Chapitre 19

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— Je dirai rien, je le jure. Promis, juré, craché !

Et elle fit semblant de cracher au sol en levant sa main en l’air solennellement, ce qui fit sourire Alec et lui permit de se détendre un peu.

— Bon… alors, euh… Par quoi commencer…

Il ne savait même pas pourquoi il hésitait, il savait exactement ce qu’il avait à dire, les mots étaient prêts, mais ils se bousculaient et étaient coincés dans sa gorge.

— C’est grave..? s’inquiéta Marion.

Alec prit encore quelques secondes avant de répondre, son regard évitait celui de son amie.

— Ça dépend des gens.

— Tu peux pas faire encore plus flou, comme réponse ?

— Laisse-moi prendre mon temps, c’est pas évident à dire…

— D’accord, t’inquiète pas. Tu connais ma patience.

Alec releva les yeux et la fixa, ne sachant pas si elle ironisait ou si elle était vraiment sérieuse, parce que c’était vraiment la personne la plus impatiente qu’il connaissait. Mais ça importait peu, alors il prit une grande inspiration, comme si ça allait l’aider. Puis il expira longuement en essayant de se calmer.

— C’est bon ? lança-t-elle.

— Mais..! Ça fait cinq secondes !

— Ah bon ? J’aurais plutôt dit quatre heures.

— Tu me soûles.

— D’accord, j’arrête, fit-elle avec un petit air innocent.

Il ferma les yeux deux secondes pour essayer de se concentrer, et se répéta les mots en boucle « Je suis gay, je suis gay, je suis… »

C’était pas bien compliqué à dire, c’était une phrase comme une autre, elle était toute simple. Alors pourquoi ça ne voulait pas sortir ?

— Ça te dérange si je te l’écris..?

— Non, pas du tout ! T’as une feuille ?

Son ton de voix avait changé, elle voulait se montrer rassurante, et ça marchait plutôt bien.

— Je vais le faire sur mon portable, ça sera plus simple.

Il se trouvait ridicule, mais c’était pas très grave. Il n’avait jamais été courageux, et surtout pas pour ce genre de choses.

En même temps, son passé ne l’aidait pas à trouver la force de s’assumer, il avait plutôt été forcé à faire l’inverse toute sa vie...

Alors il sortit son téléphone, ouvrit le bloc-notes, et fit apparaître sur la page blanche les trois petits mots qui lui faisaient si peur…

Marion avait détourné le regard, pour une fois. Mais il savait qu’elle était quand même en train de l’observer : elle avait des yeux derrière la tête, mais aussi sur le côté, en bas et en haut.

— C’est bon, tu peux regarder.

Marion se retourna d’un coup, tandis qu’Alec gardait son portable dans sa main tout en lui montrant l’écran, la main tremblante. Elle plissa les yeux pour lire la phrase, puis un grand sourire se dessina sur ses lèvres.

— Mais c’est trop bien, ça ! J’suis super contente pour toi, mon Alec !

— Parle moins fort…

— D’ailleurs, ça m’étonne pas tellement.

— Merde, ça se voit ?

C’était quand même bizarre, Alec était loin d’être efféminé, sa voix était « normale », il jouait au foot, il évitait au maximum les regards indiscrets… Bref, c’était un parfait petit hétéro, en apparence.

— Bah, tu te souviens de la rumeur, l’année dernière, avec Matthieu ?

Alec se mit aussitôt à rougir de honte.

— C’était complètement faux, tu le sais très bien. Il avait une copine.

— Oui, mais j’ai quand même eu un doute sur toi. Et on avait décidé de te tester.

Alec fronça les sourcils et la dévisagea avec inquiétude.

— Qui ça, « on » ?

— C’était juste moi et Maria, t’inquiète pas. Enfin bref, je t’avais demandé de regarder pour voir si j’avais une tache sur le cul.

— Je m’en souviens plus…

— C’est possible. Et du coup, je me suis retournée et Maria était en train de t’espionner, pour voir ta réaction. Et il paraît que t’avais l’air tellement désintéressé, c’était pas possible que tu sois hétéro. Alors que tu me connais, tu sais que j’ai un boule qui chamboule !

— J’étais aussi blasé que ça ?

— Aussi excité que devant un vulgaire morceau de carton, s’exclama-t-elle.

— Ah merde, j’étais cramé, alors…

— Aussi cramé qu’une merguez qu’on oublie sur le grill !

— T’as fini ? soupira-t-il.

— Ah oui, pardon, t’avais prévu de dormir, c’est vrai ! Repose-toi, t’en as besoin !

Marion lui afficha son plus grand sourire, et Alec ne savait pas si elle était réellement contente pour lui ou si elle se foutait encore de sa gueule. Ça devait sûrement être un mélange des deux.

— Juste une dernière question ! lança-t-elle.

— Vas-y… souffla Alec, qui avait du mal à garder les yeux ouverts.

— T’as quelqu’un dans ta vie ?

Il bloqua. Il se mit à réfléchir, il pensa à Jordan, à Ruben, à ce bordel qui était en train de s’installer tranquillement dans sa vie. Il commençait tout juste à se rendre compte qu’il s’était embarqué dans une situation bizarre…

— Non, personne…

— Pourquoi t’as mis autant de temps à répondre ?

— Peut-être parce que je suis crevé et que j’ai envie de dormir ?

— Alec, fit-elle super froidement, d’un ton autoritaire.

— C’est pas parce que tu dis mon prénom sur ce ton-là que je vais craquer, hein.

Marion planta son regard dans le sien et entama une bataille terrible, en lui lançant des éclairs avec les yeux. Alec leva les yeux au ciel.

— Ah ! s’exclama-t-elle en le pointant du doigt. T’évites mon regard, t’as des choses à cacher !

— Alec, Marion ! s’écria la prof de chinois, apparemment outrée.

Il l’avait complètement oubliée, celle-là. Elle devait sûrement être choquée que son exposé soit vite devenu un monologue.

— Vous bavardez pendant que je parle, c’est du manque de respect !

— Mais Madame, s’indigna Marion. Regardez-les, tout le monde parle, et ça tombe sur nous ?

Elle fit un grand geste du bras pour désigner tous les membres du groupe. Certains avaient même mis leurs écouteurs, d’autres parlaient, ou dormaient… Marion n’avait pas tort.

— C’est parce que t’es grosse !

Ils se retournèrent vers l’endroit d’où provenait cette voix : Jordan était affalé au fond de son siège, un petit sourire en coin, les regardant tous avec son petit air hautain. Personne ne parla pendant quelques secondes, jusqu’à ce qu’Alec se lève brutalement de son siège.

— T’as un problème ? lança-t-il à Jordan avec un regard noir.

Que ça soit Jordan, il en avait rien à foutre. Il s’attaquait à son amie, il allait le payer. Alec serra les poings et la mâchoire, tandis que Jordan gardait toujours cette attitude nonchalante et méprisante.

— C’est plutôt toi qui as un problème, répondit-il en se levant à son tour.

Les deux garçons se fixèrent pendant quelques secondes, et Alec lui envoya des éclairs avec ses yeux.

— Arrêtez, tous les deux ! s’écria la prof, apeurée.

Mais personne ne réagissait, c’était comme s’ils ne l’avaient pas entendue.

— Arrêtez, tous les deux ! lança Marion en se levant à son tour.

Cette fois, Alec détacha son regard de celui de Jordan, qui sembla satisfait et se rassit fièrement.

Marion posa sa main sur l’épaule d’Alec, essayant de le calmer.

— C’est pas grave, il cherche à provoquer. Ignore-le.

Et elle invita Alec à se rasseoir tranquillement. Puis elle se tourna vers Jordan et lui fit un doigt d’honneur, plein d’élégance.

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