CHAPITRE 10 - Partie 3

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Vincent sembla sur le point d'intervenir, mais sa bouche ne faisait que s'ouvrir et se fermer chaotiquement, sans laisser sortir le moindre son.

- Je... J'ai eu une relation avec un élève de terminale.

Silence.

- Il était majeur, s'empressa de préciser Amanda.

- Une relation, répéta Viviane, toujours sur un ton posé, mais cette fois, sa voix semblait trop atone pour être naturelle.

Imperturbable, Amanda poursuivit :

- Quand je lui ai annoncé mon départ, il l'a vécu comme un abandon, une fuite, une trahison. J'ai vu dans son regard plus de haine et de désir de vengeance qu'un homme peut ressentir dans toute une vie.

Le même regard que celui de Megan, qui l'avait criblée deux jours auparavant.

- Et vous avez lu le dernier SMS envoyé à Roumergue ?

Viviane et Vincent secouèrent la tête d'un même geste. Amanda répéta :

- "Tu fuiras cet établissement comme tu as fui le précédent.’’ Il m'a cherchée. Il m'a retrouvée. Et maintenant, ce n'est pas à Roumergue qu'il s'adresse. C'est à moi !

En quelques phrases, sa voix était passée du gémissement au cri. A présent, elle s'égosillait :

- Il savait pertinemment que Megan n'avait pas son téléphone ! Il savait que je lui avais confisqué, quelqu'un lui avait dit ! Depuis le début... Depuis le début il veut me faire accuser, la voilà, sa vengeance !

Viviane et Vincent se regardaient, les yeux ronds et la bouche bée. Finalement, Vincent lâcha :

- Mais Amanda... ça ne tient pas debout.

Il avait presque l'air soulagé. Il valait encore mieux qu'Amanda ait un pet aux basques et qu'elle soit en pleine névrose, plutôt qu'elle ait tout simplement raison.

Au regard qu'elle lui lança, il comprit qu'il s'engageait sur un terrain glissant. C'est peut-être pour ça que ses pieds flageolèrent et qu'il s'effondra sur une chaise. Mme Delville, quant à elle, s'enquit :

- Et comment s'appelait ce jeune homme ?

Amanda répondit d'une voix blanche :

- Nolan Gerber.

Vincent avait bien fait de s'asseoir. Il écarquilla les yeux, couvrit sa bouche de son poing, se mit à marteler le sol de ses deux pieds, étouffa un cri entre ses phalanges. Puis, soudainement, il ferma les paupières, ramena ses jambes contre sa poitrine, et annonça entre ses dents toujours plantées dans le dos de sa main :

- Ch’est impochible.

Puis, retirant son poing, il répéta :

- C'est impossible.

Viviane ne trouva rien d'autre à bégayer qu'un "Pourquoi ?" abasourdi. Et Leboeuf de beugler :

- Pour un sacré paquet de raisons, toutes grosses comme des prisons ! Parce que Nolan est mon meilleur élève de boxe ! Parce que, quand on a parlé de toi...

- Vous avez parlé de moi ? s'étrangla Amanda. Quand ? Dans quel contexte ? Comment...

- ... Il m'a assuré qu'il ne te connaissait que de vue ! fit Vincent en faisant mine de ne pas l'entendre. Et surtout, il n'aurait jamais eu accès au portable de Megan !

Viviane fut partagée pendant un court instant entre corriger le "prison" et corriger la vision des faits erronée du pauvre Leboeuf. Elle opta cependant pour la deuxième option :

- Elles sont petites, tes prisons... Je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam, mais être féru de boxe ne le rend pas innocent. Sa liaison avec Amanda était illégitime, il n'allait pas en parler à n'importe qui. Et même si ces nouvelles technologies me dépassent, je pense qu'il aurait très bien pu pirater son téléphone ou usurper son identité.

- Impossible, insista Leboeuf pour la troisième fois. Pour avoir accès aux données d'un portable, il doit falloir des codes d'accès... Et puis ça n'explique pas comment il connaîtrait le numéro de Barthy ! Il est à S... depuis quelques semaines seulement. Je vous assure, c'est impossible !

Tous deux dardèrent vers Amanda un regard inquisiteur, comme si elle aurait pu leur répondre. Le visage désemparé de Mme Breteille avait laissé place à un regard lointain, songeur et analytique :

- La question est surtout comment il savait que je possédais le téléphone Megan au moment où il a envoyé les SMS...

- Quelqu'un de la classe aurait pu lui dire, suggéra Viviane.

- Je ne crois pas, déclara Leboeuf, comme si les souvenirs refluaient lentement. Je me rappelle lui avoir raconté deux-trois trucs sur ce qui se passait au collège... Et il est possible... Enfin, probable... Que j'ai laissé fuiter quelque chose à propos de... Du téléphone de Megan. Que tu avais confisqué.

- Mais pourquoi tu lui as raconté ça ? s'exclama Mme Breteille avec une ombre de sourire, trop abasourdie pour être en colère.

Leboeuf commençait à bafouiller une excuse bidon, quand Mme Delville l'interrompit, d'un ton condescendant mais ferme :

- Dans tous les cas, les dates concordent. En septembre, Vincent rencontre Nolan. Début octobre, il lui parle de la confiscation du téléphone. Une semaine plus tard arrivent les premiers messages à Roumergue. Dès le jour suivant, Megan est arrêtée. Comme par hasard, elle n'est pas en possession de son téléphone. On le saisit le lendemain, et les soupçons retombent sur Amanda. Deux jours plus tard, elle est interpelée. A peine quelques heures avant sa déposition, le message à double-sens arrive. Tout se tient. Tu dois le dénoncer à la police.

Le sourire d'Amanda s'évanouit.

- Hors de question.

Les yeux et la bouche de Leboeuf s'arrondirent alors qu'Amanda poursuivait :

- Je l'ai abandonné. J'étais son seul repère. Il me faisait confiance alors que j'en étais indigne. Je lui ai fait croire que je l'aimais et qu'il avait le droit de m'aimer en retour. Dès le début, j'aurais dû lui dire que c'était mal, immoral, impossible. Mais je n'en ai pas eu la force. Et quand je lui ai annoncé que... que je partais... encore une fois, j'ai manqué de courage : je n'ai pas pu me résoudre à affronter sa colère. Alors j'ai fui. Il a raison. Je me suis comportée comme une lâche. Je l'ai déjà trahi une fois, et je ne recommencerai pas aujourd'hui.

- Amanda, répliqua Leboeuf, médusé. Tu te rends compte de ce que tu dis ? Si tu ne le dénonces pas, c'est toi qui sera déclarée coupable ! C'est lui ou toi.

- Il a raison, approuva Viviane. Tu as peut-être fait une erreur il y a quelques années, mais tu n'as pas à en payer les conséquences aujourd'hui. Tu as quitté pour lui le meilleur poste que tu n'auras jamais. C'est un sacrifice suffisant. Tu as payé ton dû, et il...

- Et il ne se rend sans doute pas compte de tout le mal qu'il a fait ! trancha Amanda, haussant le ton encore une fois. C'est un ado, il a un côté égoïste et impulsif, comme tous les ados. Mais vous ne le connaissez pas comme je l'ai connu. Il n'était pas conscient de ses actes.

Vincent perdit patience. Il s'écria en tentant de masquer l'agacement qui perçait dans sa voix forte :

- Il a manipulé Megan - peu importe la manière - pour pirater son téléphone, il s'est servi de moi pour obtenir des infos sur Roumergue, qu'il a harcelé pour te faire accuser d'un crime que tu n'as pas commis. Ose me dire qu'il n'était pas conscient de ses actes !

Cette fois, Amanda resta sans voix. Et alors, au milieu de la salle des profs, elle s'effondra en sanglots.

Elle enfouit son visage déformé par la douleur dans ses mains tremblantes. La culpabilité qui labourait sa poitrine roulait sur ses joues de poupée.

- Je suis un monstre, gémit-elle. Je mérite sa vengeance.

- Mais Roumergue et Megan ne la méritent pas ! répliqua Leboeuf avec ferveur.

- Vincent, je t'ai demandé de rester calme, gronda tout bas Mme Delville.

Amanda sanglotait toujours. Viviane poussa un soupir et noua ses bras autour des épaules de sa collègue. Elle tapota gauchement son omoplate. De toute évidence, elle n'avait pas l'habitude d'enlacer les autres, ni même de faire preuve d'une quelconque forme d'affection. Pourtant, Amanda se cramponnait au corps long et maigre de la littéraire et enfouit sa tête dans son châle sombre, qui sentait bon le café.

- Tu dois être forte, Amanda, murmura Viviane, sans laisser transparaître son émoi. J'irai parler à la police. Tu devras m'accompagner pour confirmer ma déposition, mais je me chargerai de témoigner. N'oublie pas que tu n'as rien fait de mal.

- On va le traîner en justice ! renchérit Vincent.

Mme Delville, toujours en tapotant le dos d'Amanda, lui lança un regard désapprobateur.

- Je ne sais plus vraiment où poser mon bœuf, se justifia Vincent, alors j'essaye de trouver des paroles réconfortantes...

Sa réplique eut au moins le mérite d'arracher un gloussement à Amanda. Viviane décida que c'était une raison suffisante pour ne pas corriger Vincent.

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