher son sourire. Ça voulait dire qu’il n’allait plus devoir l’aider à se rapprocher de Jordan. D’ailleurs, quand il y pensa, Jordan et Marion… Ça aurait pu rentrer dans le livre des records, catégorie « pire couple de tous les temps ».

— Et pourquoi t’as changé d’avis aussi vite ?

— J’ai beaucoup réfléchi pendant le cours d’Histoire…

« Ah, toi aussi ? » avait-il eu envie de lui dire.

—… et j’me suis dit qu’il était pas fait pour moi, que c’était juste des pulsions et que ça passerait. Donc ça va me faire un peu mal, parce que j’ai encore des sentiments. Mais il vaut mieux que j’me sorte ça de la tête, ça sert à rien d’espérer.

— Ouais, j’me disais aussi que c’était…

Elle releva la tête et le foudroya de son regard, alors qu’il n’avait encore rien dit.

— Que c’était quoi ?

— Nan rien, lâcha-t-il, gêné.

Il essaya de calmer sa respiration et d’éviter le regard de Marion. Il ne savait pas trop quoi penser de ça, et il était bien content que cette histoire soit finie avant qu'elle puisse vraiment commencer.

— J’dois aller aux toilettes, bafouilla-t-il.

Et il s’enfuit sans attendre la réponse. Jordan et Marion ? C'était impossible, il étaient complètement incompatibles, ça ne pouvait pas marcher entre eux.

En sortant du lycée, il se força pour ne pas regarder son téléphone, pour ne pas voir si Ruben avait envoyé de message.

Il avait fait une promesse à Matthieu, et il devait la tenir.

En rentrant chez lui, il sentit une vibration dans sa poche.

Une décharge électrique lui parcourut tout le corps, il se redressa subitement.

Il avait comme un pressentiment. Il avait comme l’impression que c’était un message de Ruben, il en était certain.

Il essaya de se calmer, ce n’était que le début de son épreuve et sa main était déjà en train de trembler, prête à attendre un moment de faiblesse de la part d’Alec pour se jeter dans sa poche et saisir de son portable.

Une deuxième vibration arriva, deux minutes après…

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