Chapitre 06: Retour à la réalité

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Alors que je suis blottie dans un nuage de chaleur très agréable, je dois bien l'avouer, je sens une vibration qui me tire brusquement de mon sommeil fragile. D'une main hasardeuse, je pars à la recherche de mon portable sous mon oreiller. Au moindre mouvement, le bras de Mathys se resserre sur mes hanches. Je me retiens de le repousser violemment étant donné sa gentillesse envers moi.

Tellement gentil qu'il te papouille et embrasse ton cou jusqu'à ce que tu dormes voir après.

Rhoo cette information n'était pas nécessaire... Bref je trouve enfin la source de mon réveil forcé et plisse les yeux face à la lumière de mon écran qui semble vouloir m'aveugler ! Eddy... Pourquoi Eddy m'appelle ? Quoi ? Attendez ! Eddy, mon ex, mon seul amour que je tente d'oublier m'appelle ? Il veut ma mort ! Je décide d'ignorer son appel, dans les situations gênantes, autant prendre la fuite quand on le peut ! Alors que je tente de m'échapper de l'emprise de l'autre idiot, celui-ci se met à gigoter, il ose même râler !

"Je peux plus respirer pour info.

- Alors profitons ensemble de tes derniers instants de vie.

- Mais...

- Chut petite fleur d'hiver.

- Julian sort de ce corps immédiatement ! Je veux pas d'un pseudo romantique nul dès le réveil."

Soudain Mathys laisse apparaître ses grands yeux noisettes qui plongent malgré moi dans les miens. Détournes le regard imbécile, y a rien à voir !

" Alors tu ignores des appels ? me demande-t-il simplement.

- Ça nous fait quelque chose en commun."

Pour une raison totalement inconnue, sa mâchoire semble se contracter suite à cette phrase des plus banales. Autant de mystère ne peut cacher que des problèmes or c'est exactement ce que je cherche à éviter. En parlant de problème, les miens m'attendent sagement à l'appartement et il serait temps que je mette un terme à cette échappatoire. Ce qui est plaisant a toujours une fin. Je me lève sans que Mathys cherche à me retenir, il fixe le plafond depuis notre dernier échange et ne semble pas décidé à sortir du silence et comme je n'ai pas que ça à faire de l'observer, je me dois de le déranger.

"Tu peux me ramener chez moi ?

- Désolé, j'ai un truc urgent à faire mais Julian se fera un plaisir de te raccompagner."

Je ne dis rien alors qu'il quitte la pièce toujours aussi pensif. J'enfile rapidement mon jean et rassemble mes affaires avant de l'imiter. Alors qu'il se dirige vers la salle de bain, je prends la direction opposée et entre dans le salon où je retrouve Julian seul devant la télévision. Je m'approche davantage et remarque qu'il joue avec ses céréales devant un vieux manga. Il est si concentré et fasciné par ce qu'il voit que je ne peux m'empêcher de sourire, finalement je devrais peut-être rentrer à pied, je n'ai aucune envie de le déranger. Puis son regard se tourne vers moi tandis que ses céréales tombent maladroitement de sa cuillère.

" Un vrai bébé, dis-je en voyant cette scène.

- Que veux ma princesse de si bon matin ?

- Juste qu'on la conduise chez elle."

Julian pose son bol et se lève aussitôt avant de crier :

"Votre carrosse vous attend princesse !

- Bien évidemment, tu es un bon larbin.

- Ravissante mais cruelle, intéressant."

Je lève les yeux au ciel face à son sourire toujours pleinement satisfait et malicieux. Derrière ce beau sourire se cache sans doute un bourreau des cœurs et franchement je plains ses victimes sûrement nombreuses.

***

Le trajet se fait dans le silence si on oublie les quelques remarques qui se veulent poétiques de Julian, seule la radio berce mes pensées. À vrai dire je ne fais pas attention à mon conducteur, je ne pense qu'à mon retour qui me plonge à nouveau dans cet enfer. J'aimerai avoir le sourire en rentrant chez moi et raconter certaines de mes péripéties à ma mère mais je crains de ne pouvoir espérer la moindre complicité avec elle.

Après avoir indiqué le chemin jusqu'à mon immeuble, c'est la boule au ventre que je sens la voiture s'arrêter sur le parking. Pour ne pas montrer mes craintes, je descends sans perdre un instant, suivis de Julian. J'espère qu'il ne compte pas me suivre jusqu'à chez moi. Autant prendre les devants pour éviter la catastrophe.

" Merci de m'avoir raccompagné...

- Tu portes le pull de Mathys, m'interrompt Julian qui cesse de sourire."

Je baisse les yeux et constate avec horreur qu'il a raison... En espérant que ma mère ne remarque pas qu'il ne s'agit pas d'un de mes habits. D'ailleurs j'espère qu'elle n'a pas remarqué mon absence même si j'en doute. Je croise les yeux bleus du grand brun qui me fixent d'un air grave. Ai-je fait quelque chose de mal ?

" Je n'avais pas remarqué dans la précipitation... C'est un problème ?

- Oh ça c'est à Mathys de voir, ce ne sont pas mes affaires après tout mais ça risque de devenir intéressant."

Je ne dis rien mais clairement je hais les gens qui parlent pour nous embrouiller l'esprit ! Arrêter les énigmes, on est pas dans un roman d'Agatha Christie ! Et puis merde ça ne me concerne pas, je lui rendrais dès que possible, là je ne me vois pas me déshabiller en pleine rue ni devant Julian. On se dit finalement au revoir et il repart sur une petite phrase niaise comme il en a l'habitude. D'un côté cela me rassure, il ne me déteste pas enfin je crois.

Lorsque j'entre dans l'appartement, je retrouve toute ma fratrie devant la télévision. Et oui même Alexie fait acte de présence en ce dimanche matin et Nathan ne travaille pas, ou plutôt il est contraint à un jour de repos. Le pauvre, on va le plaindre cet acharné du travail. Je prends place sur le canapé à côté de Meganne. On est beaucoup trop serré sur ce maudit canapé! La notion de confort, c'est un doux rêve.

"Vous avez déjeuné ? leur demandais-je.

- Oui ! s'exclame Élisabeth sur les genoux de Romane.

- Il n'y avait pas grand chose mais Alexie est arrivé avec des chocolatines ! poursuit mon petit frère."

Alexie, ou le sauveur du petit déjeuner, me sourit nerveusement. Avait-il encore fait une bêtise ? Comment avait-il pu payer le boulanger alors qu'il est parti sans un sous en poche ? Ai-je vraiment envie d'élucider ce mystère ? Certainement pas. Devrais-je le faire ? Ce que je ne sais pas peut difficilement me faire du tort. Mais est-ce que je vais le faire ? Assurément ! Mais pour le moment profitons de cet instant calme devant la télé ou il n'y a ni cris ni plainte ni catastrophe. Je comprends vite que cette tranquillité est due à l'absence de ma mère qui s'est sûrement perdue entre les bars puis dans les bras d'un homme douteux hier soir.

***

La journée est bien avancée, Alexie se conduit en grand frère exemplaire et s'occupe de notre cadette avec Romane jamais bien loin tandis que Meganne n'a toujours pas prononcé un mot et dort depuis un moment la tête sur les genoux de Nathan qui est depuis complètement paralysé sur le canapé. Il râle et gesticule un peu mais n'ose la réveiller. Adorable non ? Quant à moi, j'ai fait du rangement et du ménage en prenant soin de cacher le pull de Mathys pour éviter les foudre de ma mère. Celle-ci n'est d'ailleurs pas rentrée et ne donne aucune nouvelle pour changer mais dans son cas pas de nouvelle, bonne nouvelle.

C'est alors que je reçois un appel de Gabriel, cet ami ingrat ! J'espère qu'il appelle pour s'excuser et non pour des reproches supplémentaires car je me ferai un plaisir de l'envoyer valser avec le diable s'il recommence.

"Natasha !

- En plus de m'insulter, tu veux me rendre sourde, de mieux en mieux."

Et hop un pique pas très subtile ! Faire dans la dentelle n'est pas ma spécialité !

" Ouais... Je suis désolé pour ça... Mais j'ai suivi ton conseil et j'ai appelé Lydia, m'informe-t-il.

-Alors ?

- Elle accepte de me revoir ! On a même rendez-vous ! Je crois que ça devient sérieux.

- Bah oui pauvre crétin.

- Je suis nerveux... C'est une fille bien et j'ai pas l'habitude d'en fréquenter.

- Ça je te le fais pas dire, sortir avec Nelly c'était pas une idée de génie.

- Tu sais ce qu'est un tabou ou faut que je te rappelle la définition petite ? me demande Gabriel sur un ton agacé.

- Rhoo arrêtes d'être énervé par cette histoire et passe à autre chose.

- C'est le cas mais mon amour propre a été violemment atteint ! Me tromper moi ?! Jamais on a osé me faire ça.

- Il y a une première fois à tout et puis c'est Nelly.

- C'est pas le problème ! Je suis un super bon coup, elle n'avait pas besoin d'aller voir ce merdeux, même une nympho pourrait être comblée avec moi !

- L'ego des mecs est désespérant...

- Chut et toi le chapitre Eddy est tourné ? "

Ail, le sujet qui fait mal. Finalement je comprends ce qu'il voulait dire par tabou...

Sauf que toi tu penses toujours à ton ex. Navrant...

" Il m'a appelé ce matin mais je ne lui ai pas fait l'honneur de décrocher.

- Bien fait ! Ce bouffon je l'ai jamais aimé !"

C'est vrai que ça n'a jamais été l'amour fou entre les deux. Va savoir pourquoi. Après quelque minutes on met fin à la conversation et je rejoins ma chambre, Nathan étant toujours bloqué sur le canapé. Je te dirai presque bonne chance mais non, ça me fait bien rire intérieurement, il est si maladroit avec les autres.

Tu penses être spécialiste dans ce domaine peut-être ?

Rhoo Chut ! Alors que j'entre dans ma chambre, je vois mes deux frères se faire malmener par notre cadette qui semble s'être transformée en véritable général ! Sans que je comprenne pourquoi, mes deux frères exécutent maladroitement un poirier bancal. Je souris en voyant le pied d'Alexis heurter l'épaule de Romane, l'un entraînant l'autre dans sa misérable chute. Élisabeth se met à imiter un rire qui se veut machiavélique et son regard rayonne de fierté. Voyant qu'elle maîtrise la situation, je fais demi-tour. C'est alors que je tombe nez à nez avec ma mère dans le couloir. Merde je ne l'avais pas entendu rentrer... Surprise, je reste immobile et bouche bée devant son apparence inquiétante. Ses yeux bleus peinent à s'ouvrir et ses cernes noires sont toujours plus gonflés, sans parler de son maquillage usé par sa soirée mouvementée. Mon regard s'attarde sur ce qui me semble être un long t-shirt mais qu'elle porte en robe avec des bas résilles ainsi que des escarpins rouges. On dirait vraiment une prostituée... Maman qu'as-tu encore fait ?

"Tu regardes quoi petite traînée ?"

Je baisse les yeux et perçois les ricanements de ma mère qui pénètre dans sa chambre. Et voilà un charmant retour à la réalité.

***

Lundi est passé lentement mais vraiment très lentement. Pour faire rapide, ma mère s'est remise de sa cuite pour se replonger dans une autre et alors que je faisais à manger pour les petits elle a décidé de tester la résistance de mon bras sous l'eau bouillante. Une expérience fort instructive. Et biensûr l'eau bouillante fut la plus forte et mon bras droit ressemble depuis à une horreur sans nom. J'ai dû me rendre aux urgences avec Nathan avec l'angoisse de laisser nos cadets seuls à l'appartement. Méganne s'est chargée de finir de cuisiner et jamais ma mère ne poserait la main sur elle. Après avoir raconté des bobards au médecin qui s'est occupé de moi et qui m'a assuré que c'était une brûlure superficielle et que je n'en garderai aucune trace après quelques jours et des soins attentifs, nous sommes rentrés. Ensuite Élisabeth a pleuré en appelant son père dans son sommeil et alors que j'essayais de la calmer, notre mère est entrée comme une furie dans la chambre en criant sur la petite. Évidemment ce ne fut pas une technique très bénéfique et je fus accusée d'être responsable de ses pleurs pour changer. Je peux passer le moment de la gifle je pense. Et tout ça en une soirée et une nuit. Un pur moment de bonheur !

Aujourd'hui a été plus tranquille, heureusement et je me dirige actuellement vers mon lieu de travail. Alors que je pénètre dans le bar presque vide encore, j'aperçois Gabriel entrain de se déhancher derrière le comptoir en chantonnant.

" Alors petite danseuse ce rendez vous ?"

Ma voix mit fin à sa danse d'allégresse.

" Te voilà petite rabat joie ! Et pour ton information, on s'est beaucoup beaucoup rapproché, c'était très chaleureux si tu vois ce que je veux dire.

- Ravale moi ce sourire sale pervers et épargne moi les détails de ta luxure.

- Jalouse !

- T'aimerai bien hein mais je ne te ferai pas ce plaisir.

- Aller grouille feignasse faut qu'on se mette au boulot !"

J'esquisse un sourire et me dirige vers le vestiaire du personnel pour me changer. En semaine, on a la chance d'être seulement par équipe de deux la journée et le soir et par une sorte d'accord tacite que Gabriel a passé avec son frère, qui est le patron de ce petit bar, nous faisons toujours équipe quand je travaille.

***

Je suis en service depuis deux heures et je pense que dieu doit aimer me mettre à l'épreuve car mon chère ex petit ami a décidé de me rendre une petite visite. Voilà comment je me retrouve dans un face à face des plus gênants... Bien sûr il est venu seul, sans Linda. J'imagine d'ici son inquiétude si elle le savait ici avec moi. Il n'a pas beaucoup parlé, même pas du tout et je me suis contentée de l'ignorer et de faire mon job. Il fixe le contenu de son verre de whisky depuis une demie heure déjà et je perçois déjà sa tristesse et son désespoir. Pauvre petit chaton abandonné.Il finit par boire une gorgée puis je sens son regard se poser sur moi alors que je tente de me concentrer uniquement sur la tâche si passionnante que représente la vaisselle.

"Tu vas bien ?"

Non, depuis que t'es là j'ai la nausée... Pauvre con, tu es plus mignon lorsque tu ne parles pas, t'as l'air moins pitoyable avec ta voix faussement fragile. Une fois encore je l'ignore totalement, je vous présente l'ouragan Natasha qui s'abat sur le minuscule bout de terre Eddy !

"Tu sais, je culpabilise..."

Laisses moi rire, ta partie de baise avec ma meilleure amie avait pourtant l'air orgasmique vu la tête de mec souffrant de la gastro que tu faisais ! Mais il vaut mieux que je reste de marbre, je ne lui ferai pas un plaisir supplémentaire.

Il soupire face à mon entêtement à garder un silence de cathédrale ! Rien que sa présence me donne envie de l'étrangler et il ose souffler ! La mort se rapproche de toi jeune traître, tu devrais commencer à fuir.

"Je sais que je t'ai fait souffrir et j'en suis vraiment désolé. Linda n'est qu'un passage, une erreur, ça ne va pas durer bien longtemps. J'étais pourtant persuadé du contraire."

Ce qu'il vient de dire tourne dans ma tête... Il est cruel envers moi et Linda qu'il m'a assuré aimer pourtant lorsque je les ai surpris ! Il pense me consoler en me disant ça ? Au contraire ! Maintenant je suis certaine que l'erreur c'était lui ! Alors qu'il semble vouloir ouvrir à nouveau la bouche, je préfère intervenir avant un dernier massacre !

" Tu devrais partir d'ici et en profiter pour comprendre que je ne veux rien savoir de toi ou de tes remords à la con. Linda t'aime alors ne joue avec ses sentiments que je n'ai pas perdu une amitié et un amour pour rien.

-C'est peut être trop tard mais si tu peux, pardonnes-lui, elle peut vivre sans moi mais pas sans sa meilleure amie."

Je réponds pas alors il pose un billet sur la table pour son verre et quitte enfin le bar ! Le revoir aussi gentil et prévenant me rappelle pourquoi je suis tombée amoureuse de lui au départ. J'aurai tellement aimé qu'on fasse mieux tous les deux. Soudain une main vient ébouriffer doucement mes cheveux, je lève les yeux et croise le regard inquiet de mon collègue. N'est il pas adorable ? Sans qu'il ait besoin de s'exprimer, je comprends qu'il cherche à cerner mon état émotionnel après cette confrontation.

" T'en fais pas blondie, mon cœur n'est pas plus en miette que d'habitude.

- Tu sais comment rassurer les gens dis donc."

Son ironie m'arrache un sourire avant que chacun se concentre à nouveau sur le boulot.

***

Après le service qui s'est terminé assez tôt, je marche sur les quais sans vraiment connaître ma destination, sans savoir si elle existe. Les nuits se réchauffent avec l'arrivée du printemps, le vent ne fait que caresser les corps qu'il croise apportant une certaine douceur à cette promenade nocturne. Soudain je remarque que le bar où travaille Mathys n'est plus très loin, je vois d'ici son enseigne briller. Je m'étonne qu'il soit encore ouvert à cette heure en semaine mais les bars dansants sont toujours très populaires.

Je suis devant l'entrée, la musique latine résonne à t'en rendre sourd, les gens se précipitent les uns après les autres au comptoir puis sur la piste de danse et dehors les fumeurs ont envahi la terrasse. Il y a vraiment trop de monde pour un jour de semaine. Je pénètre dans le bar en me faufilant plutôt aisément. Je me dirige vers le comptoir sans trouver Mathys. Je promène mon regard sur la piste et rapidement je reconnais Camille toujours accompagnée de ses deux maladroits danseurs. Je décide de les rejoindre, une poussée étrange de sociabilité m'y encourage. Julian est le premier à me remarquer et ne perd pas de temps pour me prendre dans ses bras chaleureusement... Je suis partagée entre un profond malaise et l'envie de faire rencontrer ma main à sa joue mais je me retiens quelque peu soulagée de son attitude si amicale.

"Natasha ! Tu peux plus te passer de moi hein, s'exclame le grand brun en me reposant à terre.

- Question de perspective, lui dis-je en lui tirant la langue.

- Laisses la respirer Julian ! Viens Nath, je te sauves de ce beau parleur."

Camille me prend par le bras et me tire vers elle tandis que Jordan se met à bouder comme un bébé ! L'un ou l'autre c'est pareil, ils me prennent pour un nouveau jouet. C'est alors que je croise le regard inquiet de Dimitri qui se montre trop calme pour que je trouve cela normal, même si je ne le connais que peu. Alors que les deux enfants continuent à me prendre pour une balle de ping-pong, je me désintéresse de leur petit jeu et suis son regard. Je n'aurais sans doute pas dû le regarder. Au fond de la piste de danse, loin des projecteurs aveuglants, je vois un grand brun qui ressemble trait pour trait à Mathys en train de danser collé-serré avec une fille tout en lui dévorant le cou ! Je ne dirai pas que ça me fait mal ni que ça me laisse indifférente, disons plutôt que je suis déçue. S'il était avec quelqu'un d'autre, pourquoi agit-il de manière si ambigu avec moi ? Ce genre de traîtrise me rappelle vaguement mon ex... Notez l'ironie et l'euphémisme de ma remarque. Je soupire et décroche mon regard d'eux pour me concentrer à nouveau sur le trio. C'est alors que je réalise qu'ils ont cessé de jouer ou plutôt de faire diversion. Tous les trois me percent de leur inquiétude à présent, elle me touche mais je ne veux pas de leur pitié, j'aurai aimé qu'on me prévienne car on ne sait jamais quelle erreur j'aurai pu commettre vis à vis de cette fille. Je sens une main me tirer vers le comptoir, je ne proteste pas. Camille décide d'intervenir la première.

"Tu arrives dans un moment compliqué de sa vie et...

- Je t'arrête tout de suite, j'ai pas besoin d'une justification ça ne me regarde pas, ni qu'on me console car je vais bien. On se connaît à peine lui et moi, je me suis jamais attendue à rien de sa part ou de la vôtre."

Les yeux bleus de Camille s'écarquillent et malgré ce moment je me dis qu'ils sont très beaux, un regard profond et intense à l'image des féroces océans. Soudain je me rappelle que j'ai toujours son pull dans mon sac. Autant lui rendre maintenant par l'intermédiaire de ses amis car je ne compte pas le revoir. Certes, on se connaît à peine et me draguer était sans doute un amusement sans mauvaises intentions mais je préfère prendre mes distances avec les personnes trop insouciantes.

" Tenez, c'est son pull, il est propre.

- Tu devrais lui rendre toi-même une prochaine fois, me propose Julian.

- J'en doute.

- Non ! Ne disparais pas de nos vies ma petite fleur !

- Julian tu es ridicule, soupire Dimitri qui ne semble pas se détendre."

J'esquisse un sourire tandis que je dépose le pull sur le comptoir. Avant de faire face à une situation des plus gênantes, je décide de mettre fin à ma visite et de rentrer chez moi.

" Tu veux qu'on te raccompagne ? propose Dimitri.

- Oh non, je ne veux pas vous déranger, je connais le chemin.

- Sois pas idiote, une jolie fille comme toi risque trop dans la nuit toute seule.

- On t'impose notre présence pour le retour! Et Julian arrêtes de dire des trucs comme ça c'est limite sexiste et très gênant, déclare Dimitri."

Je capitule et je quitte les lieux en compagnie de ces deux rigolos tandis que Camille a décidé de rester pour rendre son pull à Mathys et lui faire la leçon même si je l'ai presque supplié d'abandonner cette idée. Ils sont vraiment têtus pour des personnes qui ne me connaissent que de vue.

Bizarre... Ça me rappelle quelqu'un... Ah oui ! Toi !

***

Je n'ai pratiquement pas dormi cette nuit, voire pas du tout. Comme je n'avais rien à faire après avoir déposé ma cadette à l'école, j'ai pris une terrible décision ! Celle d'aller au lycée ! Autant dire que ce n'était pas une excellente distraction... Alors que je quitte cet endroit voué à l'asservissement des esprits futiles, je sens une présence désagréable derrière moi. J'accélère mais visiblement pas assez car je sens une main m'agripper fermement mes cheveux. J'étouffe une plainte alors que le visage de Nelly apparaît sur ma droite.

"Bah alors on attend pas ses amis Nath ? C'est pas sympas, déclare t-elle se voulant certainement sarcastique."

Je soupire et retire sa main de mes cheveux avant de poursuivre ma route. J'entends déjà Nelly pester contre moi. En entendant le bruit atroce de ses talons claquer sur le sol à un rythme effréné, je sais déjà que mon calcaire n'est pas fini. Cette idiote veut vraiment mon malheur aujourd'hui. Je devrais sans doute courir pour lui échapper mais je n'en ai pas la force, qu'elle fasse ce qui lui chante, ça ne me touche plus depuis longtemps. Sans surprise, une main attrape mon bras et tente de me retourner. J'obtempère pour en finir au plus vite avec son stupide besoin de combler son complexe d'infériorité. Elle semble quelque peu essoufflée, ses traits sont crispés par la frustration mettant en avant toutes les imperfections de son visage qu'elle tente de cacher avec toujours plus de fond de teint.

"J'avais pas fini ! Ta mère est trop saoul pour t'apprendre la politesse !

- Et la tienne est trop morte pour te dire de pas te conduire comme une pétasse, répondis-je à bout de nerf mais peu fière de moi."

Sa main s'écrase alors violemment sur ma joue. Je l'avais vu venir mais j'ai laissé faire. Pourquoi? Parce que parler de sa mère décédée pour l'insulter, c'était vraiment honteux. Cette gifle picote un peu seulement j'ai connu bien pire.

"Je vais me charger de te l'apprendre alors, continue-t-elle visiblement folle de rage.

- Natasha !"

Je reconnais cette voix, c'est celle de mon frère Alexie. Je me retourne et le vois se précipiter dans ma direction. Immédiatement, il se place entre moi et Nelly qui réagit par un léger rire moqueur totalement forcé à mon avis. Prend des cours de théâtre, t'en as besoin si tu veux jouer mieux que ça la pétasse du lycée.

"Oh mais c'est le super grand frère qui vient à ton secours ! Je vois que t'as enfin appris à tenir sur tes jambes, se moque cette idiote."

Alexie ne supporte pas les moqueries ou la discrimination, il est un vrai justicier malgré son vice destructeur. Alors je ne suis pas surprise lorsqu'il pousse brusquement cette garce qui s'écrase sur le béton en poussant un gémissement des plus dérangeant. Bon c'est pas une réaction très mature mais faut pas trop lui en demander non plus.

"Tu veux peut-être que je te recommande mon rééducateur ? Tu sembles en avoir besoin, répond ironiquement mon frère."

Alexie ne perd pas de temps et m'entraîne avec lui. Durant une bonne partie du trajet, il reste silencieux, j'ai d'abord pensé qu'il était énervé mais j'ai vite compris qu'il est préoccupé.

"Mathys est un mec bien tu sais, finit-il par dire.

- Peut être mais je sais trop bien que la trahison a un goût amer pour le causer à quelqu'un d'autre.

- Joanne et lui c'est fini.

- Pourquoi tu me dis ça ? Ça ne me concerne pas sa vie amoureuse.

- Tu pourrais cesser ton cinéma au moins avec moi ! s'exclame Alexie qui garde normalement toujours son calme."

Je soupire, il est clair que je ne pourrais échapper à cette histoire aujourd'hui... Mais je ne m'y résous pas encore.

" Depuis quand tu interviens dans ma vie ? oui je le provoque sans raison.

- Depuis plus longtemps que tu le pense sœurette."

Mince il s'en sort bien le grand frère.

"Sa vie est compliquée...

- On a déjà essayé ce registre mais sans résultat, désolé frérot.

- Son cœur est tout autant ravagé que le tien. Peut être que ça vaut la peine d'être patient non ?

- Tu essais de me trouver un mari ? le taquinai-je.

- Seulement de vous apporter à tous deux du bonheur Nath, ce que vous ferez de votre relation ne me regarde pas.

- Pour une fois, on est d'accord alors ne m'en parle plus. "

Il se résigne en sachant pertinemment que j'ai bien entendu ses paroles. Mais je doute toujours et peut être davantage à présent. Ma vie est compliquée, je ne veux pas d'une complication supplémentaire.

C'est donc avec Alexie que je vais chercher Élisabeth à la sortie de l'école. Comme il est un grand enfant, il décide de porter notre cadette sur le dos en courant, la faisant sauter et tourner. Ainsi notre chemin est bercé par les rires innocents de cette petite fille.

***

Les jours passent et avec eux les appels de Mathys. Si au départ je le trouvais insistant, je remarque qu'il semble rapidement abandonné. On est lundi, une semaine s'est écoulée depuis ma découverte au bar où il travaille et je n'ai aucun appel de lui. Je ne sais plus quoi ressentir entre la déception, la colère, la rancune ou tout simplement la tristesse. Je ne devrais pas m'en inquiéter mais Alexie m'a tellement saoulé avec son discours où Mathys a envie de se rapprocher de moi que j'ai fini par y croire. Cependant, il a nouveau fui l'appartement pour ne pas se confronter au comportement violent de notre mère. En vérité, il est parti quand il a vu l'état de mon bras. C'était trop pour lui j'imagine.

Je ne suis pas allée en cours aujourd'hui, disons que j'étais dans l'incapacité de m'y rendre. Le fait que ma mère m'ait battu violemment la veille a entraîné certaines conséquences malheureuses comme par exemple un morceau de verre enfoncé dans ma cuisse ou des hématomes sur mon ventre et sur mon visage. Heureusement Nathan est rentré de son travail et l'a enfermé dans sa chambre avant de m'amener une fois de plus aux urgences pour retirer le morceau de verre. Cette fois mon mensonge n'a pas été convaincant et j'ai eu du mal à persuader mon frère de partir avant l'arrivée des services sociaux.

J'ai eu du mal à me lever ce matin mais j'ai été convaincue par mon corps qui réclamait ses antidouleurs. A présent, je me retrouve face à mon reflet dans la salle de bain. Le miroir étant trop petit pour me donner une vision d'ensemble sur mon corps, je suis contrainte à baisser les yeux pour observer l'horreur qu'endure mon corps. Du bout des doigts, je viens toucher mes différents bleus et cicatrices. Une larme vient s'écraser sur ma joue, une larme de honte. Je ne suis plus qu'une masse déformée par les coups et trop maigre pour les supporter. Les os de mes hanches, de ma colonne vertébrale et de mes omoplates ressortent bien plus que chez les autres. Mon excuse pour ne pas me nourrir ? Les privations de ma mère qui ont fini par couper ma faim. Maintenant j'ai l'estomac rétréci et un mal fou à me nourrir correctement même quand je le peux. Ne pouvant plus me regarder en face, je fais des mouvements lents afin d'entrer dans la baignoire pour prendre une douche froide.

L'appartement est vide si on oublie la présence de ma mère qui dort entre ses bouteilles et son vomi dans sa chambre. Je sors donc en toute tranquillité de la salle de bain entourée d'une serviette jusqu'à ma chambre. Après avoir appliqué de la pommade sur mes hématomes et sur mon bras encore légèrement brûlé, j'enfile une simple tunique afin d'être plus à l'aise et d'éviter tout contact déplaisant avec le tissu. Je prends ensuite le temps de m'enfermer à clef dans ma chambre afin de passer la journée plus tranquillement. Je me tire difficilement jusqu'à mon lit en hauteur puis m'allonge doucement sur le dos, mon regard orienté vers le plafond blanc qui sera sans doute mon unique distraction. Je suis trop sous pression pour dormir mais que faire ?

Appelle Mathys ! Tu n'attends que ça !

Je ne vois pas du tout de quoi tu parles. Alors que je suis tranquillement en train de m'ennuyer, prête à entrer dans la phase de décomposition corporelle, j'entends la sonnette résonner dans l'appartement. J'ai tellement peur que cela réveille ma mère, que je me précipite hors de mon lit, me causant d'atroces souffrances alors que je me traîne jusqu'à la porte d'entrée. Je me prépare déjà à commettre un meurtre envers la personne qui est sur le point de causer ma mort! Une vie pour une vie, c'est de bonne guerre ! Alors que j'ouvre doucement la porte, je vois apparaître le visage de Mathys. Putain mais qu'est ce qu'il fout là ?

"Qu'est ce qu'il se passe ? Y a un cataclysme galactique qui t'oblige à te réfugier chez moi ?

- Non, je me suis dit que là tu pourras plus me fuir.

- Bah c'est raté."

Je parviens à lui claquer la porte au nez ! Ces plaintes de rage derrière la porte sont un délicieux présent. Ma réaction quelque peu expéditive est surtout dû à mon apparence que je veux lui cacher. En l'espace de ce petit échange, je ressentais déjà sa stupeur en voyant mon visage et je n'étais pas de taille face aux questions qui auraient été inévitables par la suite. Je fais le chemin inverse vers ma chambre, toujours en boitant sinon c'est pas drôle... Je traîne ma carcasse jusque dans mon lit et de nouveau le plafond devient mon unique interlocuteur. Finalement dormir semble la meilleure option. Le rêve pour oublier, pour fuir, pour m'évader jusqu'à la prochaine déception, jusqu'au prochain cauchemar.

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