CHAPITRE 10 - Partie 2

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Quand il revint, les spasmes d'Amanda s'étaient espacés, bien qu'elle arborât encore une expression lointaine, les yeux injectés de sang figés dans le vide, un étrange sourire triste sur ses lèvres craquelées.

- Amanda, fit doucement Mme Delville.

Vincent dévisagea sa collègue comme si elle s'était transformée en cancrelas géant. Quatre ans qu'ils se côtoyaient, et pas une fois elle n'avait pris ce ton de mémé bienveillante. Viviane était aussi chaleureuse qu'un Mur de Berlin, et Leboeuf lui soupçonnait une admiration secrète pour Margaret Thatcher. Ce ton condescendant ne lui allait pas du tout. Mme Delville qui faisait preuve de douceur, c'était Attila qui fredonnait une comptine !

- Tiens... P... Prends un café, proposa Vincent d'une voix blanche.

Amanda avait beau se sentir sèche et épuisée, elle savait que la caféine ne lui serait d'aucun secours cette fois. Ses poumons brûlaient, ses tripes grondaient, et elle ne pourrait pas avaler quoi que ce soit sans le rendre sur la moquette. Elle secoua vivement la tête. Le visage de Viviane se colora d'une étrange teinte verdâtre et se distordit brusquement. Les vertiges revenaient. Elle ferma les yeux très fort, et s'écria :

- Non, vous devez m'écouter !

- On t'écoute, Amanda, on t'écoute, approuva Leboeuf, qui se sentait obligé de dire quelque chose.

Mme Breteille prit une longue inspiration. Une langue de feu caressa sa poitrine.

- Ça remonte à l'année dernière - parce qu'il y a une chose que je ne vous ai pas dite - un point sur lequel je vous ai menti.

Ses yeux étaient toujours fermés : elle s'appliquait à se concentrer sur les motifs derrière ses paupières plutôt que sur ses aveux. Elle ne pouvait pas voir les réactions de ses collègues, mais elle sentit les mains de Viviane s'envoler de ses genoux. Un frisson la submergea.

- Je ne viens pas d'une école en Normandie. Et ce n'est pas ma première année en tant que prof. J'ai eu mon diplôme il y a deux ans déjà. L'année dernière, j'enseignais dans un lycée prestigieux à Bordeaux, dont je connaissais le directeur.

- Attends, l'interrompit Vincent, qui le paya d'un regard foudroyant de Viviane. Tu parles de Sainte-Marie Bastide ? Le meilleur lycée de la Gironde ?

- Oui, souffla Amanda, qui aurait préféré que ce nom ne survienne jamais dans la discussion.

- C'est impossible, trancha Leboeuf.

De toute évidence, il percevait qu'Amanda allait leur révéler quelque chose de grave. De trop grave pour être vrai.

- C'est une institution très privée, de pères en fils. Je connais des gens avec un doctorat, qu'on a recalé ! Ils n'auraient jamais embauché une jeunette avec un diplôme de moins d'un an !

- Je connaissais le principal, répéta Amanda, les yeux toujours fermés. J'avoue avoir usé du piston...

Elle s'accorda une pause, la respiration haletante. Elle savait que le pire était à venir. Vincent et Viviane le savaient aussi.

- Mais j'ai démissionné, lâcha-t-elle finalement.

A ces mots, Vincent se leva avec fracas et se mit à arpenter la salle en criant :

- Je ne sais pas ce qu'il y a de plus absurde dans ton histoire : être embauchée dans un lycée pareil rien que grâce à un coup de piston, ou démissionner en ton arme et confiance !

Amanda se cramponna aux accoudoirs du fauteuil, jusqu'à ce que ses articulations blanchissent. Viviane rétorqua d'une voix calme :

- Calme-toi, assieds-toi et cesse de l'interrompre. Elle a besoin de calme et d'objectivité, pas d'un brailleur qui gesticule comme un pantin. Et on dit "en ton âme et conscience", au cas où il devait t'arriver de retenir ce que je dis.

Puis, à l'intention d'Amanda, elle murmura :

- Pourquoi as-tu démissionné du lycée Bastide ?

Elle parlait à Amanda comme on réprimande tendrement un enfant d'avoir cassé une assiette.

- Parce que... Parce que j'ai fait une connerie. Et j'ai préféré démissionner avant qu'on la découvre.

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