3. Roxane

6 minutes de lecture

_ C’était… commence Clément.

_ Remuant, finit Alexis.

Nous ne trouvons rien de plus exact. Au bout de quelques minutes, tous tendus dans l’entrée de la maison de Constance, cette dernière finit par poser la question :

_ Et pour ces… vacances, alors ?

A peine les mots de la mère de notre ami avaient franchi ses lèvres, je m’étais vue supplier mes parents, à genoux s’il le fallait, pour partir avec les Cinq cet été. Mais je ne suis pas sûre de ce qu’eux en pensent, et je me tais en attendant leurs réponses. La partie faible en moi ne demande qu’à s’exprimer, leur dire tout ce que je tais depuis si longtemps, leur avouer que je meurs d’envie de partir avec eux, comme avant, mais la seconde partie, protégeant la première, enfile un masque et suit le mouvement. Je me mords la lèvre inférieure, puis passe la langue sur ma coupure qui, je le sens, s’est remise à saigner. Alexis finit par prendre la parole :

_ Nous devrions peut-être essayer ? Je veux dire… On y reste une semaine, pour lui faire plaisir, et si la maison nous plaît vraiment on reste un peu plus ?

J’aimerais lui sauter dans les bras, lui dire à quel point il m’aide, rien qu’avec cette phrase, mais je me tais, encore. Je détourne le regard du visage d’Alexis, appréhendant la réaction des deux autres. Constance paraît surprise, mais elle hoche la tête, et je crains alors que Clément ne vienne tout mettre à l’eau, annonçant qu’il a quelque chose de prévu avec Mia, qu’il n’aurait pas osé dire tout à l’heure, mais, à mon plus grand soulagement, il répond simplement :

_ C’est OK pour moi.

Tous les yeux se tournent alors vers moi, et je me rappelle que je n’ai pas encore répondu. Ma réponse me semble évidente, mais elle déclenche une vague de visages étonnés quand je la prononce :

_ Oui, mes parents partiront sans moi, évidemment.

_ Sûre ? insiste Constance d’un ton presque venimeux. Tes nouveaux amis ne vont pas se languir de toi ?

Cette dernière phrase me fait l’effet d’une gifle, et je ne réponds pas, secouée. Pourquoi est-elle incapable de comprendre mon mal-être ?

Cependant, avant que je n’aie pu dire quoi que ce soit, Clément intervient :

_ Constance, on en a déjà parlé…

_ On n’en a pas parlé, Clément. Enfin, tu as raison, toi aussi, avec ta petite-amie, tu…

_ Ce n’est pas ma petite-amie.

_ Ah non ? Tu l’embrasses, tu l’exhibes, tu l’invites chez toi, mais ça ne l’est pas ? Au temps pour moi, il semble que j’ai du mal à interpréter les choses, quand il s’agit de tes sentiments.

Cette pique, désignant directement leur passé ambigu, semble faire taire Clément, dont le visage se ferme avant qu’il ne lance :

_ Je ferais mieux de partir.

Personne ne dit rien alors qu’il ouvre la porte, et il s’en va, la pluie commençant à tomber dans la rue.

A côté de moi, Alexis se dandine, et dit à son tour :

_ On a tous réagi différemment, Constance. Je… Faisons un effort. Pour lui.

Il pose maladroitement une main sur l’épaule de notre amie, d’un geste timide, lui qui était si tactile, et suit le même chemin que Clément, me laissant seule avec Constance. Je la regarde, et elle fait de même, le visage plus adoucit qu’il y a quelques minutes, mais gardant des traces de rancœur. Je fais un pas vers la porte, mais je sens ses doigts froids m’attraper le poignet :

_ Je suis désolée. C’est seulement que… C’est nouveau. Et je ne sais pas comment faire. Je ne sais pas quoi croire.

Je la regarde et hoche la tête, bien que je ne sois pas sûre de cette dernière phrase et, après un dernier regard vers elle, je m’en vais également.

Je suis la seule à être venue à pieds, et la pluie d’été qui tombe me démoralise un peu plus. L’odeur de macadam mouillé emplit mes narines, et je me rappelle un instant des après-midi d’été que nous passions dans cette rue, enfants, avant de migrer vers la plage en grandissant. Mais aujourd’hui, l’averse ne me fait pas sourire. Marchant à pas rapide, je remarque qu’Alexis est toujours garé dans la rue, à quelques pas de moi, distinguant sa touffe blonde à travers le pare-brise arrière, un souvenir me revient en mémoire :

_ Tu n’as pas fait… ça ? C’est pas permanent, au moins ?

Les yeux de Constance sont écarquillés, mais elle arbore un grand sourire qui prouve que cette situation l’amuse autant qu’Alexis. Ce dernier, fier et hilare, passe une main dans ses cheveux tout fraichement décolorés, presque blancs :

_ Perso, j’aime bien ! Et je jure sur ma propre vie que je garderai cette couleur jusqu’ ce que ma mère trouve ça beau !

_ Elle… Elle ne trouvera jamais ça beau, Alex, dis-je entre deux éclats de rire.

En soi, la couleur lui va bien, mais la mère d’Alexis a l’esprit bien trop fermé pour l’admettre. Alors que je me moque du nouveau blond, une tête rousse se pose sur mon épaule, et je regarde notre ami reprendre sa respiration, les larmes aux yeux à force de rire :

_ C’est notre première semaine au lycée et toi, tout ce que tu trouves à faire c’est te teindre en blond platine ? Qu’est-ce qu’ils vont penser de nous ?

_ On s’en fout ! Vraiment, il faut qu’on profite ! Moi, j’ouvre le bal.

Il joint un geste théâtral à sa parole, ouvrant grand les bras avant de tourner sur lui-même, nous faisant rire de plus belle quand il manque de trébucher. Ses yeux pétillent de joie : il est l’audace et l’enthousiasme en personne. Après avoir repris son souffle, Constance annonce :

_ Bon, moi, pendant que tu étais chez le coiffeur…

_ Détrompe-moi, j’ai fait ça tout seul !

_ Oh, je vois, ça explique mieux les choses, répond-elle en désignant les quelques cheveux restés bruns à l’arrière de son crâne. Je disais : avant que tu ne sois renvoyé, je voulais qu’on ait tous un petit quelque chose qui nous réunisse… pour le lycée, et après.

Elle s’accroupit et fouille dans la poche avant de son sac : bleu pastel, brodé de tournesols et griffonné de nos écritures à tous les cinq.

_ Voilà.

Nous nous approchons d’elle pour voir ce qu’elle tient entre les mains.

Chacun notre tour, elle nous donne une petite chaîne en acier, au pendentif rond, gravé de notre surnom. Je passe mon pouce sur le « Rox » du mien, et souris tendrement.

_ J’ai déjà mis le mien, dit-elle en sortant le collier du col de son tee-shirt.

_ C’est super ! dit le rouquin, un grand sourire aux lèvres, les fossettes apparentes sur ses joues constellées de tâches de rousseur.

Nous acquiesçons et remercions mille fois Constance, avant qu’Alex, les yeux rieurs, lâche, pour détendre l’atmosphère devenue trop sentimentale :

_ Tu veux toujours me voler la vedette, de toute façon…

Je souris au souvenir de cette journée, passant devant la voiture de mon ancien ami tout en me couvrant comme je le peux de la pluie d’été qui me trempe le visage.

_ Je vais te raccompagner, entends-je.

Je tourne la tête vers Alexis, qui regarde un point derrière moi, l’air gêné de l’autre côté de la fenêtre ouverte. Je m’apprête à refuser, puis pense à la distance qui me sépare de chez moi, à parcourir à pieds sous l’averse, et finit par demander :

_ T’as fumé ?

Je vois quelque chose s’éteindre dans son regard alors qu’il le fixe sur moi. Je regarde son visage, plus ferme et plus masculin qu’avant, cerné et affichant un air déçu. J’attends sa réponse et vois sa pomme d’Adam tressauter. Il finit par ouvrir la bouche pour dire d’un ton sec :

_ Non. Bien sûr que non, sinon je ne te proposerais pas.

Il est crispé, et j’hésite encore quand il dit :

_ T’es pas obligée. Je comprendrais si tu ne me fais pas conf…

_ Je viens, c’est bon.

Je lui fais encore confiance. Il reste forcément un peu de l’ancien Alexis en lui, et je regretterai ce soir si je n’acceptais pas de monter avec lui. Je contourne alors la voiture pour m’installer sur le siège passager, et pose les yeux sur son profil alors qu’il démarre. Une toute petite tâche noire s’étend sur son cou, juste sous la mâchoire, et je m’approche de lui pour la voir de plus près, curieuse de découvrir un tatouage sur sa peau blanche. Vu comme ça, on dirait une fleur. Le dessin est fin, presque féminin. C’est un petit pentagone, dont l’intérieur et rempli par des traits arrondis, partant de chaque sommet pour rejoindre le centre. Les lignes sont reliées entre elles, aussi, mais je n’ai pas le temps d’observer mieux : Alexis tourne la tête vers moi, les sourcils froncés :

_ Quoi ?

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