Chapitre 3: le lycée ou la maison ?

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On ne peut pas toujours éviter les problèmes et c'est bien l'une des choses les plus insupportables de l'existence surtout lorsque ta vie est déjà bien merdique. Après deux jours de recherche je n'ai pas réussi à obtenir un nouvel emploi, pas étonnant puisque je suis mineure mais tourner en rond ne me plaît pas et la pression que me met ma mère m'oblige à choisir entre la peste et le choléra ou en d'autres termes entre chez moi et le lycée. J'ai fini par opter pour le lycée après que ma mère ait gentiment cassé sa bouteille contre un mur en me menaçant une énième fois. L'amour entre une mère et son enfant ne devrait-il pas être sans limite ? Quel doux rêve ! C'est comme croire au père Noël, ce n'est qu'une image toute faite et qui manque totalement de réalisme. Sincèrement j'espère que peu d'enfants sur cette planète vivent avec l'absence d'amour de leurs parents. Bref passons cette prière certainement inutile. Je me trouve actuellement dans ma salle de bain, bientôt je devrais quitter cette pièce pour me rendre dans un autre lieu que je déteste. Je soupire à cette idée mais entre un assassinat et un harcèlement le choix est vite fait. Je coiffe mes cheveux en prenant soin de ne pas trop regarder mon reflet dans le miroir. Cela fait combien de temps que je n'ai pas eu le courage d'affronter ma propre image? Trop longtemps pour m'en souvenir. Décidément je passe mon temps à fuir.

La vie ne te laissera pas toujours fuir .

La vie je l'emmerde ! Elle choisit suffisamment pour moi donc si je veux m'enfuir ça ne regarde que moi ! Mes conversations avec ma conscience sont trop épuisantes et Dieu sait que je dois garder mon énergie pour cette journée qui va être longue, vraiment très longue. Je retrouve Méganne sur son lit toujours en train d'écouter sa musique cachée sous la capuche de son sweat. Elle lève ses yeux bleus vers moi une seconde avant de passer devant moi sans m'adresser un mot. Elle me boude parce que je l'ai convaincu d'aller en cours aujourd'hui. Je la suis jusqu'à la sortie et ferme derrière nous. Je suis obligée de dévaler les escaliers à grande vitesse afin de rattraper cette adolescente contrariée ! Pourquoi faut-il que je courre après tout le monde dans cette famille? Heureusement Nathan s'est chargé d'amener les deux plus jeunes à l'école parce que malgré tous mes efforts je ne peux pas me dédoubler. Je finis par arriver à sa hauteur puis un silence déjà bien installé reprend sa place entre nous durant tout le chemin que nous devons faire à pied. Encore 20 minutes de marche ! Après on se demande pourquoi je ne mets jamais de talons. La réponse est simple, j'ai déjà assez mal aux pieds comme ça ! Pourtant ces longues minutes qui nous séparent de notre destination sont loin d'être désagréables au contraire elles représentent le calme avant la tempête.

Il est presque 8h et une masse de lycéens se tiennent encore dans l'allée précédent l'immense portail en fer menant au lycée. Dès le départ, ce lieu se montre peu chaleureux et bruyant. Je ne perds pas de temps et pénètre dans l'enceinte de l'établissement suivis par ma sœur toujours muette. L'entrée donne sur une immense cour de béton parsemée de bancs en bois usés et de quelques arbres dénudés au tronc mince qui font vraiment peine à voir. Le premier bâtiment sur la droite est celui de l'administration. C'est celui où je vais le plus souvent. Suite à un dégât des eaux, la façade autrefois blanche a noirci et personne ne prend la peine d'arranger ce genre de détail. Puis dans la continuité de ce bâtiment se situe un espèce de bloc carré recouvert d'immonde couleurs ternes et fades et haut de trois étages qui constitue le bâtiment des langues, de la littérature et de la philosophie. Malgré son apparence douteuse c'est ici que je passe la plupart de mes cours étant en terminale L. Seul point positif son toit est plat et m'est accessible. Mais chut c'est un secret !

Bah tais toi alors idiote !

Je ne sais pas si t'as remarqué conscience débile mais personne ne peut dénoncer ce qui se passe dans ma tête ! Meganne échappe déjà à ma vigilance et part je ne sais où. En cours j'espère...

C'est beau de rêver.

Me voilà dans ce bâtiment carré, le rez-de-chaussée est composé d'un grand hall où les élèves se rassemblent en petit troupeaux. Ce lieu est devenu si important dans la vie des lycéens que le proviseur y a installé un baby-foot, un grand écran plat avec quelques poufs aux couleurs un peu trop agressives pour le matin ainsi que des tables rondes et plusieurs distributeurs. Chaque année la maison des lycéens ajoute quelques fonctions distrayantes à ce hall, je ne suis donc pas surprise en remarquant la présence d'un tout nouveau flipper. Dans le couloir qui traverse le rez-de-chaussée se trouvent des rangées de casiers bleus foncés. C'est justement là que je me rends afin de récupérer quelques manuels que j'avais délaissé. Je mets sans tarder mes écouteurs me coupant de ce monde sans intérêt. Je monte les marches lentement jusqu'au deuxième étage puis je tourne à droite et traverse un long couloir étroit jusqu'à la salle du fond où va se dérouler mon premier cours de la journée. J'ignore les corps déjà présents et me laisse glisser contre le mur jusqu'au sol froid. Les gens ne semblent pas étonnés de me voir. Personne ne se soucie des gens comme moi qui n'ont pas de place. Une étiquette pour tout le monde et tout le monde bien rangé sur sa petite étagère... À vomir ! La solitude n'est qu'un pauvre fardeau comparé à leur stupidité. Je suis loin de toute cette merde grâce à la musique Don't stop me de Queen. Mes pieds claquent le sol en rythme et le haut de mon corps l'accompagne dans sa danse. La sonnerie ne parvient pas à me tirer de mon paradis sonore éphémère. Et puis le professeur de littérature est toujours en retard. Les gens arrivent en traînant des pieds, sans réelles motivations comme chaque matin. Certains sont cependant plus souriants et animent le couloir inerte.

Parles pas trop vite. Regarde ta meilleure amie arrive !

Je croise le regard menaçant de Jane qui vient d'arriver. Quelle adorable camarade de classe... Une raison de plus de ne pas venir en cours, sa présence à elle ! Je me sens coupable de la destruction de sa famille même si je n'y suis pour rien. Je fuis donc la confrontation qui ne mènera nulle part. Jane n'est évidemment pas seule... La brune sans la blonde vous imaginez ? Et bien dans ma réalité Nelly et Jane sont presque siamoises. J'ai eu le jackpot... Deux pestes pour le prix d'une ! Je me demande si je ne devais pas partir en courant, histoire de rester en vie jusqu'à ce soir. Trop tard, le professeur ouvre la porte de sa salle et remarque ma présence si rare à 8h du matin. Alors que tout le monde va à sa place, je reste en retrait voulant repérer ma future place solitaire n'ayant aucune place définie.

"Natacha, m'interpelle le prof.

- Oui Monsieur Lachaud ?

- Vas t'installer à côté de Florian, je veux pouvoir profiter de votre présence exceptionnelle.

- Si vous y tenez, dis-je avec un sourire forcé en remarquant la place du premier rang qui m'est imposée."

Je balance mon sac sur la table et sors un trieur presque neuf ainsi qu'une trousse trouée et tachée de toute part avant de le laisser s'écraser sur le sol. Je m'affale sans aucune finesse sur le dossier de ma chaise et commence alors l'attente de la fin de l'ennui. Et ça parle encore et encore et plus le professeur parle plus il me perd et je me perds dans mes pensées. Je suis détendue car les pestes sont loin de moi. Florian est un mouton inoffensif. Il suit avec attention le cours mais cela ne l'empêche pas de bavarder avec son voisin de droite. Il n'ose même pas me jeter un coup d'œil et reste bien loin de moi comme si j'étais un nid à virus mortels...

C'est à peu près l'image que tous ont de toi et ta charmante famille.

Je dois avouer que tu n'as pas tort pour une fois. Le cours se termine lentement et alors que je m'engage dans les escaliers bondés je sens une main contre mes fesses. Oh putain quelqu'un va rejoindre ses ancêtres plus vite que prévu ! Je fais volte face et sans prendre le temps d'identifier la personne j'écrase mon poing contre son visage! J'entends un cris aigu me ramenant à la réalité. Ce cris provient d'une blonde, elle est accroupie à côté du corps étalé sur les marchés. Cette blonde n'est autre que Nelly. Y a pleins de blonde ici pourquoi faut-il que sa présence nocive me poursuive ?

"T'es une putain de folle ! s'écrie-t-elle en remarquant le sang sur le visage de son ami.

- On touche pas les gens sans leur permission. Apprend la leçon pauvre mec et tu auras moins souvent le nez qui saigne."

Je sens le regard de tous les spectateurs sur moi. Pitié qu'on m'offre la capacité de me téléporter ! Malheureusement personne n'a exaucé ma prière désespérée au lieu de ça le garçon se relève avec l'aide attentive de Nelly. Franchement ils exagèrent, c'est juste deux trois gouttes de sang. Je reconnais son visage, il s'appelle Justin, il est dans ma classe mais je ne lui ai jamais adressé la parole. Il ne semble plus sous le choque et un sourire en coin trône sur son visage carré. Ses yeux sombres me fixent avec une ardeur qui me rend nerveuse.

"Je t'aurais payé après, finit-il par lâcher, peu importe le prix."

Les rires autour de moi ne se font pas attendre. Je suis invisible dans cette école et pourtant tous connaissent ma situation familiale ou plutôt ils pensent la connaître. Ma mère est bien des choses mais elle n'est pas une prostituée et moi non plus. Je sers les dents empêchant des larmes de faiblesses envahir mes joues. Pour ajouter à ce moment magique un peu de piquant entre en scène Jane bras dessus bras dessous avec Sasha. Celui-ci repère immédiatement ma présence et se précipite vers moi.

"Bah alors Nath qu'est ce qui va pas ? me demande cet hypocrite."

Je ne réponds rien devant sa moue exagérée. Puis il se met à rire bêtement comme toujours.

"Pour que tu viennes pourrir ce lycée de ta présence c'est qu'il doit avoir une bonne raison hein, reprend Sasha.

- Ta mère t'a foutu à la porte ? me demande Jane sans la moindre compassion.

- Et tu as cru que tu serais la bienvenue ici? reprend Sasha en se moquant ouvertement. "

Cela serait un énorme mensonge si je vous disais que les voir m'encercler comme des loups autour de leur proie ne me fait pas peur. Pour dire vrai, ma mémoire marche à pleins régime me donnant toutes les raisons de trembler. Leurs yeux, leurs sourires mauvais qui se braquent sur moi tandis que tout le monde passe en m'ignorant me donne envie de pleurer. Mais je n'en ai pas le droit. Vous n'aurez pas une larme de moi. Alors je préfère serrer les poings attendant patiemment qu'ils se lassent.

" On peut commencer par te pousser des escaliers ! propose avec enthousiasme Nelly.

- Depuis quand Nelly pense ? J'aurai jamais cru que tu avais un cerveau ma belle, se moque Justin."

Même entre eux ils sont terribles... Désespérant...

"Passons direct de la théorie à la pratique !"

Après ces mémorables paroles, Sasha me pousse violemment en arrière. Je trébuche quelque peu et me rattrape contre la pauvre personne derrière moi. Les rires s'intensifient... Mes oreilles ne peuvent plus supporter ce son moqueur. Justin s'approche de moi alors que les trois autres s'éloignent, fiers d'eux. Alors que je m'apprête à fuir, l'unique danger encore présent m'attrape le bras. Faut qu'il perde cette habitude de me toucher ce déchet ! On dirait qu'il souhaite avoir un autre poing dans sa sale face de pervers ! Si j'étais dans un monde plus trash je lui vomirai bien dessus mais on va se passer de cette image peu élégante. Ses yeux marrons se baladent sur mon corps me procurant encore davantage de dégoût. Je pourrai peut-être lui vomir dessus finalement.

"Tu peux toujours changer d'avis, tu ne sais pas ce que tu perds.

- Oh que si ! Je perds une occasion de vivre le moment le plus ennuyeux de toute ma vie ! Et surtout de voir une horreur se déshabiller devant moi me donnant la gerbe !

- T'as vraiment une langue de pute, se plaint le déchet.

- Tu veux vraiment qu'on discute sur qui a un comportement de pute entre nous deux ?

- T'es chiante pour une fille plate, lâche t-il avant de me bousculer et de me laisser enfin seule.

- Pauvre mec, murmurai-je."

Quand ils sont en groupe, ils peuvent se montrer effrayants mais quand ils sont seuls je peux les gérer assez facilement. Il suffit que j'oublie que je meurs de trouille et que j'ai envie de me cacher sous ma couette. Je préfère largement passer inaperçue mais quelques fois, il faut que je me défende.

La sonnerie a déjà annoncé le début du prochain cours mais je ne souhaite pas me dépêcher. Au lieu de ça je me dirige vers le troisième étage puis emprunte un escalier en mauvais état. Pour l'atteindre je dois enjamber les planches en bois qui bloquent le passage et monter avec prudence les marches. Je pousse une porte métallique qui grince affreusement et une rafale me pique le visage et finit de me décoiffer. Me voici sur le toit du bâtiment. D'ici j'aperçois tout le lycée et les gens qui grouillent se ressemblant tous. Bientôt la cour sera déserte et seul le vent accompagnera ma solitude.

***

Il va bientôt être midi et c'est l'occasion pour moi de manger quelque chose après deux jours de privation. Aujourd'hui je ne ferai pas la difficile, la plupart des élèves ne connaissent pas la faim, la vraie, celle que tu ressens lorsque tu n'as pas d'argent pour te nourrir pendant une longue période. Bon je n'ai jamais été privée de nourriture pendant plus de quatre jours mais c'est déjà très long. Quand j'ai faim, même la cantine se transforme en restaurant trois étoiles! Rien que pour ça, j'ai décidé de descendre de mon toit avant la sonnerie pour ne pas croiser les affreux. Une fois au rez-de-chaussée, je me débarrasse du surplus de ce matin dans mon casier et ne perds pas mon temps pour sortir tant que le lieu est désert. Le réfectoire se situe derrière mon bâtiment où l'on trouve un grand espace boisé. Après l'avoir traversé on arrive devant un bâtiment à deux étages dont le second est totalement vitré et réservé aux élèves. J'entre et monte les escaliers sur ma droite pour rejoindre ce deuxième étage. Point positif je n'ai pas à attendre ! Et si je me dépêche, je pourrai ressortir de là saine et sauve. L'escalier donne directement sur une large entrée d'où l'on voit une grande partie des tables. J'esquisse un sourire en constatant qu'il est presque vide. Sur le mur de gauche est installé le self avec un code biométrique. Et oui c'est que de temps en temps, l'administration prouve qu'elle possède une certaine intelligence ! Autrefois tous venaient à leur guise sans forcément payer leur repas ce qui n'a pas plu au proviseur.

Je ne vous dis pas ce que je mange, je m'en tape complément ! Le plus important c'est que je mange ! Merci mon Dieu, tu n'es pas totalement inutile aujourd'hui. Le visuel n'est pas terrible comme toujours et l'odeur ne promet rien d'exceptionnel mais peu importe je dévore tout ! De l'entrée au dessert il ne restera même pas les miettes ! Je me suis installée sur une table du fond en solitaire mais étant de longues tables je ne suis pas la seule à y prendre mon repas en renégat. A l'autre bout je remarque Aurore, une camarade de classe de l'année dernière. Son statut social n'est dû qu'à sa plastique peu avantageuse dans notre société actuelle.

En d'autres termes, elle est laide.

Sois pas méchante ! Elle est juste en surpoids ! Malheureusement sa timidité maladive n'a rien arrangé et depuis que je la connais le son de sa voix m'est presque inconnue. Pourtant je trouve qu'elle a un visage rond harmonieux, les joues d'un bébé trop mignon, une belle peau épargnée par la puberté et un regard intense. Perdre du poids quand c'est morphologique c'est pas si simple et elle en est le parfait exemple. Je n'ai jamais su si elle complexait de cette situation désavantageuse. Elle ne semble pas m'avoir remarqué et ne quitte pas son assiette des yeux. Elle ne mange pas, elle ne fait que jouer avec sa nourriture. Je trouve ça révoltant comme attitude ! Mange tant que tu peux idiote !

Ne te fais pas juge des autres.

C'est vrai qu'elle ne paraît pas au meilleur de sa forme comme la plupart du temps. Ses cheveux noirs sont toujours attachés maladroitement en chignon et ses habits sont les plus neutres et larges possibles. C'est une fille quelconque en apparence qui ne dégage aucune particularité et pourtant je suis certaine que ce n'est pas le cas. Je finis par me concentrer sur mon repas. J'aurai pu aller lui parler mais j'ai abandonné depuis longtemps l'idée d'avoir des amis au lycée. C'est souvent une prise de risque inutile. Mes problèmes avec Jane me suffisent.

Méganne est venue me rejoindre après l'avoir harcelé d'appel. Toujours fidèle à elle même, ma sœur se terre dans le silence. Aurore s'est empressée de fuir dès l'arrivée des bourreaux de sa majesté Sasha et sa coure. Bien sûr ils se sentent obligés de m'envoyer des morceaux de pain, ces gamins. Tant que c'est que le pain je peux ignorer même si c'est clairement déstabilisant de sentir le sourire amusé de certains ou le regard de pitié des autres. Soudain, une fille que je ne connais pas s'arrête derrière ma sœur, son plateau plein à la main et observe par-dessus son épaule. Méganne se crispe, son regard est suppliant. Je devine alors que cette inconnue n'est pas un ange. Sans même me prêter attention alors que je la fixe depuis sa venue, cette inconnue tend le bras et saisit l'assiette de ma sœur et part sans un mot. Devant le groupe de jeunes qui se moquent que cette infâme voleuse a rejoint, ma sœur enfile sa capuche mais je vois clairement des larmes pâlir ses joues. Une idée diaboliquement satisfaisante illumine mon esprit ! Je prends la tarte aux pommes qu'il me reste à manger et me retourne vers la table derrière nous où ils sont assis. Je suis dans le dos de la voleuse et ils remarquent ma présence. Alors qu'elle tourne son visage dans ma direction, je lui écrase ma tarte en pleine face ! Tous sont sous le choc mais je sens qu'ils ne sont pas compatissants envers leur amie bien au contraire. Tous pourris ces gosses. La brune est maintenant punie et humiliée à son tour. Bon la morale trouverait quelque chose à y redire mais faut pas toujours l'écouter.

"Fermez vos gueules ! cris ma victime à ses amis. Et toi pétasse tu vas le regretter !

- Bah quoi ? T'avais faim non ?"

Après cette réplique, je prends mon plateau et quitte la cantine avec ma sœur qui a arrêté de pleurer. Un sourire s'est presque déposé sur son visage pâle. Aujourd'hui je ne suis pas d'humeur à supporter les autres et je crois l'avoir bien fait comprendre à l'instant. Une fois dehors, je regarde l'image de ma sœur s'éloigner avec un merci que j'ai volé à son silence.

***

Il est 16h, l'heure où sonne ma liberté ! Je virevolte presque jusqu'à la sortie. L'après midi s'est déroulée sans trop de casse, globalement c'est une journée banale de cours. Méganne est déjà rentrée, cette traîtresse a fugué après le repas de ce midi ! Pas le temps de penser à la punition ultime que je vais lui infliger, je dois de nouveau courir pour aller plus vite que le temps. Chose impossible, j'en suis parfaitement consciente. Si seulement je pouvais me dédoubler ! J'enverrai mon clone à la sortie de l'école maternelle au lieu de ça je dois encore suer et je ne fais absolument pas partie des gens qui courent telle une gazelle, flottant presque dans le vent! Je dois, actuellement, être passée de blanche neige à écrevisse. Le vent encore bien froid en mars brûle mon visage et le bout de mes doigts ce qui accentue mon rougissement. Je prends le chemin du retour habituel puisque la petite école se situe à deux rues de notre immeuble.

J'arrive à temps mais à bout de souffle. Tous mes muscles tirent la sonnette d'alarme et me réclament une pause bien méritée. La sortie de l'école donne directement sur une route étroite peu fréquentée et entourée de différentes maisons. Je remarque de nombreuses femmes d'âges diverses et quelques hommes déjà présents devant le petit portail verdâtre. Je reste en retrait constatant la présence habituelle d'un homme d'une quarantaine d'années. C'est Lionel, le père de Jane. Autrefois c'était un homme qui imposait un respect naturel par sa profession de médecin ainsi que ses principes moraux admirés par la communauté. L'ombre que je vois de loin est pitoyable, cet homme s'est métamorphosé en un être mince et fragile et rien ne vient, à présent, illuminer son visage. Tant de vie gâcher pour des liaisons sans amour, sans lendemain, juste une erreur qui a terni l'existence de toute une famille. La sonnerie dirige mon attention vers l'école d'où l'on entend les rires heureux des enfants se rapprocher de la sortie accompagnés de leur professeur respectif. Au milieu de tous ces petits visages d'anges qui accourent vers leurs parents, je reste à l'affût ne voulant pas me faire remarquer. Une petite fille brune, réfugiée dans une doudoune rose trottine en direction de Lionel et s'accroche à sa jambe avec un large sourire sincère. Auparavant, cette petite m'adorait, je la connais depuis le berceau mais aujourd'hui je n'ose plus l'approcher. Heureusement, ils partent sans me voir.

Ce qui m'inquiète cependant, c'est de ne pas voir Elisabeth sortir. Je vais devoir sortir de ma cachette. Je me faufile donc entre les quelques parents encore présents. Mieux vaut ignorer les regards de ceux qui connaissent ma famille. Souvent, j'ai l'impression que les adultes ont les mêmes étiquettes que leur enfants sauf qu'ils usent de masque et de costume pour paraître meilleur et pleins de sagesse.

Je remarque une institutrice se tenant debout devant le portail discutant avec une maman tandis que son fils semble s'impatienter et ne tient pas en place. Inspire ! Expire ! Deux mots à cette personne en pleine discussion avec une des mamans hyper conservatrice du quartier ne vont pas te tuer. Pas vrai conscience de merde ?

Courage, ça n'a rien de compliqué.

Bon je me lance. Je me positionne sur la gauche des deux femmes qui stoppent immédiatement leur conversation en me voyant. La mère manque de s'étouffer et s'éloigne sans un mot en tirant son fils fermement par le bras. Je les suis du regard calmement, sans me vexer de son attitude peu délicate. La jeune institutrice m'interpelle:

"Natasha ?

- Oh, excusez-moi mademoiselle Lee d'avoir écourté votre conversation."

Suis-je véritablement désolée ? Je ne pense pas. C'est juste ma politesse de façade qui est très utile lorsqu'on doit se confronter au monde bien ficelé des adultes. L'institutrice me connaît bien et m'affiche toujours un magnifique sourire malgré la tâche noire qu'on représente pour le reste du quartier. Elle me rend donc la politesse avec une voix très douce comme si elle s'adressait encore à l'un de ses élèves.

"Ce n'est rien Natasha. A vrai dire je n'arrive jamais à m'en débarrasser ! Alors merci."

J'esquisse un sourire devant cette remarque mais je n'oublie pas le plus important. La discussion n'est qu'un outil de communication comme un autre que je dois utiliser à tort et à travers ce qui m'agace fortement alors autant y mettre rapidement un terme. Parler sans être réellement intéressée n'a rien de passionnant. Croyez-moi ! Je reprends donc:

"Où est Élisabeth ?

- Votre mère est venue la chercher en début d'après midi.

- Oh..."

Vite, je dois rentrer ! Élisabeth seule avec notre mère, ça finit toujours par une situation dramatique. Je fais volte face et sans un mot de plus je me remets à courir. L'institutrice crie mon nom mais je l'ignore. Elle ne m'est plus d'aucune utilité si ma sœur n'est pas avec elle. Je sais qu'elle se soucie d'Élisabeth mais je n'ai pas le temps de me préoccuper des autres. Je dois rentrer pour m'assurer que ma petite sœur est saine et sauve.

***

Une fois dans mon immeuble je ne peux attendre sagement l'ascenseur alors je monte deux par deux les marches des escaliers jusqu'à mon étage. Je pousse la lourde porte en fer avec difficulté avant qu'elle vienne se heurter violemment contre le mur me faisant sursauter. Je me précipite vers l'entrée de chez moi et tente d'ouvrir la porte qui est, comme toujours, fermée à clef. Je souffle pour essayer de calmer mon corps qui tremble affreusement. Mes mains maladroites ont du mal à insérer la clef dans la serrure. Je parviens tout de même à ouvrir la porte que je claque à son tour. L'appartement est plongé dans un silence de cathédrale. J'ai du mal à respirer alors que tous les scénarios possibles se déroulent dans ma tête. Je m'engage dans le couloir et me dirige dans ma chambre. Déserte. Celle des garçons, déserte ! Putain mais ils sont où ? Je me risque donc à entrouvrir la porte de la chambre à ma mère mais il n'y a personne. A bout de nerfs je m'écrase sur le carrelage froid du couloir. Mes genoux claquent contre ce sol dur mais ne m'arrachent aucune plainte malgré une douleur bien présente.

Ma tête me brûle. Je n'arrive plus à réfléchir. La dernière fois que c'est arrivé je n'ai eu aucune nouvelle pendant des jours ! Et lorsque ma mère a fini son caprice, j'ai retrouvé les petits dans un état pitoyable. Je devrais peut-être appeler Nathan. C'est plus raisonnable. Je sors mon portable de ma poche arrière et l'appelle sans attendre. Les sonneries se succèdent venant à bout de ma patience.

"Putain tu vas répondre !

- Merci pour l'agression."

Je soupire de soulagement en entendant enfin la voix grave de mon frère. Les tremblements me ramènent à la réalité, la panique est de nouveau là.

" Nathan ! Ils ont disparu !

- Putain Natasha arrête de gueuler. Attends ! Qui a disparu ? sa voix est soudainement plus insistante.

- Les petits ! Et maman n'est pas là non plus !

- Fais chier... Bon je rentre, calme toi.

- OK."

Je ne sais plus quoi faire à part attendre son retour. J'ai tellement crié que ma gorge semble en feu. J'ignore ce besoin de boire et reste assise dans le couloir sombre. Cette journée ressemble à mes pires cauchemars. Pourquoi il n'y a pas de punching-ball dans cet appartement merdique ? Dieu doit avoir une dent contre moi. A moins que ce soit Satan qui s'amuse à nous torturer ainsi. Peu importe, le résultat est le même. L'enfer doit être un sauna sympathique comparé à ma réalité, enfin j'espère car ma mère ira certainement. Si je pouvais je la sauverai certainement.

Vraiment ?

J'en sais rien. Quelle fille indigne je fais. Le vide dans mon cœur a peut-être fait disparaître cette part de bonté et d'amour. La seule once d'amour qui me reste, qui n'a pas pourri, est celui que je donne à ma fratrie. Ils sont ma raison de vivre. Je refuse de les perdre.

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