30 juin 1771

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Elisabeth m’empêche de sortir. Elle me demande où je vais. Je sors de ma chambre, elle finit de monter les escaliers. Elle se précipite vers moi.

« Oh mon chéri, pourquoi t’en vas-tu ? Ne veux-tu pas rester avec moi, je me sens mal depuis quelques jours. Tu seras bien gentil ».

J’insiste sur le fait que je ne peux pas, que ce rendez-vous est urgent.

« Tu fréquentes une femme ? Balbutie-t-elle. Oh vilain, cochon, cochon cochon…”

“Ne sois pas stupide, je ne fréquente point de dames et quand c’est le cas, elles sont mes camarades ».

« Tu dis cela pour me rassurer Axel, tu es…tu es… »

Elle porte une main sur sa poitrine, suffoque sous l’affreuse annonce que je viens de lui faire. Ses yeux se mouillent de larmes, elle tremble et m’agrippe par la chemise.

« Tu vois quelqu’un, tu vois quelqu’un ! Dis-le moi plutôt que de me mentir et de continuer à la voir ! Je sens son odeur, je la sens, tu ne peux pas me faire ça !

Hystérique, je peine à me débarrasser d’elle et dans une folle course poursuite, nous dévalons tous deux l’escalier. Je me dirige vers la calèche, talonnée par la créature.

« Je vais chez mes parents, tu as intérêt à m’accompagner ».

Je me saisis des rennes, elle me court après, les jupes dans les mains.

« Tu n’as pas le droit de me fuir, tu n’as pas le droit ! Vas rejoindre ta bien-aimée, démon, je te hais ! »

Furieux, je fais galoper la voiture jusqu’au domaine de Madame de Convilia. L’air me brûle les narines, je suis en sueur. Le domestique réceptionne le cheval, on me conduit jusqu’aux jardins.

Mona de Convilia est ravissante dans une robe de couleur verte. Elle se protège d’un chapeau de paille aux longs bords courbés. Tout son petit monde est assis devant une table circulaire chargée de douceurs. La jeune femme se lève pour me saluer. Mes deux compagnons me dévisagent d’un air espiègle : cette femme me possède déjà. Elle s’assied et présente le but du débat.

« Mes chers amis, amies, cette nuit, j’ai trouvé l’inspiration. J’ai longuement réfléchi au sujet que j’allais aborder aujourd’hui. Nos trois professionnels de l’art et Natacha de Lèverie ici présents ont eu la gentillesse de discuter avec moi sur le mariage. Frédéric de Preyse a fait une argumentation bien différente de ce que nous pensions, c’est pour cela que j’aimerai revenir au thème suivant : l’amour. Allez-y et ne vous privez point pour les gourmandises et dessécher votre langue.

On ricane face à sa petite plaisanterie.

Je laisse les protagonistes du cercle répondre.

Une grosse dame répondit timidement. L’amour est un sentiment confus dont les hommes sont les victimes. Elle fit référence à plusieurs divinités mythologiques comme Eros, Aphrodite et à leurs déboires.

Fidèle à elle-même, Natacha de Lèverie rétorqua qu’il fallait cesser de penser que l’amour était mortel et dangereux. Lorsque l’on aime, le cœur se sent pris, aimé, d’agréables sensations s’emparent de notre corps et nous procurent une nouvelle énergie.

« Vous semblez pessimiste envers l’amour, Ose-t-elle-même en dévisageant la nouvelle convive. Si nous n’avez pas eu de bonnes expériences, vous en aurez donc plus tard, ne vous inquiétez pas pour cela. Mais ne faites pas preuve d’autant de haine envers l’amour ».

"Je suis d’accord".

Voulant soutenir sa thèse, je m’exprime. Tout le monde a les yeux braqués sur moi. J’ai du mal à déglutir puis, je me lance. Je dis que l’amour est délicieusement supportable lorsque l’on a la chance de donner à son cœur à la bonne personne. La vie devient tout autre, elle se métamorphose de jour en jour aux côtés de cette bonne âme. La maladie semble disparaître, les problèmes quotidiens de même. Tout est merveilleux quand on a d’yeux que pour elle. Cependant, rajoutai-je, chacun à sa manière de ressentir cet amour. Lorsque l’on affectionne et que le ou la bienheureux(se) ne ressent pas ce même bonheur, tout est différent. Le cœur se serre, ne pompe plus que le sang du désespoir et du chagrin, l’existence n’a plus de sens, les muscles se tassent, les yeux ne voient plus que la personne aimée ! mon discours est si émouvant que les femmes tamponnent leurs yeux.

Essoufflé, je conclus que l’amour est un beau sentiment, joyeux et vivant mais qu’il faut être précautionneux sur la personne que nous choisissons d’adorer. Je rencontre le doux regard de Mona visiblement émue de mes dires.

Personne n’a plus rien à dire et digère lentement les gourmandises proposées par la maîtresse des lieux. On commente ma copie, on souligne la justesse de mes paroles et la sensibilité que j’ai utilisé afin de mener à bien mes arguments. Mona de la Convilia ne cesse de m’observer du coin de l’œil et sourit discrètement lorsque je plaisante sur les flatteries qui me sont faites.

Nous partons vers trois heures de l’après-midi. Mona me retient par le bras. Elle a les yeux brillants.

« J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit. Veuillez m’excuser pour mon absence ces jours-ci je… »

Sa gorge se noue, je la rassure. Elle me propose de dîner, nous partons à 18h. Je propose un autre restaurent un peu plus éloigné de la ville. Le monde se presse déjà vers les tables, pour la plupart des couples enlacés, fatigués par une longue promenade après le déjeuner. Je me surprends à dépenser le cœur plus léger que d’habitude.

Nous dînons, livrés aux lourdes odeurs du pollen. Les bougies éclairent notre visage, chacun peut épier l’autre. Mona me dit qu’elle n’a pas eu trop de temps à me consacrer, qu’elle prend le temps de visiter la ville et de se constituer un petit groupe. Elle dit que je fais partie de ce groupe, qu’elle trouve mon esprit intelligent et réfléchi.

« En Orient, que l’on soit paysan ou médecin, nous avons une culture. Il ne suffit pas d’étudier les lettres ou les mathématiques pour savoir raisonner sur la vie. Autrefois, je parlais avec un paysan et nous avons débattu sur la vie et ses plaisirs. Je l’ai trouvé plus ouvert que beaucoup de mes anciens amis. Il y a tant de préjugés que je déplore ici ».

Elle soupire et regarde autour d’elle. Sans se soucier de son indiscrétion, la jeune femme commente un couple vraisemblablement animé par sa discussion.

« Regardez-les, ils se sourient, séparés par un vulgaire meuble. Alors qu’il ne suffit que de se pencher pour voler un baiser. Les relations sont si distantes, comment faites-vous pour être sociables ? »

Méprisante, elle rabat son châle rose clair sur ses épaules. J’admire sa philosophie.

Nous prenons un dernier verre de vin. L’alcool aidant, je trouve Mona plus lâche, plus encline aux caresses. Rêveuse, elle fait tourner le liquide ambré dans le verre en cristal. Les derniers rayons font scintiller la porcelaine.

« Aimez-vous Monsieur de la Guillère ? » Demande-t-elle en me regardant dans les yeux.

« Et vous ? »

Nous nous levons et quittons le restaurent. Je tourne le regard. Quelqu’un nous observe, la silhouette disparaît. Qui était-ce ?

Alors que je la ramène chez elle, Mona ne cesse de me regarder. Elle veut prendre les rennes du cheval, je l’aide. Nos mains se frôlent alors qu’elle prend ma place. Le vent balaye nos cheveux, s’engouffre dans nos vêtements. C’est une douce sensation que la jeune femme partage à mes côtés. Le cheval au galop, elle crie, excitée :

« Regardez Axel, regardez, voilà ce qu’est la liberté, de s’échapper de toute contrainte, de pouvoir dire ce que nous voulons ! Mon Dieu, j’ai l’impression d’être à la maison ! »

Heureux, je ris avec elle Le temps ralentit autour de nous, je sens l’odeur fleurie de sa chevelure et découvre la véritable personnalité de cette femme si mystérieuse.

Nous sommes arrivés à son domaine. Mon cœur s’apaise, la sensation qui m’envahissait s’envole progressivement, me laissant dans un état de béatitude. Mona de la Convilia saute aisément de la calèche et retrouve de sa superbe : sage et très digne.

« Je vous remercie pour ce moment. Au revoir. »

Son époux est sur le palier, elle lui tend les bras. Je détourne les yeux pour ne pas voir ce geste d’amour. Elle a le don de me troubler.

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