— Par où on doit aller, à ton avis ? demanda Tomy en regardant autour de lui.

— Je n’en sais rien…

— On pourrait retourner chez Mary, peut-être qu'elle nous aidera ?

— Bonne idée ! acquiesça Erin.

Elle attrapa Tomy par la main et l’attira sur le chemin de terre qui serpentait entre les grands champs en jachère. Le ciel s’était assombri après l’effondrement du pont, laissant planer une semi-pénombre qui colorait de parme et de violet le ciel éternellement encombré de nuages. Tandis que les deux amis s’approchaient de l’orée du bois, de petites lueurs verdâtres, semblables à des lucioles, apparurent dans l’air au-dessus des hautes herbes. Au fur et à mesure que Tomy et Erin progressaient dans la forêt de pins, des nuées plus ou moins denses se formèrent, inondant l’étendu sombre de milliards d’étoiles scintillantes, telle la voûte céleste un soir d’été.

Hypnotisés par le spectacle féerique qui se jouait sous leurs yeux, Erin et Tomy s’immobilisèrent au milieu du chemin.

— C’est quoi ? demanda Tomy.

— Je ne sais pas, mais c’est magnifique.

— Viens, on va voir ! lança Tomy en tirant Erin vers le bas-côté.

En sautillant, il tenta d’attraper les mystérieux insectes. Mais à chaque fois qu’il pensait en avoir capturé, il n’y avait rien au creux de ses mains. Erin éclata de rire en le voyant sauter en tous sens comme un kangourou.

— Fais attention, tu vas les blesser, s’amusa-t-elle.

Tomy fit un bond vers un nuage de bestioles particulièrement dense et rata son atterrissage, tombant assis sur ses fesses. Tandis qu’Erin était sur le point d’étouffer de rire tant la situation était cocasse, Tomy la héla avec insistance.

— Regarde, Erin !

Lorsqu’elle parvint à se calmer, elle essuya ses yeux d’un revers de manche pour découvrir un Tomy illuminé, recouvert de la tête aux pieds par les petites bêtes. Elle resta plusieurs secondes à admirer leur clignotement synchronisé tel un battement de cœur. Elle s’approcha de Tomy et tendit la main pour les toucher, mais à peine les effleura-t-elle qu’ils s’éteignirent, plongeant la forêt dans une soudaine pénombre violacée.

— Je crois qu’elles ne m’aiment pas, s’exclama-t-elle avec tristesse.

— Mais non, elles sont juste timides !

Aussitôt se recula-t-elle que les créatures s’illuminèrent à nouveau. Hypnotisé, Tomy essaya de percevoir leur forme, mais impossible de voir autre chose que leur scintillement, comme si elles n’étaient rien d’autre qu’une énergie rayonnante. En une seconde, elles s’élevèrent dans le ciel au-dessus du garçon en formant un tourbillon qui disparut dans l’immensité céleste.

Détournant son regard du ciel, Tomy remarqua la tristesse sur le visage d’Erin. Mais son grand sourire et un clin d’œil séchèrent les larmes de la jeune fille en un rien de temps. Il l’aida à se relever et ils reprirent leur route en se tenant par la main.

Au bout de plusieurs minutes, l’ébauche d’une maison apparut au loin et Tomy remarqua aussitôt que ce n’était plus la même. Au fur et à mesure que les deux amis se rapprochaient, une grande maison de trois étages, couverte de bardages gris et blanc, se dressait à l’endroit exact où se tenait la petite habitation en briques rouges de Mary.

Erin s’immobilisa à quelques mètres de l’imposante demeure. Tomy se tourna vers elle pour lui demander ce qu’il se passait lorsqu’il remarqua que ses yeux brillaient.

— Ça va, Erin ?

Sans lui répondre, elle se mit à courir en direction de la porte d’entrée et y pénétra sans hésitation. Surpris, Tomy prit plusieurs secondes pour la rejoindre. En pénétrant dans une grande pièce carrée aux murs couverts d’une tapisserie fleurie, il découvrit Erin en sanglot et à genoux.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Pourquoi tu es triste ? s’inquiéta-t-il en s’agenouillant devant elle.

— Je ne suis pas triste… c’est ma maison… celle du Connecticut…

Tomy leva les yeux pour détailler l’endroit ; deux grands escaliers partaient chacun d’un côté de la pièce pour monter à l’étage et un grand lustre en laiton et porcelaine pendait au centre. Juste au-dessous trônait une petite table ronde sur laquelle un vase était posé et dans lequel des fleurs fanées semblaient être là depuis une éternité.

— C’est la maison de ton enfance ?

— Oui… c’est ici que j’ai grandi avec mon frère…

— Tu as un frère ? s’exclama Tomy avec surprise.

Erin acquiesça et son regard se figea vers l’escalier derrière Tomy. Il se retourna pour découvrir un jeune homme blond qui semblait à peine plus vieux que lui, les observants au milieu des marches, un sourire ému aux lèvres.

— Noah ! appela Erin en se précipitant vers le garçon.

Tous deux s’enlacèrent en bas des escaliers sous le regard incrédule de Tomy. Lorsqu’ils relâchèrent leur étreinte, ils se tournèrent vers lui en souriant.

— Tomy ? Je te présente mon frère, Noah.

Le garçon fit un timide signe de la main pendant que Tomy se relevait.

— Content de te connaître, Noah.

Tandis que Tomy lui tendait la main, Noah le pris dans ses bras, dégageant une étrange fraîcheur dans l’air qui le fit frissonner. Gêné, il lui rendit son accolade en tapotant son dos. Noah le détailla ensuite de la tête aux pieds.

— Que fais-tu ici ? le questionna Tomy.

Le jeune homme fronça les sourcils et se tourna vers Erin qui lui fit plusieurs mouvements avec les mains. Durant plusieurs secondes, ils échangèrent différents gestes sans que Tomy comprenne pourquoi.

— Il est sourd et muet, annonça Erin, on parle la langue des signes.

— Oh, d’accord, désolé…

— Ne t’excuse pas, tu ne pouvais pas savoir, répondit-elle en souriant.

— Mais que fait-il ici ?

Erin lança un regard gêné vers son frère qui lui répondit par un haussement de sourcil en se pinçant les lèvres.

— Il… elle soupira avant de reprendre : il est ici pour nous aider.

— Génial ! Il va nous aider à quitter cet endroit ?

Enthousiasmé par cette idée, Tomy les attrapa par les mains et les tira vers la porte, mais Noah s’arrêta net. Se Tournant vers Erin, son regard se fit davantage énervé. Il gesticula avec vivacité tandis que la jeune fille semblait vouloir se justifier. Elle finit par croiser les mains devant elle et Noah leva les yeux au ciel en acquiesçant.

— Tout va bien ? s’inquiéta Tomy, incrédule.

— Oui, ça va, ne t’en fais pas.

— OK… alors, on y va ?

Noah sortit précipitamment et les deux amis le suivirent. Avançant d’un pas bien trop rapide pour eux, Erin l’attrapa par le bras et lui fit signes qu’il devait ralentir. Soudain, un petit nuage de lucioles reparut. Les petites créatures volèrent jusqu’à Tomy et l’entourèrent de leur lumière, comme pour l’inciter à les suivre. Après un regard vers Erin et Noah, tous trois se mirent en marche côte à côte sur le chemin, s’enfonçant de plus en plus dans la forêt en suivant la nuée fluorescente.

Après de longues minutes à cheminer entre les troncs en décomposition, les souches et les branches mortes qui jonchaient le sol, le petit groupe arriva dans une minuscule clairière au centre de laquelle un vieux puits en pierre sortait du sol. Les petits insectes se mirent alors à briller plus intensément et leur lumière s’affola lorsqu’elles survolèrent la cavité.

Les trois enfants s’approchèrent et Noah fit signe à Tomy d’y sauter.

— T’es fou ! Je vais pas dans ce trou tout noir !

— C’est le chemin du retour, Tomy ! l’invectiva Erin, avec plus de fermeté qu’elle ne l’aurait souhaité.

Sans prévenir, un éclair aveuglant déchira la pénombre de la forêt, plongeant Tomy dans le noir complet.