Chapitre 01: Natasha

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9 ans plus tard.

  Cette scène se répète trop souvent... Une fois de plus me voilà entrain de courir comme une folle. Vous voyez les victimes désespérées des films d'horreur ? Et bah cette image troublante c'est moi à cet instant précis sauf que je ne fuis pas le danger bien au contraire je me précipite dans la gueule du loup. Non, je ne suis pas masochiste. Disons que j'ai un sens aigu du devoir. Bref pour finir le magnifique tableau de moi rouge écrevisse entrain de faire un effort physique bien au dessus de mes capacités, il faut ajouter cette putain d'averse ! Vive le mois de mars... Mais ceci n'est rien, croyez moi c'est vraiment un doux aperçu de ce que sera le reste de ma journée. Je sens que ma patronne m'en veut quelque peu d'avoir quitté mon poste prétextant que je prenais ma pause midi... Je tiens à préciser qu'il est 10h30, ce n'est donc pas crédible. Une absence de plus mais au moins je ne suis pas la seule à changer de couleur face à la situation! Je vais me faire virer. C'est une évidence. Et pourquoi je dois toujours courir au juste? Je ne suis pas un super-héros, je n'ai pas à être au service des autres !

Explique nous pourquoi tu accumules les petits boulots au lieu d'être en cours alors ?

  Cette charmante voix qui vient de s'incruster n'est autre que ma conscience. Inutile de préciser qu'elle ne m'est en général d'aucun secours, après tout ce n'est rien d'autre qu'un son désagréable que personne n'entend à part moi. L'ignorer c'est encore beaucoup mieux. Malgré tout, je continue à courir devant les regards intrigués des passants. Et oui nous n'avons pas tous un parapluie ! Je frissonne de plus en plus. J'ai vraiment froid là. C'est mauvais ça.

Alerte maladie !

  La ferme ! Je ne suis pas malade, je ne dois surtout pas être malade. Mon corps est indestructible.

L'auto-persuasion ne va pas te guérir si tu attrapes froid.

  Personne ne t'a demandé ton avis! Je deviens vraiment folle à faire comme si ma conscience était une personne dissociée de moi. Non je n'ai aucun problème mental. Peu importe, je suis enfin arrivée à destination ! Le lycée Simone Veil ! Je suis pressée alors on se passera de description ennuyeuse. Je me précipite à l'accueil. Étant à bout de souffle je m'écrase d'une manière peu élégante contre le comptoir de la réception. Bien évidemment, il faut que cette bonne femme sursaute en me voyant. Franchement ces cris sont lassants et vraiment exagérés. J'avoue que le fait que je ressemble à présent à une serpillère qu'on vient de sortir d'un seau rempli d'eau n'est pas une vision très sympathique mais de là à crier comme si elle allait se faire braquer c'est trop et mes oreilles ne le supportent pas . Je me redresse et replace mes cheveux blonds qui cachaient mon visage et laisse apparaître un large sourire. La politesse est l'art de l'hypocrisie. Elle roule ses petits yeux globuleux de femme poisson, signe qu'elle m'a reconnu.

Femme poisson? Vraiment?

  Ok, j'exagère. Un poisson c'est quand même comestible hors ce spécimen est périmé depuis un certain temps, aucun doute là dessus. Elle ne perd pas de temps en politesse et déclare avec un ton vraiment méprisant:

"Je ne vous indique pas le chemin. Votre sœur est dans le bureau de Monsieur le proviseur.

-Merci, dis-je en souriant à pleine dent pour la voir une énième fois me maudire en marmonnant."

  On se déteste cordialement mais elle a le mérite d'égayer ma journée lorsqu'elle est de mauvaise humeur. Je ne suis pas très gentille, donc... C'est pas comme si quelqu'un viendrait me réprimander. Trêve de plaisanterie, la source du problème du jour est derrière cette foutue porte. J'inspire profondément puis me décide à donner trois petits coups à la porte. Franchement j'aurais vraiment aimé rentrer sans y être invitée, rien que pour voir sa tête bouillir et exploser comme une cocotte minute. L'insolence n'est pas ce qu'un proviseur aime le plus. Dommage mais fin de la récréation les enfants, Maman Natasha doit entrer en scène! Une voix masculine m'invite à entrer. Je m'exécute. Je ne peux m'empêcher de souffler en voyant que ma sœur est recroquevillée sur sa chaise, réfugiée sous sa capuche. Rien ne change dans cette famille. Je prends place sur la chaise à sa droite et la lui retire. Du coin de l'œil, j'aperçois les bleus qui parsèment son visage, ses yeux sont gonflés. Elle a pleuré. Ça a vraiment le don de m'agacer de la voir dans cet état. Ce n'est ni une première ni une dernière. Banalité affligeante de la vie. Je ne peux rien dire à ma sœur qui visiblement est encore paniquée qu'une voix pseudo autoritaire attire mon attention:

"Bonjour Natasha, votre mère n'est pas disponible?

- Si je suis là c'est que non, elle n'est pas disponible.

-Cela fait plus d'une semaine que vous n'êtes pas venue..."

  Et ça recommence... Trop prévisible ce proviseur.

"Je vous arrête tout de suite, je suis ici pour parler de ma sœur non de moi alors venez en au fait Monsieur."

  Il sert des dents et roule des yeux.

Il n'a encore rien fait.

  Chut et observe ! Bingo il l'a fait ! Comme je le disais, trop prévisible ce proviseur. Il reprend son air inquisiteur, attention j'ai peur ! Nan je rigole. Mais reprenons tout le sérieux que j'affiche sur mon visage. Le fossé entre mes pensées et mon attitude peut être la marque d'une grande hypocrisie, mais je préfère dire que je suis une fine stratège. Passons, il se remet à parler.

"Votre sœur n'est pas assidue en classe mais j'imagine que c'est de famille."

  Et BAM ! Un reproche ! Vraiment ça m'étonne...

"Et lorsqu'elle est présente elle s'attire des ennuis et se bat avec ses camarades !"

  Je manque de m'étouffer avec ma salive en entendant cette phrase. Il a vu son visage ou il porte des œillères? C'est pas ma sœur qui s'est battue,c'est plutôt elle qui s'est faite boxée. C'est pas du tout son genre de se faire remarquer et si Monsieur passait plus de temps hors de son bureau, il le serait.

"Sans parler de ses résultats qui sont en baisse, vraiment c'est une catastrophe dans toutes les matières!"

  Pas besoin d'être aussi passionné dans vos reproches, sérieusement crier n'est pas une fatalité. Laissons cet adulte s'exprimer. Pour toute réponse à son monologue sans fin, deux visages fermés et vides d'expression. Alala on est pas sœur pour rien ! Les discours sont toujours les mêmes alors pourquoi s'attarder à écouter des mots que je connais déjà par cœur? Mais je n'ai pas le temps de me faire un débat philosophique sur les paroles futiles des adultes moralisateurs qu'une femme fait son entrée. La première chose que je me dis ? Oh my god, cette brune ferait chavirer le monde sans problème. Elle vient se placer aux côtés du proviseur. Et bah dit donc il en a de la chance et d'ailleurs il a l'air de le savoir vu les regards furtifs qu'il lance à ses beaux yeux noisettes.

La blague. C'est pas bien de mentir Natasha.

  Bon d'accord j'avoue que c'est clairement son décolleté qu'il mate depuis son arrivée. En même temps quand on est bien fournie faut s'attendre à ce que certaines personnes se rincent l'œil. En tout cas, c'est ce que j'ai entendu dire. Je doute que ce soit vraiment plaisant pour elle cependant. Elle se présente à nous avec beaucoup de bienveillance dans le regard. C'est mignon...J'imagine. Elle se prénomme Sandy et son comportement familier m'étonnerait presque si je ne venais pas d'apprendre au passage que c'est une assistante sociale. Je sais qu'elle veut nous aider moi et ma famille comme tous ses prédécesseurs mais je ne peux pas me résoudre à abandonner ma mère. Sandy tente des manœuvres de rapprochement mais elle fait face au silence impénétrable de Méganne, qui d'ailleurs a remis sa capuche ! Ainsi qu'à mon absence totale de coopération. Je reste polie malgré tout, je ne veux pas la décourager davantage dans son métier qui n'est pas des plus simple. L'heure tourne les enfants et je pense m'être assez ennuyée avec leurs futilités pour aujourd'hui. Sans plus attendre je me lève. La chaise tombe faisant sursauter Sandy et ma sœur. Oups...faut vraiment que j'apprenne à être moins brusque. Le proviseur me fusille du regard. Mince alors je dois l'avoir interrompue dans sa très chaste activité...Ou alors c'est mon attitude qui lui fait contracter la mâchoire. Peu importe, cette expression sur son visage mérite une photo à mettre sur le frigo ! Pourquoi? Tout simplement parce que ça met de bonne humeur. Je réprime un léger sourire avant de dire enfin ce que je pense:

"Ce n'est pas Méganne le problème, c'est plutôt votre incapacité à mettre fin à un cas de harcèlement scolaire.

- Les relations entre votre sœur et ses camarades sont conflictuelles mais de là à parler d'harcèlement...

- Vous êtes tous dans le déni c'est pas possible. Vous prenez ma sœur pour une déséquilibrée juste parce qu'elle est différente et peut être que si vous lui montriez un peu plus de respect et de considération elle viendrait plus régulièrement en cours!

- Natasha nous n'avons jamais insinué ça...

- Sandy, personne ne croit les enfants d'une alcoolique. Enregistrée ça dans vos petits dossiers et après on en reparle."

  La tentative d'intervention de cette jeune assistance sociale vient d'être tuée dans l'œuf. Les deux adultes écarquillent les yeux devant mon comportement. Imaginez-vous le scandale, je viens de dire ce que tout le monde pense ! Mais quelle insolence !

"Natasha Farrah nous n'avons pas fini cette discussion! intervient le proviseur.

- Rendez-vous à la prochaine séance alors, lui dis-je avec un faux enthousiasme avant de quitter la pièce.

- Au revoir, la voix à peine audible de ma sœur parvient à leurs oreilles et sous le choc cela leur cloue le bec !"

  La politesse est une arme redoutable en société ! Et un problème en moins pour aujourd'hui. Sandy parvient tout de même à me donner sa carte en cas de besoin. Je vais la garder pour ma collection. Pas de commentaire, on s'amuse comme on peut!

  Je sors rapidement sans jeter un seul coup d'œil derrière moi. C'est inutile je sais très bien que Méganne me suit docilement en silence. Je sens des regards se poser sur nous mais je n'en suis nullement déstabilisée. C'est habituel. Alors que l'on marche depuis 10 minutes sans s'adresser un mot ni un regard, je suis contrainte de me séparer de ma petite sœur en lui faisant promettre de rentrer directement chez nous. Elle acquiesce de la tête, je peux donc continuer ma route sans m'inquiéter. Enfin je détourne mon attention pour revenir sur un autre problème, mon boulot. Et oui je vais oser y retourner car après tout qui ne tente rien n'a rien et soyons honnête j'ai besoin de ce travaille chez cette fleuriste. Autre problème, la pluie n'a pas cessé... Mon petit pull rouge, mon vieux jean trop large et mes converses pas du tout imperméables ne me protègent ni de l'averse, ni du froid sans parler de l'orage qui gronde au loin. Je maudis chaque bus qui passe pour me narguer d'être ainsi exposée à la volonté de la météo.

Bah prends le bus. Tu sauras à l'abri et surtout c'est plus rapide pour retourner au centre ville.

  Tu crois que je ne le sais pas? Ma conscience me prend pour une idiote ! Puisque tu es si intelligente, donne moi de quoi payer ce foutu ticket de bus. On ne peut pas se permettre de frauder, trop d'amendes à payer... Je frissonne à chaque pas que je fais. J'éternue... Attendez ! J'éternue là ? Non pas possible ! Retiens toi Natasha ! Tu y es presque. Courage! Pour une fois ma conscience n'intervient pas et c'est pas plus mal. Au bout d'une trentaine de minutes je suis devant le magasin. Je vous épargne cette scène mémorable où je me fais virer à coup de pot de fleur. Pourquoi tout le monde devient fou au contact de ma famille? Mystère. Et comme un malheur n'arrive jamais seul... Mon portable se met à vibrer. Je le sors de la poche de mon jean, par chance la pluie ne semble pas l'atteindre contrairement à moi. En voyant le nom d'Eddy s'afficher sur l'écran, mon cœur s'accélère, je trébuche avant de m'écraser contre le mur du magasin derrière moi. J'hésite un instant mais je finis par répondre. Que le spectacle commence! Je tremble un peu en portant mon portable à mon oreille. Oui je stresse mais chut c'est un secret.

"Je ne pensais pas que tu répondrais, commente mon interlocuteur avec un rire nerveux.

- Qu'est-ce que tu veux Eddy? J'ai pas le temps, je suis au boulot, dis-je d'un ton qui se voulait plus glacial que les hivers du Canada."

Au boulot ? C'est pas bien de lui mentir !

"Tu changes pas ... même maintenant."

  Sa réponse sonne comme un triste reproche. Je sers les poings à cette pensée. Il n'a pas le droit de me reprocher quoi que ce soit ! N'est-ce pas? Et puis pourquoi je ressens de la culpabilité au son de sa voix? C'est ridicule ! C'est lui le traître !

"Perspicace mais inutile de m'appeler pour me dire ça."

Wouah bravo Natasha ! Tu t'améliores vraiment ...

  J'ai pas besoin de ton ironie stupide ! La ferme voix dans ma tête !

"Je voulais te dire que ce n'était pas voulu. Je t'ai aimé...

-Ne perds pas ton temps ni le mien pour des futilités. Je vous souhaite tout le bonheur du monde à toi et à Linda.

- Natasha pourquoi tu fais toujours ça ? me demande-t-il."

  C'est pile le genre de question qui m'insupporte. Les questions existentielles n'ont pas lieu d'être avec moi ! Il le sait. Il veut jouer mais il a déjà perdu tout comme moi j'ai perdu... Bref je préfère éviter ce type de conversation et faire l'idiote. En gros je le laisse parler puisqu'il y tient tant.

"De quoi tu parles?

- Tu n'es pas obligée d'être aussi dure en permanence, toi aussi tu peux avoir des faiblesses."

  Non je ne peux pas Eddy. Cet appel commence à s'étendre sur la longueur et ça ne me va pas du tout! Il est tant que ça cesse. Je ne veux pas de sa pitié, je sais très bien gérer la douleur et l'abandon. Ce n'est pas une première. Alors je décide de mettre un terme à cette conversation.

"Tu m'as appelé pour me quitter proprement et soulager ta conscience. Je comprends ça mais sache qu'à la seconde où je vous ai surpris il n'y avait plus de nous ni de lien ni rien du tout. Je ne ressens ni haine ni amour envers toi, tu fais partie du passé. Garde ta pitié pour ceux qui en ont besoin. Bye."

  J'ai raccroché sans lui laisser le temps de protester. Adieu Eddy. Une douleur insoutenable au niveau de ma poitrine me contraint à me recroqueviller sur moi-même. Personne ne saura jamais pour cette larme, marque de faiblesse, qui s'empresse de déformer l'une de mes joues de son immonde liquide. Je m'autorise cet instant de nostalgie et de tristesse puis du revers de la main j'élimine toute trace de son existence. Je me redresse et reprends mon chemin me coupant totalement du monde oppressant dans lequel je vis avec de la musique. Je ne connais pas de meilleur remède. Je me fonds à présent dans cette masse de gens qui ne sont pour moi que des silhouettes.

                                                                                     ***

  Après une demi-heure de marche, me voilà devant la porte de chez moi. Je sens mon corps trembler de plus en plus, le froid sûrement. Je n'ai pas besoin de ma conscience pour savoir que je me mens à moi-même. Pitoyable. J'insère la clef dans la serrure et referme directement derrière moi. L'appartement est calme, seul le son de la télé empêche le silence d'envahir les lieux. Je délaisse mes converses trempées dans l'entrée et jette un coup d'œil dans le salon par la porte entrebâillée. Je me détends lorsque je remarque la présence de deux de mes frères seulement. J'ouvre la porte et viens m'installer à côté du plus âgé des deux, mon grand-frère Nathan. Ses yeux noisettes me suivent du regard et me fixent avec insistance. Je soupire car je sais ce qu'il pense. A l'autre bout du canapé usé se trouve Romane, mon plus jeune frère, qui est captivé par le vieil écran qui ne transmet que quelques chaînes basiques. Mais bon, qui résiste à Bob l'éponge ? Nathan brise finalement le silence entre nous.

"Tu rentres tôt aujourd'hui, déclare Nathan en attendant plus d'informations.

- Faut croire. Méganne est là?

- Ouaip, intervient mon cadet sans décrocher son regard de l'écran.

- T'as dû aller voir le proviseur hein? Du coup t'as été virée. Logique dans le quotidien de cette famille.

- C'est bon Nathan, pas besoin d'en faire toute une histoire. J'en trouverai un autre...

- C'est pas à toi de faire ça, me coupe-t-il."

Il recommence ... Encore cette discussion...

"Il faut bien que quelqu'un le fasse. Toi aussi tu bosses.

- J'ai 23 ans et j'ai au moins pu avoir mon bac! Toi t'as que 17 ans, tu devrais profiter de la vie au lieu de moisir ici et de jouer la maman ! s'exclame Nathan, une fois de plus le sujet le met hors de lui. "

  Je ne suis pas surprise par ses cris. Il n'est pas agressif mais protecteur à sa manière mais depuis son retour il y a souvent une tension entre nous comme maintenant. Soudain un bruit détourne notre attention. Une femme tenant une bouteille de vodka presque vide est appuyée contre la porte du salon. Ma mère...

Il aurait pas du crier cet idiot ! Le dragon est réveillé maintenant...

  Nathan ne perd pas de temps et quitte la pièce en fusillant du regard cette femme toujours plus saoul. Ma mère titube jusqu'au canapé et s'écrase entre Romane et moi. Celui-ci semble terrifié et n'ose plus bouger ni même me regarder. Je l'observe du coin de l'œil et retiens mon souffle. Son image s'est dégradée depuis une dizaine d'années...Depuis l'abandon de mon père... Elle ne sort jamais la journée depuis si longtemps que son teint est devenu blafard, son visage creusé et ses cernes bien trop marquées lui donnent un aspect assez morbide. Avant elle avait de grands yeux d'un bleu océan magnifique mais cela fait bien longtemps qu'ils ont disparu derrière la fatigue et la dureté de ses traits. Ses cheveux ne sont plus qu'une tignasse blonde abîmée des racines aux pointes, grisonnant un peu et emmêlée dans de nombreux nœuds. Elle porte une nuisette noire bon marché comme à son habitude. Ainsi tout le monde peut constater les cicatrices qui ont envahi son corps au fil des années. J'ai moi même assisté à certaines de ses séances de mutilations quand j'étais plus jeune. Je détourne le regard, écœurée par ces visions d'horreurs qui me reviennent en mémoire. Le silence est lourd. Personne n'ose bouger. Chaque gorgée qu'elle avale de son infâme alcool me fait serrer les poings. Si seulement j'avais le courage de lui arracher des mains... Elle se tourne brusquement vers moi. Je m'enfonce un plus dans le canapé pour mettre de la distance alors qu'elle s'apprête à cracher son venin.

"Tu as encore perdu un job, t'es vraiment bonne à rien. Tu n'es qu'une bouche de plus à nourrir pour moi, elle marque une pause puis me saisit fermement la mâchoire avant de reprendre. Une bouche bien laide d'ailleurs. Tu ne me sers vraiment à rien et tu n'es qu'un fardeau pour cette famille. Tu seras privée de repas du soir tant que tu ne te montreras pas plus reconnaissante envers ta mère."

  Je me tais. Je ne traduis pas la peur qui me pétrifie sur place. Sans que je comprenne pourquoi sa main vient s'écraser violemment sur ma joue. Mon visage me brûle et heureusement mes cheveux qui sont tombés sur mon visage cachent la larme qui coule sur ma joue.

"Ne fais pas cette tête, ça me gonfle. Comme s'il t'arrivait des trucs graves à toi. Quelle plaie cette gamine, soupire ma mère.

  Soudain, elle se met à rire. Le rire de ma mère me fait frissonner de stupeur. Elle se félicite de plus avoir à regarder mon "visage infecte" puisque je le cache sous mes cheveux. Son rire s'arrête net lorsque les pleurs de notre petite dernière se font entendre. Je reprends mes esprits et vois Elisabeth immobile à l'entrée du salon qui fond en larmes, déformant son visage si joyeux d'habitude. Le visage de ma mère se crispe devant ce spectacle et je supplie du regard ma cadette pour qu'elle parte dans sa chambre. Au lieu de ça elle se précipite dans mes bras sous le regard noir de ma mère. Elle pose sa petite main délicatement sur ma joue encore rouge et me demande:

"Ma ! Tu as mal ?

- Non El...Diana, arrête de pleurer s'il te plait."

  Ma voix se veut la plus douce et la plus rassurante possible, ce qui semble la calmer puisqu'elle essuie ses larmes avant de m'offrir un sourire radieux. Elle illumine un instant ma vie avec son innocence et sa pureté. Je n'aime pas quand elle assiste à la moindre scène de violence de notre mère. Cependant ma mère n'est pas calmée bien au contraire. Elle boit cul sec son reste de vodka puis m'arrache ma sœur des bras brutalement et la pousse contre Romane qui malgré un sursaut de stupeur prend immédiatement mon relais. J'aperçois déjà le bleu sur le bras de notre petite princesse qui a de nouveau les larmes aux yeux. Elle tient fermement le t-shirt de Romane mais ne me lâche pas du regard. Elle semble inquiète pour moi. A son âge, elle devrait se soucier de rien. Je me concentre à nouveau sur ma mère lorsqu'elle me caresse le visage avec sa bouteille en verre vide pour me faire comprendre qu'elle pourrait l'éclater sur moi. Faites que Dieu m'épargne ça! Je ne peux pas montrer que je meurs de peur, que j'ai envie de chialer. Je ne dois pas être faible, pas devant eux. Soudain elle fait volte face et son attention se porte sur Romane et Elisabeth qui fond en larmes bruyamment.

"Fermes-là gamine ! s'écrie notre mère en faisant de grands gestes menaçants avec sa bouteille."

  Ma petite sœur sursaute et tremble davantage ce qui agace notre mère mais soudain elle échappe des bras de Romane qui l'implore de revenir voyant qu'elle se dirige vers moi. Je la menace du regard mais rien n'y fait ! Par pitié Elisabeth arrête toi ! J'ai envie de hurler mais aucun son ne veut sortir de ma bouche. Je ne peux pas la protéger...Je suis nulle...Comme je le pressentais, elle est arrêtée par notre mère qui saisit ses deux épaules et la secoue violemment.

"Tu vas arrêter d'être coller à cette garce ! C'est une merde ! Tu veux être une merde toi aussi ?

- Ma ! m'implore Elisabeth

- Petite ingrate ! explose ma mère en la giflant violemment."

  En entendant les cris de douleur de ma petite sœur étalée sur le sol, mon corps se réveille et je me précipite vers ce petit corps frêle. Je la prends dans mes bras et la porte jusqu'à son lit malgré les cris de poissonnière poussés par notre génitrice. J'entre dans ma chambre que je partage avec mes deux sœurs. Je remarque que Méganne dort profondément dans son lit en bas du mien. Elle est paisible quand elle dort, c'est déjà ça. Je dépose Elisabeth dans son lit situé contre le mur à l'opposé du lit superposé. Elle est fatiguée et s'endort rapidement. Je replace sa chevelure flamboyante avant de la recouvrir d'un plaid rouge. Je l'embrasse sur le front tendrement pour ne pas la réveiller avant de lui chuchoter:

"Dors bien Elisabeth.

- Elle s'appelle Diana ! s'écrie la voix stridente de ma mère."

  Mon corps se tend instantanément à son approche. Ma conscience est portée disparue, elle ne me sert à rien. Je sais qu'elle n'acceptera jamais le nom que j'ai donné à la cadette mais sa rage est totalement disproportionnée. C'est elle qui a refusé de la nommer, j'ai donc dû prendre ce rôle mais elle voit cela comme un vol et une compétition. Ma mère attend une réponse.

"Oui maman.

-Je croyais t'avoir dit de ne pas m'appeler comme ça !"

  Ses paroles me blessent mais je ne riposte pas.

" Vas préparer à manger ! Rends toi utile pour une fois ! m'ordonne-t-elle en me tirant hors de la chambre."

  Lorsque je suis seule dans la cuisine, je souffle bruyamment et m'appuie contre le mur à bout de nerf.

On est enfin tranquille ! On a faim ! Toi et moi on veut des lasagnes !

  Te revoilà toi... Ce soir je ne peux pas manger et ce n'est pas une première. Comme bien souvent il n'y a pas grand chose à manger alors ce sera un gros plat de pâtes au beurre.

Encore ? Non! Les petits vont mourir de faim ici...Et nous avec !

  Je soupire mais ignore ce commentaire interne et commence à préparer le dîner sans aucun plaisir. Je ne connais pas le plaisir...Ma vie est pathétique.

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