Chapitre 4: l'attente

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24h ça peut paraître comme une poussière dans l'histoire des Hommes mais aujourd'hui le temps semble ralentir, me séparant encore davantage de ma fratrie. Nathan a réussi à joindre notre frère aîné qui par chance était sobre. Tous deux sont partis à leur recherche me laissant seule à l'appartement. Quelle idiote de m'être endormie ! J'ai voulu les aider mais ces crétins ont dit que je devais me reposer plutôt que de négliger ma santé. Avant de profiter de mon sommeil pour m'enfermer dans l'appartement. Je crois qu'ils n'ont pas très bien compris que ma fureur va les laisser sans descendance à leur retour. Je n'ai rien d'autre à faire que de tourner en rond à m'en rendre complètement folle ! Pour ce qui est de mon travail au bar, Gabriel me couvre. En échange je m'engage à lui arranger le coup avec sa belle demoiselle en fuite. Je ne sais pas si je suis bien placée pour donner des conseils en la matière mais bon, à ses risques et périls.

Je regarde mon portable, il est bientôt 19h et cela fait plusieurs heures que je n'ai pas de nouvelles de mes abrutis de frères. Ils raccrochent volontairement lorsque je tente de les appeler. J'abandonne l'idée mais ma vengeance sera terrible. Je lève mon regard sur le mur du fond du salon où j'ai disposé différentes photos de famille. Personne n'aimerait faire partie de cette famille alors pourquoi s'accrocher autant les uns aux autres ? Je suppose que notre solitude nous rapproche. Une forme d'amour fraternel qui nous est propre et qui nous unie dans cette tempête sans fin.

Le cliquetis de la serrure me sort de mes pensées. Je me précipite vers la porte d'entrée. Mais ce que je vois me laisse perplexe. Un inconnu est devant moi. Oh putain ! Un inconnu a forcé ma porte ! Alors qu'il allait dire quelque chose qui ne m'intéresse absolument pas, je lui ferme violemment la porte au nez ! Ça t'apprendra à jouer au cambrioleur chez moi ! Ne sachant pas quoi faire, je reste contre la porte comme pour l'empêcher d'entrer. Avec mon poids plume c'est un peu utopique voir carrément ridicule mais bon. Cette pensée me fait trembler. Mais vraiment pas beaucoup hein !

Quelle trouillarde...

"Natasha laisse-moi entrer ! s'écrie une voix grave de derrière la porte d'entrée.

- Oh merde il connaît mon nom, ça doit être un malade, me dis-je assez bas pour ne pas que l'inconnu entende."

Il frappe à la porte me faisant sursauter. C'est un fou lui c'est certain. Il peut crever que je ne le laisserai pas entrer ! En plus, cet obsessionnel ne peut pas arrêter de crier ! On va encore entendre parler des voisins de palier. Soudain plus rien. Enfin ! Il est long à la détente celui-là. Par précaution je préfère ne pas bouger de place. On ne sait jamais s'il revient et je n'ai aucun moyen de fermer de l'intérieur. Si je survis, je vais faire un massacre ! On parlera de la folie meurtrière d'une sœur aux informations du soir. Je sens des vibrations provenant de ma poche. J'en sors rapidement mon portable et réponds en voyant le nom d'Alexis s'afficher.

"Dès qu'on a retrouvé les petits vous êtes morts !

- C'était l'idée de Nathan ! dénonce mon aîné. Laisse moi vivre grand maître Natasha !

- Toujours aussi lèche botte, constate une voix masculine un peu lointaine que j'identifie comme étant celle de Nathan.

- Bref vous avez du nouveau ?

- Pas vraiment. On va rentrer tard alors je t'ai envoyé de la compagnie pour te consoler de notre absence.

- Très drôle Alexis.

- Je suis sérieux. Laisse entrer Mathys, il m'a dit que tu voulais le laisser mourir sur le seuil de la porte.

- C'est qui ça Mathys ?

- C'est moi ! intervient la voix derrière la porte.

- Tu vas me le payer.

- Moi aussi je t'aime sœurette."

Je raccroche sans prendre la peine de lui répondre. Je me relève et pars m'asseoir sur le canapé. Il a ouvert la porte une fois, il sera donc le refaire. Et puis ce n'est pas mon invité je n'ai aucune raison de lui faire bon accueil. J'allume la télévision et l'instant d'après l'inconnu pousse la porte puis entre dans mon champ de vision. Je ne lui lâche aucun regard, aucun son ne sort de ma bouche. Je ne suis pas du genre à briser la glace. Monsieur je m'impose devra faire avec !

Se sont tes frères qui l'ont imposé.

Ce n'est pas un kidnapping, il pouvait dire non. Mais je ne suis pas totalement injuste, mes deux traîtres de frères vont bien davantage souffrir! L'inconnu ose venir s'installer à côté de moi. Trop proche à mon goût. Bon il ne me colle pas mais s'il pouvait avoir plus de distance se serait sympathique.

" C'est une habitude chez toi de claquer la porte au nez des gens ? intervient la voix de la chose qui squatte mon canapé.

- Peut-être, peut-être pas. Je ne vois pas en quoi ça te concerne."

Bim ! Si ça ne le refroidit pas pour me parler c'est qu'il est vraiment motivé.

" Vu que c'est la deuxième fois que tu me fais le coup, je pense que ça me concerne."

Attends ! La deuxième fois ? Je t'ai jamais vu toi ! Tu as dû halluciner ! Gardons son calme. Ne laissons rien paraître.

"Je t'ai jamais vu."

Il soupire bruyamment. Un sandwich emballé dans un film plastique apparaît sur mes genoux que j'identifie rapidement comme un poulet crudité ! J'écarquille les yeux devant ce geste inattendu. Le plus bizarre c'est que j'ai déjà vécu cette scène il y a pas si longtemps. Je fais volte face et affronte le regard amusé de cet inconnu qui n'est pas si inconnu que ça finalement.

" Le soupçonné pervers du bar ! je m'exclame sans le vouloir vraiment."

Oh putain ! J'ai encore fait une gaffe ! Je mets immédiatement mes mains sur ma bouche et je sens le rouge me monter aux joues, bien malgré moi. Ses yeux noisettes soutiennent mon regard et par fierté je fais de même.

"T'es vraiment étrange, me dit-il finalement.

- Je viens d'une autre planète c'est pour ça.

- Ce qui explique ton apparence de sac d'os."

Je tourne la tête sans rien dire de plus. Je ne montre rien mais ça veut pas dire que je suis faite en acier ! Tsss quel con. Je regarde le sandwich sur mes genoux et du bout des doigts le dépose sur la table basse.

" Manges frêle squelette.

- Je fais pas confiance au pervers soupçonné.

- Alexis va me tuer si tu meurs pendant mon tour de garde."

Là c'est trop ! Je vais le mettre dehors cet arrogant !

"La personne à craindre ici c'est moi alors dégages j'ai pas besoin d'une baby-sitter.

- Non c'est bon, je suis bien ici. Le canapé est confortable...

- Tu vis dans une poubelle ou quoi ? Ce canapé c'est l'horreur ! T'es vraiment bizarre, je le coupe avec un peu trop d'enthousiasme.

- C'est vrai que le ressort derrière moi me tue le dos, m'avoue Mathys.

- Prends ça. "

Je tiens à préciser que je lui tends juste un petit coussin alors pourquoi ses yeux semblent sortir de leur orbite ? C'est pas le don du siècle, accepte et surtout ne dis rien, c'est énervant les remerciements. Comme ce spécimen est sous le choc, je prends l'initiative de le ramener sur terre en écrasant le coussin sur sa tête. Alors que mon arme fatale retombe sur ses genoux je croise son regard dont je ne comprends pas bien l'expression. Je vois naître au coin de ses lèvres un rictus, peut-être nerveux ou bien amusé, je l'ignore. J'ai l'impression qu'on nous a mis sur pause, aucun de nous deux ne bouge ou ne parle. Je décide finalement de détourner mon regard vers la télévision. Grossière erreur... Je suis littéralement assommée par un violent lancé de coussin! Je reprends mes esprits au son des ricanements de cet imbécile qui n'a visiblement pas compris que sa vie était en jeu.

"Putain, depuis quand un coussin fait si mal ?

- Seulement pour les faibles, me taquine Mathys, fière de lui. Bon mange maintenant ou je te fais manger comme le bébé capricieux que tu es."

Je soupire sans prendre la peine de répondre à cet arrogant. S'il y croit que je vais obéir c'est qu'il n'a rien compris.

Arrête de chipoter, tu as faim.

Je te demande pas ton avis ! Et voilà que je recommence à parler toute seule dans ma tête. Heureusement que c'est inaccessible ou je finirai à l'asile. Soudain je sens une main saisir ma mâchoire. Je sursaute avant de réaliser qu'il s'agit de Mathys armé de son fameux sandwich dans l'autre main. Ce fou veut m'agresser en fait! Il presse légèrement son emprise afin de me forcer à ouvrir la bouche et malheureusement ce sauvage est hulk, je cède donc facilement contre ma volonté. A moins que mon estomac ne soit son complice. Ce traître inutile ne m'apporte que des ennuis. Je remarque qu'il fronce les sourcils et que des plis apparaissent sur son front comme si cette action demandait beaucoup de concentration... Notez l'ironie. Bref mes yeux suivent la trajectoire du sandwich qui vient finalement s'enfoncer dans ma bouche et malgré l'odeur alléchante et une faim grandissante, je refuse de prendre la moindre bouchée.

"Croque, m'ordonne Mathys en bougeant ses doigts dans le creux de ma mâchoire."

Pour toute réponse, je soutiens son regard sans émettre la moindre réaction.

"Tsss... T'es vraiment agaçante comme gamine."

D'un coup cet idiot enfonce profondément le sandwich dans ma bouche. Manquant de m'étouffer je suis contrainte de mordre dedans non sans appétit mais chut c'est un secret.

Il a raison, une vraie gamine...

Mathys voyant que je coopère enfin lâche son emprise et sourit bêtement. Si je pouvais le tuer d'un regard il serait mort à l'instant même.

"Gentille petite, me dit-il en tapotant le haut de mon crâne."

Je grogne et retire d'un revers de main son bras au-dessus de ma tête. Monsieur joue à l'adulte responsable alors qu'il doit être plus jeune que mes frères aînés.

"Ah je me suis trompé, t'es pas une gamine mais un animal."

Je me replace dans le fond du canapé pour regarder enfin mon émission. Je crois que cette fois il a compris que seul le silence m'est profitable et non son besoin futile de conversation. L'atmosphère est froide, je sens qu'il me jette des regards, certainement pour vérifier que je mange et pour être tranquille je préfère obtempérer. Pendant un moment j'ai occulté l'absence des petits, mon cœur est moins lourd. Je ne sais pas pourquoi mais je me sens plus sereine.

Serait-ce parce que quelqu'un est venu s'occuper de toi ?

Je déteste me répéter mais pour toi ma chère conscience, je vais le faire. Je n'ai pas besoin d'une baby-sitter!

***

Il est bientôt 20h30 et le silence règne depuis l'épisode du sandwich. Si au début cela me plaisait qu'il se taise enfin, maintenant cela me paraît un peu pesant. Je fais semblant d'être captivée par l'écran de la télévision mais j'ai juste envie de pleurer. Sans ma famille, la futilité de mon existence est juste insupportable. Sans eux je ne suis rien, je n'ai ni but ni envie ou alors je les ai ignoré trop longtemps pour les percevoir à présent. Autrefois je me réfugiais vers mes seuls soutiens, Eddy, Jane et Linda mais cette option n'est plus possible. Mathys est juste à côté de moi, enfoncé dans le canapé en train de tapoter sur l'écran de son iPhone. Il doit avoir les moyens pour s'acheter un tel portable. Fin peu importe je ne vais pas le déranger et puis avec mon comportement il va sûrement croire que je suis lunatique ou bipolaire. Sentant que mes yeux brûlent légèrement, me suppliant pour libérer mes larmes, je décide de ramener mes jambes contre ma poitrine et de les encercler des mes bras afin d'y cacher mon visage. Pleurer en silence c'est facile mais je n'ai pas encore inventé les larmes invisibles. Recroquevillée sur moi même, j'espère me couper de tout.

Je ne peux m'empêcher de penser à ma mère. Elle se fiche bien de ses enfants, seuls ses envies comptent. Je ne peux me plaindre car j'ai provoqué cette situation. Je me souviens encore des mots durs de mon père, des cris de cette femme que je ne connaissais pas à qui je venais de ruiner son mariage et l'attention affectueuse inattendue de cet homme. L'ignorance vaut mieux que le savoir. Cela se discute mais j'aurais aimé ne rien savoir de la double vie de mon père. Le mensonge implique une certaine fatalité mais la vérité est-elle meilleure ? J'en doute et puis maintenant c'est trop tard.

"Natasha, m'interpelle Mathys, je dois aller travailler.

- D'ac... D'accord, je bégaye sans parvenir à dissimuler ma tristesse."

Sans lever la tête par honte, je devine qu'il s'approche de moi par le bruit de ses pas. Je l'entends soupirer. Bah si je te dérange, ne te gênes pas pour partir ! Je ne te retiens pas!

" Tu te caches pour pleurer, vraiment ? me demande-t-il comme agacé.

- Ça te regarde pas ! Vas t-en !

- Bizarrement ça me donne envie de rester.

- Hein ? dis-je surprise en sortant de ma bulle.

- Oh putain ! Je comprends que tu te caches, on dirait que t'as pris un coup de soleil !"

Face à sa remarque je fuis son regard en me mordant la lèvre inférieure. Il finit par être vexant. Je sens alors son souffle près de mon visage, même trop proche! Je ne bouge pas pour ne pas trop montrer ma panique actuelle face à ce présumé pervers. Du bout des doigts, il saisit mon menton m'obligeant à lui faire face. Ses yeux noisettes soutiennent les miens me rendant soudainement très mal à l'aise. Je suis partagée entre l'idée de voir ce qu'il se passe et le repousser violemment. Avant que je me décide, il brise le silence.

"Tu as des yeux magnifiques. Dors davantage idiote, ces cernes dégueulasses gâchent tout."

J'écarquille les yeux devant sa remarque qui semble pour lui si naturelle alors qu'il s'éloigne. Je sens mes yeux me brûler encore un peu mais plus aucune larme ne s'en échappe.

" T'as un quart d'heure pour te préparer, bouge de là feignasse.

- Arrête de me donner des ordres déjà et ensuite je ne vais nulle part, c'est toi qui va cesser d'être nuisible à ma tranquillité.

- Oh parce que pleurer seule c'est être tranquille pour toi ? T'es maso en fait.

- Mais pas du tout ! je m'exclame en me levant du canapé pour lui faire face.

- Tu vois t'es debout, félicitation t'as déjà fait la moitié du chemin ! Maintenant trottine jusqu'à la salle de bain.

- Pour aller où ? je l'interroge par curiosité uniquement hein.

- Passer la plus belle nuit de ta vie !"

J'hausse les sourcils, peu convaincue par sa déclaration. Mais pas le temps de réfléchir qu'il me tire déjà dans le couloir de l'appartement pour m'encourager à me préparer. Je me résigne facilement, je n'ai pas grand chose à faire de toute manière.

Me voilà donc devant mon miroir. Je remarque alors les pointes fourchues de mes cheveux blonds puis je m'attarde sur mon visage qui s'est légèrement creusé. Combien de kilos ai-je perdu ? J'ai arrêté de m'en préoccuper il y a longtemps. Je me souviens également de sa remarque que je ne comprends pas. Mes yeux verts sont fades et fatigués, il n'y a rien de beau en eux. Je détourne le regard pour faire une toilette rapide. Je me dirige ensuite vers ma chambre afin de me changer. J'ouvre mon armoire, en bois blanc, et observe le vide sur les différentes étagères. Personne ici n'a les moyens de faire du shopping. Je saisis donc le seul jean propre qui me reste puis enfile un long pull rouge vif en laine désespérément trop large. On pourrait presque croire que le pull est plus lourd que moi et que je vais plier sous son poids. Sans oublier mon unique paire de chaussures, mes fidèles converses qui ont déjà trop souffert. Je suis ridicule comme ça. J'ai l'air d'une enfant désirant paraître plus âgée. Je finis par rejoindre Mathys dans l'entrée qui commence à s'impatienter. Il prend soin de fermer mon appartement pendant que je me dirige vers les escaliers.

Je reconnais sa voiture sur le parking face à l'immeuble mais alors que je pensais devoir attendre l'autre spécimen, il me dépasse ou plutôt me bouscule ce crétin ! Il me voit vaciller mais monsieur décide de faire l'indifférent ! Il est lunatique ce mec. J'ouvre la portière et monte à l'avant côté passager dans une atmosphère glaciale. Le trajet se poursuit dans un silence pesant. Son visage est crispé, ses yeux noisettes paraissent soudainement bien sombres. C'est plutôt inquiétant de voir quelqu'un qu'on connaît à peine changer ainsi de comportement. Je le regarde uniquement du coin de l'œil pour ne pas m'attirer les foudres de hulk. Mais qu'est ce qui m'a pris de monter dans cette voiture ? Je dois être dingue. Et la cerise sur le gâteau c'est la sonnerie de son portable qui sonne toutes les cinq secondes ! J'ai vite remarqué que c'était la même personne qui tentait de le joindre, une certaine Joanne. C'est franchement agaçant, alors au risque de mourir dans la minute je préfère intervenir.

"Tu devrais répondre, on est pas pressé."

Je regrette toute suite mes paroles en voyant tous ses muscles se contracter et ses mains agripper fermement le volant.

"J'aime pas être dérangé quand je conduis."

Je crois que je dois le prendre aussi pour moi. Je me résigne donc au silence et détourne le regard vers la route en posant ma tête contre la vitre gelée. La meilleure soirée de ma vie hein, publicité mensongère ! Elle n'est pas différente de celles que je connais déjà au détail près que je ne la partage pas avec la même personne mais si le silence règne cela revient à être seule. Je devrais sans doute me soucier de la cause de sa saute d'humeur mais non, la curiosité n'est pas ma principale qualité, s'il voulait parler il l'aurait fait. Sans que je m'en rende compte on arrive sur les quais du centre-ville, Mathys commence la descente vers un parking souterrain et je réalise que je pourrais et même devrais aller travailler. Pas le temps de finir ma réflexion que la voiture est garée et son conducteur déjà dehors en train d'attendre que je sorte. Une fois la voiture fermée je le suis jusqu'à l'ascenseur de sortie toujours dans ce même élan de conversation incroyable !

Arrivée dehors sur les quais, un vent léger vient me faire frissonner et sans que je m'en rende compte cet abruti m'a laissé en plan ! Au loin, j'aperçois sa silhouette et je suis obligée de courir pour le rattraper. Mais pourquoi je cours au juste ? C'est lui qui était censé me tenir compagnie et pas l'inverse ! Au final entre moi et les autres il y aura toujours ce vide, cette distance qu'il est impossible de combler. Personne ne semble faire exception. Soudain je rentre dans quelque chose qui arrête ma course et mes pensées pour le mieux sans doute. Je me frotte le front craignant d'avoir un bleu.

"Bah alors on peut plus se passer de moi ?"

Je lève la tête sachant très bien à qui appartient cette voix. Cet arrogant est vraiment lunatique ! Je constate donc que j'ai heurté le dos de Mathys qui semble à nouveau de bonne humeur. Je ne vois pas clairement mais je sens son regard amusé se poser sur moi me donnant envie de me cacher. Il manquerait plus que je rougisse et ce serait le jackpot !

"Tu m'emmènes ici et après tu te casses sans moi, franchement mon frère a de drôle de pote.

- Bah tu vois que t'as besoin d'une baby-sitter sinon t'es perdue, me taquine t-il."

Je ne réponds rien mais si j'en avais la force je l'aurais bien étranglé ou écartelé ! Je ne sais pas combien de fois j'ai eu envie de le tuer aujourd'hui mais peu importe j'espère que le regard noir que je lui lance lui transperce sa minuscule cervelle ! Maintenant qu'on peut lui parler sans risquer l'exécution en place publique, je vais en profiter pour lui dire gentiment que je me passerais de sa compagnie à partir de cet instant.

"Je vais travailler du coup, bye."

Je commence ma manœuvre pour le contourner lorsqu'il saisit mon bras. Vraiment ce spécimen est persistant, c'est légèrement irritant à force, une vraie tête à claque !

Et un point commun !

Je ne suis pas du tout comme ça ! Bref reprenons, l'individu têtu s'exprime.

"Tu ne vas pas travailler ce soir. Prends une pause pour une fois, laisses tes frères s'occuper de tout."

Sa voix est étrangement douce et chaleureuse, j'ai presque envie d'obéir.

"Aller viens, je vais te nourrir petit squelette ambulant."

Il m'entraîne donc avec lui en me tenant le poignet. Attends ! Pourquoi je le suis encore ? Natasha où est passée ta raison ? On marche depuis cinq minutes lorsque je me décide enfin à ouvrir la bouche.

"T'as pas du travail toi ?

- Si si mais pour une fille qui prétend connaître tous les bars de la ville, tu n'as même pas remarqué où on allait."

Il a raison, nous voilà devant le bar où il travaille. Ce bar dansant à la musique latine est déjà rempli de monde en train de boire et danser sans la moindre gêne et dans une bonne humeur presque étouffante. Je ne vais pas rentrer là-dedans, franchement je vais faire tâche au milieu de tous ces sourires et cette énergie festive. Avant que je ne proteste, Mathys m'entraîne à l'intérieur en direction du bar. Heureusement qu'il me tient sinon quelqu'un m'aurait sûrement piétiné tellement je suis maladroite. Lorsqu'enfin on dépasse la piste de danse, je m'écrase contre le comptoir du bar pour prendre ma respiration. Je ne sais pas si je suis agoraphobe ou claustrophobe ou même les deux mais cet endroit si fréquenté me dérange. Heureusement, le bar où je travaille est bien plus tranquille. Je sens une main me caresser les cheveux, réconfortante et agaçante.

"J'ai cette gamine sous surveillance ce soir les gars ! déclare l'autre abruti à des personnes dont je ne distingue même pas leur visage.

- Je t'ai rien demandé, dis-je sèchement en retirant sa main du haut de mon crâne.

-Je vous préviens, elle est pas aimable ni polie ni respectueuse envers ses aînés ni même drôle. En fait, elle est plutôt déprimante."

Il dit ça si naturellement comme s'il ne rendait même pas compte de ce qu'il disait et à quel point cela pouvait être blessant.

Seule la vérité blesse, c'est connu.

Je me passe de tes commentaires toi ! Bref j'ai perdu le fil de leur conversation. Mes yeux se sont habitués à l'éclairage agressif des projecteurs du bar, je peux donc enfin avoir une idée des personnes à qui on fait mon portrait peu flatteur. Je remarque une fille et deux garçons qui semblent eux aussi tout souriant, béats même, ils doivent vivre dans un monde de bisounours pour avoir l'air si niais c'est pas possible autrement. Je suis presque surprise de la taille immense de la fille qui dépasse tous les garçons et largement ! Si on ajoute à cela une couleur de cheveux assez particulière, le rouge et un style vestimentaire plutôt décalé, je dirai qu'elle plairait beaucoup à Meganne. Son silence à elle ne m'a jamais dérangé, je le comprends, il me manque même et laisse un vide autour de moi. Je ferme les yeux comme pour ressentir sa présence à côté de moi mais sentant une larme sur ma joue je suis contrainte de penser à autre chose. Je concentre donc mon attention à nouveau sur ce petit groupe d'inconnus. L'un des garçons me semble assez petit mais très soigné, il porte une chemise bleue nuit parfaitement repassée attachée jusqu'au dernier bouton ainsi qu'un jean d'un blanc éclatant alors que le second à sa gauche paraît un peu plus décontracté avec sa barbe de trois jours et ses longs cheveux noir de jais. Je perçois leurs rires et leur voix mais je suis depuis longtemps dans ma bulle et ne prête aucune attention à leurs paroles. Soudain Mathys se penche vers mon oreille et me chuchote:

"Désespères pas petite, je reviens très vite faut que je me change pour commencer mon service.

- Cool, je vais pouvoir fuir.

- T'inquiète j'ai pensé à tout ! Mes amis vont me remplacer.

- Vas bosser au lieu de gaspiller ta salive."

Mathys me sourit puis se redresse en direction de ses amis.

"Les gars je compte sur vous pour pas que la gosse s'échappe en mon absence !

-T'en fais pas, je vais pas la lâcher, déclare le mec aux cheveux longs en posant son bras sur ma tête."

Je lance un regard suppliant et meurtrier à Mathys qui lui étouffe un ricanement avant de m'abandonner avec ces inconnus sans doute aussi étranges que lui. Je décale ma tête et la gravité se charge de faire tomber le bras de cet impertinent le long de son corps. Et non je ne suis pas spécialement sociale, si c'était pas voyant jusque là bah voilà c'est dit !

"Je crois que la demoiselle a rejeté tes avances Julian, se moque le nain élégant.

- Mais non ! Elle est juste timide mais c'est évident qu'elle m'adore ! Tout le monde m'aime en particulier les filles, déclare le prétendu Julian plus ou moins sérieusement.

-Demandons à la principale concernée.

- Bonne idée Dimi !"

Ces deux garçons s'agitent beaucoup trop à mon goût autour de moi. Le présumé Julian aux cheveux de jais plonge son regard perçant dans le mien avant de prendre mon visage entre ses deux mains. Je suis perplexe mais reste stoïque face à cette situation insolite.

"Tu m'adores oui ou non ? Si oui ce qui est certain, je te donne mon numéro.

- Je ne te connais pas. Tu es toujours aussi tactile avec les inconnus ? Il paraît que ça traduit un besoin incontrôlable d'affection et d'attention, penses y la prochaine fois que tu touches quelqu'un sans permission."

Je retire ses mains sans faire face à la moindre résistance de sa part. Tous trois sont bouche bée et j'avoue être plutôt fière de moi. Tous ces mouvements, tous ces blabla, ils sont pas usés de trop en faire ! Ou alors ils sont tous hyperactifs. Un ricanement vient attirer notre attention. Je me retourne et sans surprise apparaît le visage de Mathys derrière le comptoir. D'une certaine manière il semble habité d'allégresse mais lorsque je me rappelle de son attitude dans la voiture je me dis que le revers de la médaille ne doit pas être tout rose.

"Je vous avais prévenu, elle est aussi douce qu'un ours."

Vraiment... Un ours ? Un jour il faudra que je te remercie pour tous ces charmants compliments.

"Moi je l'aime déjà ! s'exclame l'unique présence féminine. Elle a fait taire l'ego de cet idiot.

- Rhoo tais-toi Camille ! tente de se défendre de manière tout à fait lamentable, Julian.

- Natasha tu pourras pas t'ennuyer avec eux sinon c'est de la mauvaise foi.

- On verra ça Mathys, je le défie en lui tirant la langue, ce que je n'avais pas fait depuis un moment."

Très vite, il doit retourner s'occuper des clients toujours plus nombreux. Je reste assise au bar avec un paquet de chips que m'a offert Mathys pendant que les trois autres dansent sur la piste non en duo mais en trio. J'avoue que c'est assez divertissant surtout lorsqu'on voit deux garçons pour une fille qui n'ont pas vraiment le rythme dans la peau. Au moins ils mettent Camille sous les feux des projecteurs avec leur danse maladroite. J'aurais pu les rejoindre, ils me l'ont proposé mais je ne suis pas à l'aise cernée par autant de monde. Et puis soyons sincères, moi qui danse c'est un véritable massacre oculaire! Ce n'est pas le meilleur moyen pour se mêler à la foule c'est certain. N'empêche que je passe un bon moment, l'attente est moins pesante ainsi. Mathys avait raison à propos de cette soirée mais jamais il ne le saura sinon c'est trop facile et puis sa tête va faire comme une montgolfière et il va s'envoler vers d'autres cieux. Petite dédicace à Pokémon qui a bercé mon enfance. Soudain mon portable vibre dans la poche arrière de mon jean. Je saute sur mes deux pieds et m'empresse de sortir mon portable. Je décroche immédiatement en voyant qu'il s'agit de Nathan.

"Vous en êtes où ?

- On rentre pas ce soir, on va chez ton père."

A l'entente de ce mot je manque de m'étouffer. Ai-je vraiment un père ? Le fait de m'avoir conçu fait-il de lui mon père ? J'en doute. J'aurai préféré que la musique couvre ce mot.

"Maman serait allée chez lui, c'est mamie qui m'a prévenu.

- Ah... Ne dormez pas dehors.

- Ne t'inquiètes pas pour tes grands frères et passe une bonne nuit. Je te rappelle demain ou dans la nuit si j'ai du nouveau.

- Hm, à demain."

Nathan n'aime pas perdre de temps, un peu comme moi. Ça doit lui venir de la période où il était mannequin et que son emploi du temps ne lui donnait que peu de moment de tranquillité. Je soupire, je suis fatiguée mais je n'ai pas envie d'être seule ou peut être que si. Je ne sais pas ce que je veux, ce qui est bon pour moi, c'est une évidence. Je me rassois puis pose ma tête entre mes bras sur le comptoir. Mais lorsque je me sens partir dans le pays de Morphée, une voix douce et chaleureuse m'extirpe de mon nuage.

"Si tu veux dormir, vas dans les vestiaires du personnel, il y a un canapé.

- Ça ira, merci Mathys.

- Waoh ! C'est la première fois que tu me remercies !

- Chut !

- T'es mignonne quand t'es fatiguée.

- Arrêtes de te moquer de moi pendant un instant s'il te plaît."

Mathys semble surpris de ma demande. Je ne le comprends pas, vraiment pas. D'ailleurs je ne comprends que peu de gens dans ce monde de tarés.

" Viens petite je t'accompagne jusqu'au vestiaire."

Il sort de derrière le comptoir avant de saisir à nouveau mon poignet pour le guider vers ce fameux canapé. On passe une porte du fond qui donne sur un petit couloir, ensuite il ouvre la première porte à gauche et m'entraîne à l'intérieur. Je remarque au fond de la pièce un petit canapé qui sera parfait pour mon petit corps qui demande du repos. Je me couche sans attendre et ne vois même pas Mathys quitter la pièce que déjà je sombre dans le sommeil.

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