Chapitre 10

16 minutes de lecture

Note de l'auteur : chères lectrices, chers lecteurs, comme vous vous en doutez, la mort d'Ashley va marquer un tournant dans mon histoire. Aussi, certain(e)s d'entre vous vont peut-être constater que la suite de mon roman se rapproche de plus en plus d'une autre histoire... Avant que l'on ne m'accuse de plagiat, je tiens donc à préciser que mon roman était à l'origine une fanfiction basée sur l'univers de la série "13 Reasons Why". Pour celles et ceux qui l'ont vue, ne vous étonnez pas si vous remarquez de plus en plus de similarités entre mon récit et cette série.

Je profite de cette note pour remercier mes deux fidèles lectrices, iphigenia et Pom&pomme, pour leurs nombreux commentaires ! :)

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C’était la première fois que Lisa ressentait le besoin impérieux de s’habiller en noir. Alors qu’elle s’attardait d’habitude tous les matins devant sa garde-robe en se demandant quels vêtements choisir pour aller au lycée, aujourd’hui, elle savait déjà qu’elle ne voulait pas porter de couleur. Au lendemain de l’annonce de la mort d’Ashley, c’était une façon pour elle de faire le deuil de son élève, mais aussi de montrer aux autres son affliction et les idées sombres qui commençaient à l’envahir.

A son réveil, comme toujours, sa première pensée avait été pour M. Bates et pour le nouveau cours passionnant qui l’attendait en début d’après-midi. Puis, elle s’était rappelée qu’Ashley était morte, et tout s’était alors obscurci. Son esprit s’était tourné vers les parents d’Ashley et vers la douleur bien plus grande qu’ils avaient dû éprouver en se réveillant le lendemain du drame et en se rappelant que leur fille unique n’était plus de ce monde… Avaient-ils même réussi à dormir ? Comment pouvait-on trouver le sommeil après avoir vu le corps de son enfant baigner dans son propre sang ?

Lisa enfila son jean noir, son tricot noir à manches longues, ainsi que le blouson en cuir noir qu’elle avait acheté sur les conseils de Mike. Son sac à bandoulière était déjà de la bonne teinte, mais elle regrettait de ne pas avoir d’autres chaussures à mettre que ses Converse kaki… Un problème auquel il lui faudrait remédier au plus vite.

Astrid fut quelque peu étonnée lorsqu’elle vit son amie arriver en cours d’espagnol entièrement vêtue de noir. Elle avait du mal à comprendre comment une personne pouvait s’habiller de façon aussi triste, elle qui au contraire adorait se faire remarquer avec ses pulls et ses jupes multicolores, ses chaussettes hautes bariolées et son vernis à ongles arc-en-ciel.

- Ta mère a oublié de faire la lessive, hier soir ? souffla-t-elle à Lisa en la regardant s’asseoir à la table voisine d’un œil amusé. C’est tout ce qui restait dans ta penderie ce matin ?

Lisa, qui n’était pas d’humeur à plaisanter, se tourna vers la blonde pour la fusiller du regard. Un regard aussi noir que ses habits…

Quand elle arriva devant son casier à la pause de midi, Lisa découvrit avec surprise qu’une trentaine de mots tendres avaient été déposés sur la porte du casier d’Ashley en son hommage. Des messages affectueux comme « Tu me manques », « Je ne t’oublierai jamais » ou encore « Repose en paix », accompagnés de petits dessins et de photos de la jeune fille. Sur l’une d’elle avait été collées des lettres aimantées qui formaient le prénom d’Ashley. Sur une autre avait été épinglée une fleur mauve en tissu. Autant de témoignages de sympathie qui prouvaient qu’Ashley n’avait pas eu que des ennemis au lycée.

Lisa avait honte de l’admettre : elle ne savait même pas quoi écrire à Ashley pour lui exprimer son amitié. A quoi cela pouvait-il bien servir, de toute façon ? Ce n’était pas ça qui allait la faire revenir… Si Lisa voulait vraiment lui prouver son attachement, elle n’avait qu’à le faire quand elle était encore en vie… Et dire qu’Ashley, elle, n’avait pas hésité à lui laisser un petit mot d’encouragement sur la porte de son casier, la veille de son épreuve de l’ACT... Lisa n’était même pas fichue de lui rendre la pareille...

Malgré tout, elle était heureuse de constater que les élèves étaient venus en masse pour se recueillir devant le casier de sa voisine et lui rendre les hommages qu’elle méritait. Certains disaient déjà qu’Ashley n’aurait pas droit à une cérémonie religieuse pour son enterrement, parce qu’elle s’était suicidée et que cet acte était considéré comme un péché… Lisa ne comprenait pas pourquoi l’Eglise refusait à Ashley les égards qui avaient été accordés à Trevor pour ses funérailles… Pourquoi le fait de se donner la mort par désespoir était-il plus répréhensible que de se tuer dans un accident de voiture pour cause d’ivresse au volant ? Il fallait tout de même un certain courage pour s’ouvrir les veines des deux poignets avec une lame de rasoir…

Qu’est-ce qui avait bien pu pousser Ashley à faire une telle chose ? Sans doute n’y avait-il pas qu’une seule explication. La jeune fille devait avoir eu de multiples raisons de vouloir en finir avec la vie… Si seulement elle avait laissé une note pour expliquer son geste…

En cours de maths, Lisa remarqua avec tristesse qu’elle n’était pas la seule à avoir tenu à porter du noir ce jour-là. M. Bates, qui avait coutume de mettre des nœuds papillon colorés, avait aujourd’hui opté pour un nœud papillon noir, assorti à sa chemise gris foncé et à son costume gris clair. Différents tons de gris qui ne reflétaient que trop bien sa morosité. Cet après-midi, il semblait d’humeur aussi sombre que lorsqu’il rendait à ses élèves les copies d’un devoir particulièrement raté... Il passa les trois quarts d’heure de la leçon à poursuivre le cours sur les dérivées, n’envoya personne au tableau et ne fit pas la moindre blague.

Lisa, qui se doutait de la peine qu’il devait ressentir à l’idée qu’une de ses élèves s’était suicidée, l’observait d’un air triste et compatissant. Comment vivait-il ce drame, lui qui avait eu Ashley dans sa classe depuis qu’elle était en seconde ? Se sentait-il responsable de ce qui lui était arrivé ? Regrettait-il d’avoir été aussi dur avec elle en ne lui mettant jamais plus que des C ? Certes, les tôles qu’Ashley s’était prises avec M. Bates n’avaient sans doute pas contribué à lui remonter le moral, mais Lisa refusait de croire que c’était à cause de lui qu’elle avait mis fin à ses jours. Comment un homme au cœur aussi bon pouvait-il pousser une jeune fille au suicide ?

Quand Lisa retourna à son casier après les cours, elle constata avec étonnement qu’il y avait encore eu du changement en son absence. Cette fois, un autel avait été érigé à la mémoire d’Ashley : il s’agissait d’une petite table rectangulaire, recouverte d’une nappe rose et collée contre le casier de la jeune fille, sur laquelle les élèves avaient déposé des fleurs, des bougies, des peluches, et des cartes de condoléances aux parents. Une touchante attention, mais qui empêchait désormais Lisa d’accéder à son propre casier… à moins qu’elle ne se penche au-dessus de l’autel et ne manque de se brûler à la flamme des chandelles…

Cette manœuvre lui paraissant trop périlleuse pour être tentée, Lisa dut se résoudre à repousser doucement la table sur le côté pour pouvoir libérer un peu d’espace devant son casier. Elle qui déjà se sentait coupable de n’avoir rien à offrir à Ashley en son hommage... Elle avait maintenant l’impression de commettre un sacrilège impardonnable. Malgré toutes les précautions qu’elle prit pour ne rien chambouler sur la table, elle finit par faire tomber un bouquet de fleurs sur le sol, et se pencha aussitôt pour le ramasser.

Elle s’aperçut alors qu’il s’agissait d’un petit bouquet de roses blanches, enveloppé dans du papier transparent. Cela lui rappela le lendemain de la Saint Valentin, alors qu’elle et Ashley discutaient à la bibliothèque et que la jeune fille lui expliquait à quel point elle avait horreur des roses : « Je trouve ça beaucoup trop cliché ! » Que dirait-elle aujourd’hui si elle voyait ces roses posées devant son casier en guise de cadeau d’adieu ? Ne trouverait-elle pas que cela faisait justement « trop cliché » ? Lisa replaça tout de même le bouquet sur l’autel, en se demandant qui avait bien pu le déposer... Quelle que fût cette personne, et en dépit de ses bonnes intentions, elle ne semblait pas connaître Ashley si bien que ça…

Au cours des jours qui suivirent la mort d’Ashley, Lisa découvrit qu’elle non plus ne la connaissait pas si bien que ça. Les rumeurs allaient bon train depuis que la jeune fille avait disparu, et les élèves ne se gênaient plus pour parler d’elle dans les couloirs et évoquer les raisons qui avaient pu la conduire au suicide. D’aucuns affirmaient qu’elle s’était tuée à cause de Brad Taylor, le rédacteur en chef du journal du lycée, qui avait publié un de ses poèmes à son insu. Même si ce texte était resté anonyme, beaucoup avaient deviné qu’Ashley en était l’auteur, et elle avait dû essuyer de terribles moqueries de la part de ses camarades. Il fallait dire que son poème était pour le moins déroutant… Lisa, qui gardait tous ses exemplaires du journal du lycée au fond d’un des tiroirs de son bureau, s’était empressée de ressortir le numéro dans lequel le poème d’Ashley était censé apparaître, et avait relu celui-ci avec plus d’attention que la première fois qu’elle l’avait eu sous les yeux. Le texte commençait ainsi :

« Sur ma peau si charnelle

Sous-vêtements de dentelle

Noir éclat aguicheur

Que j’enlève sans pudeur »

Lisa n’avait pu s’empêcher d’entrouvrir la bouche de stupeur à la lecture de ces mots quelque peu indécents. Comment Ashley avait-elle eu l’idée d’écrire un poème aussi osé ? Qu’est-ce qui lui était passé par la tête ? Alors que tout le monde l’accusait d’être une traînée, pourquoi avait-elle tenu à donner autant de détails croustillants sur ce qu’elle portait comme lingerie ? Pourquoi évoquer des choses aussi intimes ? Etait-ce sa façon à elle de jouer avec le feu ?

Certes, Lisa savait que ce poème n’avait jamais été destiné à être publié, mais tout de même… Elle aussi aimait écrire un peu de poésie – en particulier des textes à l’eau de rose, inspirés par les sentiments qu’elle éprouvait pour M. Bates –, mais jamais elle ne songerait à parler de ses sous-vêtements !

C’était d’ailleurs les seuls habits de couleur qu’elle portait, désormais. Elle avait claqué ses dernières économies pour s’acheter une paire de Converse en cuir noir et compléter sa garde-robe de vêtements sombres. Pour elle, le noir était devenu une couleur de référence en matière de mode : à la fois sobre, discret et élégant, il convenait à toutes les occasions et se mariait absolument avec tout… Sauf peut-être avec les poils blancs de Léo, qui semblait prendre un malin plaisir à se frotter contre ses jambes dès qu’il la voyait arriver vers lui avec son jean noir.

Deux morts en un mois… Le lycée Lincoln traversait décidément une mauvaise passe… Après la campagne de sensibilisation à la sécurité routière qui avait suivi la mort de Trevor, une nouvelle campagne de prévention du suicide des jeunes s’était développée. Des affiches avaient été collées un peu partout sur les murs des couloirs pour interpeller les lycéens en détresse, en leur faisant comprendre qu’ils n’étaient pas seuls et qu’il était important pour eux de confier leurs problèmes à quelqu’un. Elles adressaient des messages tels que « Le suicide n’est pas une option », « Le silence peut tuer » ou encore « Je suis là pour toi ».

Sur le tableau d’affichage du couloir principal, Lisa découvrit avec effarement qu’un poster de prévention portant l’inscription « Besoin d’aide ? » avait été épinglé juste à côté de son poster de soutien scolaire intitulé « Besoin d’aide en maths ? ». Etonnée de voir ces deux affiches côte à côte – cela ne paraissait-il pas un peu déplacé ? –, Lisa constata que des petits crétins s’étaient amusés à rayer sur son poster les mots « en maths » et à les transposer à la main sur le poster d’à côté, à la suite des mots « besoin d’aide ». Une blague puérile, qui n’était pas vraiment du goût de Lisa… Encore moins depuis qu’elle avait entendu des élèves plaisanter dans son dos en racontant qu’Ashley s’était suicidée parce qu’elle ne voulait pas retourner à ses cours de soutien...

Le mémorial dressé en souvenir d’Ashley avait fini par être déplacé de l’autre côté du couloir, afin de ne pas gêner l’accès aux casiers voisins de celui de la jeune fille. Une semaine après sa mort, les parents d’Ashley étaient passés au lycée récupérer ses affaires. Lisa ignorait ce qu’ils avaient pensé des décorations collées sur la porte du casier de leur fille, mais ils avaient manifestement tenu à les laisser, ce qui témoignait sans doute de leur reconnaissance. Lisa devait cependant avouer que ce n’était pas sans lui causer quelques désagréments : chaque jour, en allant chercher ses livres, elle voyait des élèves rappliquer à côté d’elle pour prendre des selfies devant le casier d’Ashley…

Et dire que c’était grâce à lui que toutes les deux avaient fait connaissance… Grâce à ce casier récalcitrant, dont le loquet restait bloqué trois fois sur quatre malgré l’exactitude du code que composait Ashley, mais qui, le jour de sa mort, avait enfin daigné s’ouvrir du premier coup... A croire qu’il avait su que c’était la dernière fois qu’il revoyait sa propriétaire et qu’il avait finalement voulu se faire pardonner...

Certains disaient que le temps cicatrisait les blessures… Cela faisait déjà dix jours qu’Ashley avait disparu, et pourtant, Lisa se sentait toujours aussi affectée par sa perte… Quand elle donnait ses cours de soutien à la bibliothèque ou quand elle restait y faire ses devoirs, à chaque fois que la porte s’ouvrait, elle s’attendait à voir Ashley débarquer dans la salle et la rejoindre à sa table... Parfois, heureusement, c’était M. Bates qu’elle voyait entrer dans la bibliothèque, et cela lui redonnait tout de suite du baume au cœur.

Ses camarades comprenaient de moins en moins pourquoi son abattement durait aussi longtemps. Après tout, ils ne pouvaient pas dire que Lisa et Ashley avaient été particulièrement proches : ils ne les avaient jamais vues ensemble, et il était vrai que, en dehors de leurs séances de soutien et de leur rencontres fortuites devant les casiers, les deux jeunes filles ne se fréquentaient jamais. A la longue, Astrid, Kevin et Joey finissaient par croire que leur amie jouait la comédie, et ils cessaient peu à peu de lui prêter attention. A table, ils ne s’étonnaient même plus de son silence, et se contentaient de discuter entre eux comme si elle n’existait pas.

- Au fait, Joey, comment se passent tes cours de soutien à domicile ? s’enquit Kevin par un midi pluvieux qui avait poussé les quatre lycéens à manger à la cafétéria. Tu penses que tu seras prêt pour l’épreuve du SAT du 4 novembre ?

Il ne restait plus que quinze jours avant cette date, et Lisa se demandait elle-même si cela lui suffirait à faire rentrer dans le crâne de Joey tout ce dont il avait besoin pour réussir son examen. Comme ils habitaient dans le même quartier, elle venait chez lui quasiment tous les soirs pour lui faire réviser ses mathématiques, mais le garçon avait tellement de mal à rester concentré que ces séances ne duraient jamais plus d’une demi-heure.

- Ça va, répondit Joey. Lisa me fait travailler comme un forçat, mais j’arrive à tenir le coup… Avec tous les exercices qu’elle me donne, je pense qu’il faudrait vraiment que je le fasse exprès pour ne pas réussir à améliorer mon score précédent.

- Bah, fit Astrid d’un air sceptique, Ashley Westbrook suivait bien les cours de Lisa, elle aussi, et ça ne l’a pas aidée pour autant à augmenter sa moyenne…

A ces mots, Lisa releva la tête de sa lunch box et jeta un regard venimeux à la blonde.

- On dirait que j’ai froissé quelqu’un…, commenta celle-ci avec un petit sourire moqueur.

- Je te signale que pour progresser, il faut aussi que l’élève y mette un peu du sien, rétorqua Lisa en sortant enfin de son silence.

- Tu veux dire qu’Ashley ne faisait aucun effort ? Eh ben ! Heureusement qu’elle n’est plus là pour t’entendre…

- Je n’ai jamais dit ça, voyons !

- C’est sûr que si vous passiez votre temps à la bibliothèque à discuter de la pluie et du beau temps, vous ne deviez pas beaucoup avancer…

Cette fois, c’était trop. Lisa se leva de table sans prévenir, ramassa sa lunch box et tourna le dos à ses amis pour se diriger d’un pas décidé vers la sortie de la cafétéria. Elle n’avait même pas terminé son repas, mais les moqueries d’Astrid avaient suffi à lui couper l’appétit. Elle alla ranger sa lunch box dans son casier, fourra ses bouquins de cours de l’après-midi dans son sac, puis marcha en direction de sa salle de maths.

Il n’était que midi et demi et son cours avec M. Bates ne commençait pas avant une heure, mais elle préféra attendre ici, dans le couloir qui conduisait à sa classe, et choisit de s’asseoir par terre, le dos collé au mur, à côté de sa porte. Celle-ci était fermée à clé pour le moment, mais Lisa espérait que l’enseignant n’allait pas tarder à arriver pour l’ouvrir. Elle avait besoin de le voir, de lui parler. Le simple fait de se trouver en sa présence suffisait à la calmer, à lui faire oublier ses ennuis. Cet homme avait un véritable don pour l’apaiser.

Malheureusement, le couloir était vide, et Lisa se douta que M. Bates ne rappliquerait pas de sitôt : à cette heure, il devait certainement être en train de manger. Aussi décida-t-elle de prendre son mal en patience en mettant ses écouteurs dans les oreilles pour écouter un peu de musique. Sur son smartphone, elle lança la lecture d’ATWA, de System Of A Down. Un morceau qu’elle connaissait désormais par cœur et dont elle savait jouer l’intro à la guitare les yeux fermés. Cette chanson, à la fois triste et puissante, la plongeait à chaque fois dans une profonde mélancolie. Ses paroles chargées d’émotion ne cessaient de lui rappeler ce qu’elle éprouvait pour M. Bates : son amour non partagé, sa frustration de devoir lui cacher ses sentiments, sa peine à la pensée qu’il ne l’aimerait probablement jamais en retour… Etait-il possible d’aimer quelqu’un de tout son cœur, de toute son âme, sans jamais réussir à éveiller en lui le moindre sentiment réciproque ? Pouvait-on continuer de vivre de cette façon sans risquer de sombrer dans la folie ou dans le désespoir ?

Lisa sentait déjà qu’elle commençait à perdre la raison… L’indifférence de M. Bates à son égard lui devenait chaque jour plus pénible, et la disparition d’Ashley n’avait fait qu’aggraver sa douleur... C’était comme un effet boule de neige : son chagrin d’amour n’avait bien sûr rien à voir avec le suicide de la jeune fille, mais il s’était intensifié depuis ce drame… Elle avait l’impression de voir ses soucis s’accumuler et l’entraîner vers une pente très dangereuse...

- Lisa ? lança une voix masculine teintée d’inquiétude. Est-ce que tout va bien ?

Lisa n’entendit pas tout de suite l’homme qui s’adressait à elle, mais elle vit apparaître le bas d’un pantalon gris et une paire de chaussures de cuir noir, et elle crut d’abord qu’il s’agissait de M. Bates. Relevant précipitamment la tête, elle s’aperçut alors que le conseiller principal d’éducation se tenait devant elle.

- M. Carver ? fit-elle en retirant ses écouteurs, mais sans prendre la peine de se lever.

- Tout va bien ? répéta le CPE. Tu n’as pas l’air dans ton assiette…

- Si, si, ça va, répondit Lisa d’une voix contrariée.

Elle avait horreur qu’on vienne la déranger pendant qu’elle écoutait de la musique, surtout pour lui dire qu’elle avait mauvaise mine.

- Qu’est-ce que tu fais assise ici toute seule dans le couloir ?

« J’attends M. Bates » répondit Lisa dans sa tête, mais elle préféra éviter de mentionner son prof de maths et balbutia :

- R… Rien… Je… J’attends juste le début de mon prochain cours…

- Tu as mangé ?

- Oui, pourquoi ? lança la jeune fille en se demandant si M. Carver voulait aussi connaître le contenu de son repas – encore une question de plus, et elle se serait cru en plein interrogatoire de la Gestapo.

- Pour rien… Je voulais juste m’assurer que tu avais eu le temps de prendre ton déjeuner... C’est important d’aller en cours le ventre plein.

Lisa fronça les sourcils. Elle ne voyait pas où M. Carver voulait en venir et ne saisissait pas pourquoi il s’attardait ainsi avec elle… Comprenant qu’elle n’arriverait pas à s’en débarrasser aussi facilement, elle finit par se lever et par mettre son sac à bandoulière sur son épaule, comme si elle s’apprêtait à partir.

- Dis-moi, s’exclama alors l’enseignant, est-ce que tu aurais le temps un de ces quatre de passer dans mon bureau ? J’aurais quelques questions à te poser au sujet d’Ashley Westbrook…

- Ashley Westbrook ? répéta Lisa, interloquée. Euh… Oui… Pourquoi ?

- J’essaye de comprendre ce qui s’est passé… Il me semble que tu lui donnais des cours de soutien en maths, pas vrai ?

- Oui, c’est exact… Mais j’avoue que je ne la connaissais pas si bien que ça…

- Je pense que tu pourras quand même m’aider à y voir plus clair… Tu es libre, cet après-midi, après les cours ?

- N… Non, j’ai atelier photographie de trois à quatre...

- Et après ça ?

- Je... Je n’ai rien de prévu..., reconnut Lisa, qui sentait qu’elle n’échapperait pas à la convocation de M. Carver.

- Dans ce cas, on peut se voir à quatre heures et demi dans mon bureau, proposa l’enseignant. Ça te va ?

- Hm-hmm, acquiesça Lisa, sans pour autant desserrer les lèvres.

Elle poussa un soupir de soulagement en voyant M. Carver s’éloigner dans le couloir et la laisser tranquille, mais pesta contre lui et contre son idée stupide de lui fixer un entretien un vendredi après-midi… A cause de lui, elle allait devoir rester au lycée plus longtemps que prévu et retarder le début de son week-end.

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