Chapitre 07: Un ancien trio

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En cette charmante fin d'après-midi, j'ai pris une banale décision, celle de m'aventurer dans les rues de cette ville profitant d'une totale solitude. J'en avais franchement marre d'être enfermée entre quatre murs à trembler à chacun des mouvements de ma mère dans l'appartement. Alors j'ai traîné mon frêle corps à peine guéri jusqu'au centre ville et pour une raison que seul le destin pourrait justifier, me voilà face à une église. Pourtant Dieu doit savoir que je ne suis pas sa plus grande admiratrice depuis le temps que je vie sans penser un seul instant à sa potentielle existence. Il paraît qu'on trouve facilement quelqu'un à qui parler dans ce genre de lieu alors je devrais tenter ma chance même si c'est juste une fois. Je fais donc les quelques pas qui me séparent de l'immense porte en pierre toujours ouverte durant la journée. C'est ridicule mais je n'arrive pas à franchir cette dernière limite, je reste plantée là, bouche bée alors que les passants entrent et sortent. Je finis par entrer et c'est d'un pas timide que j'avance vers la rangée de bancs en bois brun précédant une estrade avec un autel, où, je suppose, le prêtre doit faire son office. Quelques personnes sont assises dans le silence et du coin de l'œil j'en vois certains marmonner. Je me demande ce qui les poussent à se trouver ici. La foi ? Un hasard ? De soudains malheurs ? Et moi qu'est ce que je viens chercher ? Un peu de réconfort comme tout le monde. Mes yeux s'attardent sur les multiples vitraux d'une finesse et d'une beauté qu'on ne retrouve pas ailleurs, ils nous parlent, nous transmettent une croyance qu'il ne faut pas oublier portant une lumière froide et lointaine. En observant l'architecture de l'église, je me rappelle de mes cours du collège pour en venir à la conclusion qu'il s'agit d'un édifice baroque. Je finis par choisir une place sur l'un des premiers rang et découvre que les rumeurs sur la dureté des sièges dans les lieux de cultes sont absolument fondées ! Si mon cœur s'apaise, mes fesses ne vont pas me remercier pour cette soudaine curiosité religieuse. Je décide donc d'imiter ceux qui m'entourent et d'entrelacer mes doigts en baissant la tête pour ainsi débuter mon dialogue avec Dieu ou les anges ou avec tout autre esprit disponible en espérant que le diable ne tende pas l'oreille, j'ai suffisamment de problème.

Mon esprit entre dans une rare tranquillité, ce lieu semble me donner une impression étrange de sécurité. Alors que je ferme doucement les paupières, une image se forme dans mon esprit, celle d'un visage familier. C'est une jeune adolescente que je vois venir à ma rencontre, elle porte encore les traits d'un visage enfantin, doux et sans imperfection. Son teint pâle est alors réchauffé par l'apparition d'un large sourire laissant apparaître un appareil dentaire. Celle-ci s'arrête à quelques pas de moi avant de me tendre la main toujours en souriant. Ses petits yeux noisettes s'illuminent d'une grande bienveillance et je n'ai qu'une envie c'est de la saisir mais bientôt je reconnais cette petite brune, il s'agit de Jane et du souvenir de notre premier échange au début du collège. Si je n'avais pas saisi cette main innocente, nos parents ne se seraient sans doute jamais rencontrés et la famille de Jane n'aurait pas connu ce désastre... Je peux bien changer les événements dans ma tête mais jamais la réalité ne pourra être altérée.

Je me souviens encore du trio d'inséparables qu'on formait avec Linda et Jane lors de nos années collège et ceci malgré la réputation déjà peu élogieuse de ma famille. A cette époque, Linda corps et âme d'être à nouveau dans un établissement privé ou un internat alors ses parents avaient cédé et l'avaient inscrite dans un collège public. Linda aimait les choses simples. Jane était sans doute celle de nous trois qui possédait une joie de vivre incomparable, son sourire semblait éternel et ses rires pouvaient sécher toutes mes larmes. Son innocence était un pur joyaux pour moi mais qui a vite terni... Son premier copain, son premier amour est à l'origine de ce qui va lui pourrir le cœur. Les déboires de l'adolescence dans toute sa splendeur et son stéréotype. Ce jour où ses larmes ont déformé son visage est inscrit dans ma mémoire.

Ce jour-là amenait le printemps et avec lui le paysage se transformait déjà. On était lundi et Jane manquait à l'appel, à cette époque jamais elle n'aurait osé sécher la moindre heure de cours alors je me suis inquiétée et durant des heures je suis partie à sa recherche. Ce n'est qu'en fin d'après-midi que j'ai finalement retrouvé mon amie seule au milieu d'un parc pour enfants sur une vieille balançoire. Ses longs cheveux bruns dérobaient son visage à mes yeux, ce n'est que lorsque je suis arrivée à sa hauteur que j'ai compris qu'elle pleurait. Sans attendre, je m'accroupis devant elle puis d'un revers de main je replaçai sa mèche derrière son oreille dévoilant ses yeux gonflés par les larmes. Je n'obtenus aucune réaction de sa part comme si elle ne remarquait pas ma présence à ses côtés. Les rôles s'inversaient mais n'ayant aucune expérience dans ce domaine je restai immobile le cœur serré devant cette vision. Je n'ai rien trouvé de mieux que de lui tendre la main en esquissant un sourire à son image, pour lui rappeler la joie qu'elle procure aux autres. Elle releva la tête et dans un élan dont je n'avais pas soupçonné la force, Jane se retrouva dans mes bras et moi, couchée sur le sol. Elle pleurait toujours plus, ses larmes étaient froides mais elle ne prononça pas un mot. Je finis par me relever l'entrainant avec moi vers un banc où l'on prit place et durant un moment on observa les passants dans le silence. Soudain Jane plongea son regard dans le mien et d'une petite voix cassée, à peine audible mais surtout pleine de détresse, elle me dévoila la raison de son mal.

" Sasha en a eu marre d'attendre... Il a couché avec Nelly..."

J'étais sous le choc, enfin pas étonnée car j'ai toujours su que ce mec n'était qu'un connard de plus sur cette triste planète. Nelly correspondait à son double féminin. Rien n'était donc une surprise pourtant je ne sus quoi répondre ou quoi penser. Nous n'étions qu'en troisième et déjà ce genre de problème nous accablait. Pendant un moment j'ai cru qu'il avait de réels sentiments pour mon amie mais une fois de plus ce gros hypocrite a bien joué son rôle et a quitté la scène en nous laissant tous sur le cul. Depuis, j'ai pris l'habitude de ne jamais croire à ses sourires ou à ses paroles gentilles car Sasha n'a jamais été du genre à se préoccuper des autres. Pour lui la jeunesse justifie tout et encourage toutes les envies comme si elles faisaient partie d'un jeu.

"J'étais juste pas prête... Pourquoi je dois payer pour ça ?"

Je n'avais malheureusement pas la réponse à sa question et aujourd'hui encore tout cela reste un mystère non résolu. Par contre les conséquences qui suivirent ce jour sont très claires à mes yeux et conduiront Jane là où personne ne l'attendait. Navrée mais je ne souhaite pas me repasser le film, la suite au prochain épisode.

La cloche finit de me tirer de mes souvenirs chaotiques, j'ouvre alors les yeux et sans attendre je me dirige vers la sortie. À peine suis-je en dehors de cette église que le malheur s'abat sur mes frêles épaules, c'est alors que la voix mélodieuse de Sasha parvient à mes oreilles si sensibles...

"Tu trouveras pas de nouveaux clients ici ma belle, les prêtres préfèrent les petits garçons c'est connu."

Cet individu malsain me dégoute davantage à chaque fois qu'il ose pénétrer dans ma vie. Je ne sais ce qui est le pire entre ses paroles infectes et ses manières infâmes mais quoi qu'il en soit je n'ai jamais aimé le porc alors autant me débarrasser de celui là rapidement. Je rêve ou cet abruti passe son bras sur mes épaules ?

Non tu ne rêves pas alors ne te laisse pas entraîner n'importe où par ce malade en chaleur idiote!

" J'ai pas d'argent sur moi mais tu peux me faire crédit hein ma belle, reprend t-il.

- Je veux bien te vomir dessus gratuitement."

Il ricane me laissant enfin la chance de retirer son bras. Soudain ses yeux sombres se posent à nouveau sur moi me donnant vaguement la chair de poule. Il y a des personnes dont on ne connaît ni les limites ni la morale et Sasha en fait partie. Il est jeune certes mais bien plus enragé qu'un loup affamé et de temps à autre, lorsqu'il ne préfère pas faire rire la galerie, il peut se montrer tout aussi inquiétant que les brutes de la mythologie grecque qu'on appelle à tort héros. Heureusement pour moi, il ne pense qu'avec sa libido et est parfaitement stupide. Une belle gueule ça donne pas toutes les qualités, loin de là.

"C'est que t'es devenue comique ma belle mais bon, je suppose que je rate pas grand chose. T'es tellement maigre que tu dois t'évanouir au bout de cinq minutes. Je me demande comment faisait ton ex pour bander."

Oups... Je n'ai pas pu empêcher un rire nerveux de s'extraire de ma bouche.

"Je peux savoir ce qu'il y a de drôle ? me demande-t-il visiblement agacé.

- J'étais entrain de me dire que c'était l'excuse bidon de tous les puceaux ou les précoces."

Vu sa tête, je crois que le provoquer n'était pas la meilleure idée du siècle mais bon, on est pas au lycée, sa cour ne semble pas être à l'horizon et je ne vais pas me laisser baiser dans une ruelle par ce malade pour lui prouver le contraire non plus.

Personne n'avait pensé un seul instant à cette option Natasha...

J'étais tellement dans les nuages comme toujours que je n'avais pas remarqué qu'il était si proche de moi avant que mon dos ne touche le mur derrière moi. Il n'oserait pas me frapper devant une église tout de même ? La dernière fois que je me suis retrouvée dans cette situation avec lui, il m'a mis un gros poing dans le ventre et j'ai cru que j'avais recraché mes poumons parce que je suis une grosse faible et que forcément, lui non. Evidemment, je sens mes jambes trembler dangereusement. J'ai envie de me laisser tomber au sol pour me recroqueviller sur moi-même en attendant qu'il parte. Je suis si fatiguée de trembler et d'avoir peur que je ne sais même plus si je redoute ses coups.

"Je vois que t'es bavarde aujourd'hui Natasha. Vas y ouvres encore ta sale bouche, j'ai hâte d'entendre ce que t'as à me dire, me dit Sasha alors qu'il saisit et maltraite ma mâchoire.

Ne flanche pas ! Ne tremble pas ! Sois fière et dure comme de l'acier !

Et oui, je m'encourage moi-même car à part moi, personne ne le fera. Sauf que c'est inefficace car je ne tarde pas à baisser les yeux et à trembler encore davantage. Sa prise est de plus en plus douloureuse alors que ses traits à lui se détendent. Il semble satisfait. J'aimerai crier pour qu'on vienne m'aider mais les passants ne semblent pas comprendre la situation ou s'en moquent et continuent leur chemin. Il finit par me lâcher sans oublier de pousser ma tête contre le mur et je tombe aussi sec sur le sol pour me recroqueviller comme je l'avais prévu.

"C'est bien ce que je pensais. T'as rien à dire Natasha, dit-il avant de partir."

J'aurai aimé être plus forte mais il y a des moments, comme aujourd'hui, où je n'arrive pas à éloigner le souvenir de toutes les injures et de tous les coups que j'ai reçu. Alors je reste sur le trottoir à trembler et à pleurer en silence.

***

La nuit est déjà bien avancée et les clients font leurs vas et viens habituels dans le bar. Lydia est venue surveiller son nouvel amant exclusif de très près et cette fois elle se montre très possessive face aux harpies sur talons aiguilles qui tentent de draguer ce qu'elle déclare être "son barman". Le spectacle est à mourir de rire, Gabriel s'amuse à rendre dingue sa jeune copine et ne manque pas de lui faire remarquer l'amour qu'elle a déjà pour lui. Cet homme ne change pas, c'est un vrai charmeur.

"Au lieu d'épier le bonheur des autres, sers moi un verre."

Mon regard se dirige aussitôt vers la propriétaire de cette voix fatiguée. C'est sans surprise que je remarque qu'il s'agit de Jane et c'est d'un œil discret que je parcours le bar à la recherche de sa cour personnelle mais sans résultat. J'ai bien du mal à cacher mon soulagement en sachant que je n'allais pas revoir Sasha aujourd'hui.

"Je suis seule idiote, intervient Jane."

J'avais cru comprendre, j'ai pas besoin des sous-titres ! Je finis par lui servir un verre de vodka dilué car son visage crispé et gonflé sûrement par les larmes m'indiquent qu'elle n'est pas venue déguster nos délicieux cocktails. Elle a bien de la chance d'être majeure sinon j'aurai pu lui pourrir encore plus la soirée en lui servant un coca light. Evidemment, elle enchaîne les verres pendant une petite heure et manque à plusieurs reprises de s'endormir sur le comptoir. Je tiens Gabriel à distance pour ne pas qu'il la jette ivre sur le trottoir car il est du genre peu raisonnable.

"Tu devrais arrêter de boire, je tente."

- Et toi tu devrais arrêter de parler et me servir encore un verre !"

Je soupire mais ne m'y oppose pas, si elle veut se saouler ça ne me regarde pas. Parfois je l'entends marmonner et je peux dire qu'elle emploie un vocabulaire peu chrétien. Je devine vite qu'il s'agit de l'éternel problème de sa vie qui porte le nom de Sasha. Il aurait mieux valu qu'elle reste en admiration devant le Sasha dans Pokemon plutôt qu'elle s'intéresse à cet être peu scrupuleux.

" Toi qui est cocue..."

Rhoo pourquoi elle ouvre la bouche pour me dire ça...

"Tu devrais savoir mieux que personne que les mecs sont des connards... De vrais nymphos! Ils n'ont pas fini de se faire une fille, qu'ils pensent déjà à la prochaine chatte qu'ils vont embrocher!"

Suite à cette charmante intervention d'une grande poésie, Jane délaisse son verre et s'étale sur le bar, sa tête entre ses bras. Et évidemment, j'entends ses larmes et comme je suis conne, je lui donne un paquet de mouchoir que j'avais dans ma poche. Je garde un œil sur elle mais profite qu'elle soit plus calme pour m'occuper d'autres clients.

À l'autre bout du comptoir, je rejoins deux hommes un peu éméchés. Le premier est un véritable gorille humain et semble avoir la quarantaine. Alors que l'autre semble plus jeune, il est bien plus maigre et surtout bien plus saoul. Se sont des habitués des lieux depuis déjà un an et ils sont plutôt sympas pour des garçons que je ne vois la plupart du temps que dans un état un peu pitoyable entre le jeudi et le samedi soir.. Lorsque j'arrive à leur hauteur, le grand gorille me sourit à pleine dent alors que le second comme à son habitude reste immobile.

"Ah voilà ma barmaid favorite ! s'écrie le seul qui semble encore vivant.

- Je suis certaine que tu dis ça à toutes les autres pour avoir des conso gratuites hein Danny.

- Est-ce que ça marcherait ?

- Jamais avec moi, lui dis-je en lui tirant la langue.

- Dommage... Tu peux appeler un taxi pour nous, je crois que mon acolyte ne survivrera pas à un verre de plus."

Comprenant qu'on parle de lui, le maigrichon semble prit d'un éveil soudain.

" Nath un verre ! Non une bouteille !"

Dans son élan, le pauvre est tombé au sol et personne ne fut assez rapide pour le rattraper à temps et je dois admettre que je l'aurais bien laissé ainsi si je ne devais pas nettoyer après lui s'il vomissait sur le plancher. Heureusement son ami est largement maître de lui-même pour l'aider et le relever.

" Je vais appeler un taxi.

- Merci Natasha.

- Amènes Maxime aux toilettes, il va tout dégueuler et personne n'a envie de voir ça."

Danny obéit sans plus de paroles inutiles. Ainsi je les vois disparaître en direction des toilettes. Après avoir appelé un taxi, je me dirige à nouveau vers Jane qui semble avoir émergée.

"Je croyais que la prostitution était une affaire de famille chez vous, ils sont gay ou ils veulent pas d'un squelette ?"

Sérieusement, d'où lui vient ce genre de remarques si stupides? Ce ton méprisant me donne envie de meurtre ! Je n'ai couché qu'avec un seul homme dans ma vie et c'était mon copain ! Cependant elle le sait déjà, ses mots ne sont que le résultat d'une envie irrésistible pour elle de me brûler vive. Et ceci n'est pas un euphémisme. Alors que je m'apprête à mettre un terme à cette conversation, enfin si on peut appeler les cris d'une sirène souffrant de la rage une conversation, je perçois comme un choc oculaire. Grande blonde pulpeuse, parfaite dans tous les aspects de sa vie de Barbie, même pas sortie de sa boîte en plastique rose ! J'ai nommé Linda ! Je n'aurais jamais dû sortir de cette église...

Cette poupée croise mon regard et c'est avec horreur que je comprends qu'elle se dirige vers moi puis prend place à gauche de Jane. On se dévisage les unes après les autres, Linda semble nerveuse, Jane amusée par le comique de la situation et moi totalement résignée à ce hasard mal foutu ! On ne s'était pas retrouvée ainsi depuis la seconde, pour dire à quel point c'est une situation inédite. Jane décide de briser la glace d'une manière assez personnelle je dois dire.

"Je savais pas que c'était la réunion des salopes ce soir. Allez, j'offre ma tournée !

- Un truc bien fort s'il te plaît Natasha."

J'hausse les sourcils un peu surprise par sa demande sachant que Linda ne boit que très rarement étant focalisée sur ses ambitions plutôt que sur sa vie de lycéenne. Et en plus, je sais parfaitement qu'elle n'est pas encore majeure.

"Fais pas ta rabat-joie et sers nous à boire ! Tu vois bien que c'est pas son jour à notre petite voleuse de copain, poursuit Jane. Prends-en un aussi, ça te détendra un peu le cul."

Merci pour ce conseil très avisé mais je suis contrainte au refus. Je ne veux pas être la complice de leur relation malsaine et égoïste. Je leur sers donc un verre de whisky chacune que Linda boit d'une traite manquant de s'étouffer au passage m'enfin bon passons ce détail peu glamour. Pauvres microbes et postillons, vous n'intéressez personne. Jane applaudit bêtement devant cette scène et lui passe même son verre !

"Un problème avec Eddy ? l'interroge cette peste brune avec un petit sourire en coin.

- Et toi un problème avec Sasha je suppose.

- Oulala, tu es haineuse ce soir. J'adore ça !"

Je décide de fuir pour m'occuper des autres clients. Heureusement qu'ils sont là pour m'offrir une belle porte de sortie !

***

Mon service arrive enfin à son terme ! Mes deux anciennes amies ont quitté le bar ensemble depuis un moment déjà, c'est donc plus sereinement que j'ai pu passé ma soirée. J'avoue qu'une partie de moi désirait rester auprès d'elles mais ces deux personnes sont aujourd'hui semblables à tous les inconnus que je croise dans les rues. Alors que je sors du bar, je sens mon portable vibrer dans ma poche de jean. Waoh j'ai reçu au moins dix messages, certains envoyés par Jane d'autres par Linda.

Viens nous rejoindre au parc pour enfants sur les quais petite pute, pause nous un lapin et se sera plus ta mère ton pire cauchemar. Jane

Faisons une trêve pour la nuit, mon amie me manque. Rejoins-nous. Linda.

Enfin pleins de messages dans le genre. Je soupire me disant que les rejoindre est la pire idée que je n'ai jamais eu, pourtant ma décision est prise, ma curiosité l'emporte, je me risque à ne plus voir le soleil car elles pourraient me tuer. Je longe donc les quais d'un pas lent, histoire de les faire poireauter un peu plus. Dix minutes plus tard, j'arrive à destination. Je les vois, l'une assise sur une balançoire pendant que l'autre la pousse de toutes ses forces. Je les entends rire et crier, retrouvant chez elles une sorte d'insouciance que je croyais perdue. Je m'approche en silence puis m'installe sur le toboggan juste en face. Je me souviens que cet aire de jeu minuscule représentait souvent un lieu de réunion secrète, notre refuge. Au pied de la balançoire je remarque plusieurs bouteilles de bière vides. Ces idiotes n'ont apparemment pas assez bu au bar... Elles ont sûrement trop de choses à oublier, tout comme j'aimerai oublier ce qui nous a séparé mais aucun alcool ne peut réparer notre lien passé.

"Tu te réveilles la carcasse séropositive ! m'interpelle Jane qui semble avoir enfin remarqué ma présence. Viens dire bonjour aux étoiles. "

Suite à cette phrase, Linda tente de se lever de la balançoire et de tenir sur ses jambes. Je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire lorsque son très estimé postérieur rencontre brutalement le béton. Blondie Barbie fond en larme comme un bébé, de vraies larmes de crocodiles.

"Je veux... Je veux un câlin de Nath euh !"

Linda tente de se relever maladroitement et titube jusqu'à moi, m'écrasant ensuite de tout son poids. Je vais mourir asphyxiée par sa poitrine, génial !

"Plan à trois ! s'écrie Jane en se jetant sur nous.

- Je suis pas un putain de matelas..."

Cette complainte se révèle totalement inutile. Chacune finit par trouver sa place sur l'une de mes cuisses, je respire enfin ! Et ne me demandez pas pourquoi mais Jane vient de poser sa main sur l'un des seins de Linda qui semble ne pas s'en étonner... Un petit massage mammaire gratuit ! Comment refuser voyons...

" Bah putain t'as pris des seins ! Barbie est devenue bonne !

- T'as vu ! J'en suis fière ! Je fais du D maintenant, nous informe malgré moi Linda.

- De vrais obus atomiques ! s'exclame Jane en totale admiration."

Je dois être la seule des trois à penser qu'elle doit avoir bien mal au dos. Soudain la main libre de cette brunette perverse vient saisir un de mes seins.

" Toi par contre, t'as perdu..."

J'hausse les sourcils et retire sa main. Elle ne pouvait pas garder cette évidence scellée dans sa bouche ?

" Faut croire qu'il préfère les petites poitrines... se lamente Linda.

- Oh ! On parle d'Eddy maintenant ! J'adore les sujets qui fâchent ! s'exclame Jane.

- T'es pas obligé de crier juste à côté de mes oreilles pour autant.

- Tsss, arrête de te plaindre Nath ! râle Jane avant de me tirer la langue. Donc qu'est ce qu'il se passe avec notre prince déchu ?

- Il est amoureux d'elle ! s'exclame Linda en me désignant du doigt. "

C'est pas très poli de montrer du doigt ! Où sont passées les bonnes manières des gentilles jeunes filles?

" Il m'a quitté pour toi, il ne m'aime pas, dis-je pour la rassurer.

- Une aventure excitante... Se sont ses mots pour définir notre relation...

- Sasha me dit presque pareil pour toutes les putes qui se tapent dans les ruelles !

-Tais toi Jane, j'ordonne à cette idiote avec en bonus une petite tape sur le crâne.

- T'as pas le droit de taper ! C'est maman qui l'a dit !

- Rhoo arrêtes de faire la gamine deux minutes. Regardes Linda a les larmes aux yeux avec tes bêtises.

- Oh ma Barbie faut pas pleurer ! Viens, on se marie ! Plus de cons, plus de mensonges, plus de bite ! Même si ce dernier détail ne m'enchante pas du tout.

- Je propose un mariage à trois ! poursuit Linda de nouveau enjouée."

Je sens que ce délire va durer toute la nuit...

***

Cette nuit je ne suis pas rentrée à l'appartement. Au lieu de ça, j'ai suivi les deux folles saoules plus ou moins de force jusqu'au studio que loue Linda dans le centre ville. Elles ont vomi toute la nuit, c'était pas glamour. Et pour couronner le tout, je me suis retrouvée au milieu du lit, profitant pleinement de l'haleine alcoolisée de ces deux pots de colles ! Autant vous dire que ce n'était pas une nuit des plus reposante.

Lorsque j'ai ouvert les yeux, j'étais seule et un instant j'ai bien cru que je ne savais pas où je me trouvais. Je traîne des pieds jusqu'à la porte qui donne directement sur le salon. Je retrouve Jane couchée sur le canapé avec une compresse humide sur le crâne tandis que Linda est portée disparue et puisque j'entends l'eau couler, je peux affirmer qu'elle n'a pas été avalée par un trou noir vers une autre dimension. Connaissant bien les lieux, je me dirige vers la partie cuisine et sors d'un des placards du haut un grand paquet de céréales au chocolat puis je viens m'écraser sur le seul fauteuil libre. Jane ne m'adresse aucune parole, aucun regard, le silence d'une cathédrale mêlée au froid du pôle nord... Ça picote un peu... La trêve est sûrement déjà terminée alors je ne prendrai pas le risque d'entreprendre une action suicidaire et d'aller lui parler. Finalement je décide de ne pas m'attarder davantage et de partir avant d'être confrontée à Linda sobre. Alors que je suis sur le point de franchir la porte d'entrée, Jane m'interpelle:

"Tu fuis sans dire au revoir maintenant ?

- Au revoir."

Direct à l'essentiel ! Maintenant je suis prête à franchir la porte de sortie ! Sauf que Jane a décidé d'être un obstacle ce matin... Elle me retient par le bras, même si avec la force de pâquerette qu'elle met dans son geste j'avoue être complice très largement de sa tentative de séquestration.

" Est-ce que tu vois toujours Eddy ? me demande-t-elle en plongeant son regard qui se veut pénétrant dans le mien.

- Il est venu me voir une fois au bar.

- Linda doit se méfier de lui ? De toi ? Ou de vous deux ?

- Les traîtres sont assortis, je m'en voudrais de gâcher une telle harmonie. "

Je ne prends même pas la peine de cacher l'ironie dans ma voix ni le dégoût que je ressens face à cette question idiote. Évidemment que Linda doit se méfier de lui ! Leur relation est basée sur une trahison infecte, c'est pas le meilleur commencement pour une histoire sympa. Jane soupire face à ma remarque avant de lâcher mon poignet.

" Elle regrette beaucoup, sache le.

- Je me doute mais ça suffit pas et ça suffira sans doute jamais.

- On ressemble à un ancien girls band qui ne se crêpe le chignon, commente Jane tout bas. On se retrouve au lycée malheureusement, me dit-elle en repartant s'installer sur le canapé.

- Malheureusement.

- Nath ! Oublis pas de prendre soin de toi, ça fait pitié de te voir marcher comme un zombie handicapé."

Le fait qu'elle ait remarqué et qu'elle se soucie du traitement que j'ai subi dernièrement par ma mère me fait sourire. Mon cœur ne quitte plus l'image de cet ancien trio durant tout le trajet du retour.

***

Aujourd'hui et malgré la courte nuit que j'ai passé, je suis allée en cours à 10h. Meganne est porté disparu... Encore... Sauf que cette fois elle a eu la délicatesse de me laisser un mot disant qu'elle passait le reste de la semaine chez Lou, l'unique amie que je lui connaisse. Jane est également présente en cours et on ne s'est adressé aucune parole. Par contre Linda ne cesse de m'envoyer des messages. Cette idiote avec ses professeurs particuliers a souvent du temps libre on dirait.

La pause arrive vite et je peux vous dire que cinq minutes suffisent pour que tout bascule. Nelly et Jane nous offrent un charmant spectacle, une dispute royale pour une cour qui semble s'ennuyer à mourir.

"T'as toujours été jalouse à en crever, rien ne change depuis le collège, t'es toujours une grosse gamine, se moque Nelly qui emploie un ton calme avec un sourire en coin.

- Personne ne peut jalouser une meuf qui transmet une chlamydia à tous ses plans cul."

Alala ça commence à cracher du venin. Jane n'était pourtant pas du genre à dire ce genre de choses pour humilier quelqu'un avant. Et puis, je sais par expérience qu'une réputation n'est pas toujours basée sur des faits. Personne n'a à savoir ce que fait Nelly de son cul de toute façon.

" Bah heureusement que j'ai pas couché avec toi depuis deux mois, poursuit Sasha.

- Ta gueule toi ! Je suppose que t'as pas dit à ta précieuse Jane que tu t'es tapé sa cousine Aurore durant tout l'été !

- Cette classe est un vrai magazine people, ricane un de leurs potes."

Jane ne semble pas vraiment sous le choc ni déçue. Elle soupire avant de reprendre la conversation.

"Sasha est pas du genre à cacher ses exploits sexuels, tu devrais plutôt te demander pourquoi il refuse de te toucher depuis si longtemps.

- Ma brunette préférée vient de marquer un point ! se réjouit l'autre con en mettant son bras autour des épaules de Jane.

- Rhoo mais t'inquiètes pas Nelly, je peux m'occuper de toi une fois que tu seras guérie, intervient ce porc de Justin.

- Parce que tu te l'ais toujours pas tapé ? T'es en retard mon pote.

- Je couche pas avec n'importe qui ! tente de se défendre Nelly les larmes aux yeux."

Un blanc gênant suit son intervention avant que tous se mettent à rire comme des oies. C'est alors que la sonnerie vient mettre un terme à cette scène si constructive... Le professeur d'histoire ne tarde pas à revenir en classe avec un café à la main. Parfois je me dis que mes camarades sont quand même inconscients de ce qu'ils disent, à moins qu'ils soient juste bêtes.

***

La dernière heure fut plutôt calme, j'ignore la raison de la dispute des deux reines des abeilles mais peu importe. Devant moi justement marche une blonde peinturée avec ses deux courtisanes, il s'agit bien évidemment de Nelly accompagnée de Rachel, sa petite demie sœur tout aussi démoniaque et de Charline, une fille avec des rondeurs mais qui reste sublime. Les deux jeunes de seconde ont attiré les projecteurs sur elles en faisant leur coming out, être lesbienne est apparemment à la mode... Existe-t-il une raison plus idiote pour prétendre être d'un autre bord ?

Passons ce détail futile, me voilà de l'autre côté de ma grille de fer, le vent léger apporte avec lui une douce sensation de liberté. Alors que je prends une grande inspiration, un corps inconnu se précipite contre moi, me voilà encerclé de bras dont je ne connais même pas le propriétaire ! C'est clairement une tentative maladroite d'agression ou de vole, pas de chance pour lui je n'ai rien à offrir. Mon haut devient légèrement humide. Depuis quand un agresseur prend ses victimes pour un mouchoir ? Je baisse donc les yeux et vois apparaître une petite tête blonde, son corps courbé pour que sa tête soit posée entre mon cou et ma poitrine. Je soupire en constatant qu'il ne s'agit pas d'un fou ou d'un criminel mais seulement de Linda toujours entrain de pleurer. Un peu agacée par sa soudaine métamorphose en pot de colle hyper forte, l'idée de la réconforter passe un instant au second plan. Je dépose finalement une main sur le haut de son crâne, tapotant maladroitement ne sachant pas vraiment quelle attitude adopter. Je me rappelle alors que Linda a toujours eu, du plus loin que je me souvienne, cette fâcheuse habitude de pleurer pour un rien. Sa fragilité émotionnelle a conduit ses parents à la retirer définitivement de toute école en 3ème. Jane prenait volontiers le rôle de clown tandis que moi j'étais sa confidente, je passais des nuits entières au téléphone avec elle pour calmer ses crises d'angoisse.

Un peu impatiente d'en finir, je décide de prendre ses joues entre mes mains et de lui relever la tête. À l'aide du pouce, j'essuie avec délicatesse ses larmes, c'est alors qu'elle m'adresse un sourire timide qui cherche à me dire merci.

"Laisse moi te raccompagner Natasha, la voiture de mes parents n'est pas loin, me propose t-elle.

- Ne te donne pas cette peine.

- Allez, acceptes. En plus j'ai les fameux cookies de mon oncle dans la voiture."

Je cède à cause de l'appel des cookies mais ce que je ne savais pas c'est que je n'étais pas la seule qu'elle se faisait une joie de ramener. Une fois dans la voiture, je tombe nez à nez avec Jane... Un vrai guet à pan ! Chacune mange des cookies sur la route sans dire un mot mais du coin de l'œil je peux apercevoir Linda esquisser un sourire, elle semble s'apaiser. Cinq minutes plus tard, Jane descend la première, dit au revoir à Linda et prend soin de m'ignorer. C'est presque blessant mais beaucoup trop prévisible. La route semble alors longue jusqu'à chez moi et ce n'est pas pour me déplaire. Malgré tous les vœux que j'aurais pu adresser à Dieu ou au Père Noël, me voilà sur le parking de mon immeuble. Et ainsi je retourne là où je n'ai pas envie d'être, mais cette fois, j'ai des cookies maison pour me consoler. 

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