Le radio réveil JAZ MOFIC indiquait 8h06 en ce matin du samedi 22 avril 1989.

Le soleil naissant étalait sa douce lueur sur le lac, tandis que la brume se dissipait dans une explosion d’or et de cuivre. Lorsque les rayons parvinrent à percer aux travers des épais rideaux de sa chambre, Tomy plissa les yeux en tentant d’apercevoir l’heure sur son radio-réveil. Il poussa un grognement avant de se retourner vers le mur en tirant la couette sur sa tête.

Soudain, se souvenant de la date du jour, il se releva avec un grand sourire aux lèvres avant de sauter hors de son lit. Il se saisit de Bruce et, dans une farandole d’excitation, se mit à tournoyer dans la pièce en chantonnant « c’est mon anniversaire ! ».

Au rez-de-chaussée, Lucy s’activait à finir la décoration du gâteau qu’elle avait préparé pour la fête lorsque le bruit des pas de Tomy lui fit lever la tête en souriant. Il descendit les escaliers dans un vacarme digne d'un éléphant, puis pénétra dans la cuisine avec Bruce.

— Bonjour, maman ! lança-t-il en sautant dans les bras de Lucy.

— Ouh, doucement, Tomy, ria-t-elle, tu vas me faire tomber à la renverse.

— Pardon...

— Ce n’est pas grave, mon ange. Assieds-toi, je vais te servir ton petit déjeuner.

Il sautilla jusqu’à sa chaise tandis que Lucy déposait devant lui une assiette garnie de gaufres aux pépites de chocolat, saupoudrés de myrtilles, le tout généreusement arrosé de crème fouettée et de caramel.

— En voila un petit déjeuner de champion qui fête son anniversaire ! lança Jeffrey en passant la porte les bras chargés de paquets, je peux en avoir aussi ?

— Je ne t’ai pas oublié, mon chéri, répondit Lucy en déposant une autre assiette sur la table.

— Ah, merci ! Je meurs de faim !

Jeffrey se désencombra les bras et s'assit aux côtés de Tomy. Après avoir avalé une bouchée de la généreuse assiette devant lui, il écarquilla les yeux de plaisir et se tourna vers Tomy dont les joues étaient gonflées de gourmandise. Il éclata de rire en pointant du doigt le visage bouffi de son fils, communiquant son hilarité à Lucy.

—

14h30.

Tomy et Jeffrey s’affairaient à finir d’installer les tables et les chaises sur la terrasse de la maison. Le temps était au beau fixe et les températures dignes d’un été précoce. Dans la cuisine, Lucy terminait les différentes collations qu’elle avait confectionnées, lorsque le carillon de la porte d’entrée retentit. Tomy courut pour accueillir les premiers invités.

Il reçut un « joyeux anniversaire » collégial de la part de Marion, Zack, Debby et Ezra qui se tenaient en rang devant la porte.

— Bonjour tout le monde, merci beaucoup !

Marion lui tendit un grand paquet rectangulaire emballé dans un papier à motifs d’avion et enrubanné de bolduc doré.

— Woaw, il est énorme ! Je vais le mettre avec les autres, c’est trop gentil !

— Attends de voir ce qu’on t’a apporté, mon pote, lança Zack avec un sourire malicieux en se balançant sur ses béquilles.

Debby se décala d’un pas, dévoilant un présent aussi haut que Tomy dont les yeux s’écarquillèrent de surprise.

— Oh, mais… vous n’auriez pas dû… merci infiniment !

Il les embrassa chacun avant de les inviter à entrer.

— Maman est dans la cuisine et papa sur la terrasse, derrière.

Alors qu’il s’apprêtait à refermer la porte, il perçut un bruit de moteur s’approchant dans l’allée. Un pick-up bleu clair apparut et s’arrêta au bout du chemin devant la palissade blanche. Son cœur fit un bond dans sa poitrine lorsqu’il reconnut la jeune femme qui descendait du côté passager. Elle bascula le siège pour laisser descendre la demoiselle assise à l’arrière.

— Erin, souffla-t-il en se précipitant à sa rencontre.

Arrivé à sa hauteur, il se planta devant elle tel un piquet affublé d’un grand sourire allant d’une oreille à l’autre. Son corps tout entier voulait la prendre dans ses bras, mais il se fit violence pour se contenir.

— Je suis super content que tu aies pu venir. Tu vas mieux ?

Elle sourit en baissant les yeux, puis pointa son index vers son cou.

Tomy fronça les sourcils en essayant de décrypter les signes de la jeune fille.

— Oh, tu as mal à la gorge, tu ne peux pas parler, c’est ça ?

Elle secoua la tête de haut en bas en signe de confirmation puis s’avança vers lui et le prit dans ses bras.

Figé sur place, Tomy ouvrit de grands yeux rond de surprise. Puis, tout en les fermant, il posa sa tête dans le creux de son épaule en passant ses bras autour d’elle. Sa peau était chaude et d’une douceur infinie, et ses longs cheveux dégageaient un parfum enivrant de fraise.

— Tu m’as beaucoup manqué, chuchota-t-il.

Elle resserra son étreinte pour lui faire comprendre que lui aussi. Puis en s’écartant, elle déposa un baiser sur sa joue qui le fit aussitôt rougir. Elle secoua la tête d’un petit rire silencieux en voyant son visage cramoisi, puis attrapa un petit paquet posé sur le siège du pick-up.

— C’est pour moi ? demanda niaisement Tomy.

Elle leva les yeux au ciel avant de hocher la tête.

— Merci beaucoup, répondit-il en lui rendant son baiser.

Depuis le perron, Lucy souriait en contemplant la scène, les yeux humides. Elle avait si souvent entendu Tomy, le soir dans son lit, dire à Bruce à quel point Erin lui manquait, que les voir ainsi lui arracha une larme.

— Allons, Tomy, lança-t-elle en s’essuyant la joue d’un revers de main, ne restez pas devant la porte.

Elle s’avança vers Jessica et Baxter pour les saluer, puis se tourna vers la jeune fille.

— Je suis enchantée de faire ta connaissance, Erin. Tomy m’a tellement parlé de toi.

La jeune fille fit un signe de la tête en souriant.

— Elle est… aphone... pour le moment, coupa sèchement Jessica.

— Oh, je suis navrée pour toi, ma chérie, répondit Lucy avec une expression désolée, allons, ne restez pas là. Tomy ? Allez rejoindre les autres, je dois récupérer ton cadeau dans la voiture de papa.

Tomy opina gaiement de la tête et invita Erin et ses parents à le suivre, tandis que Lucy se dirigeait vers la Chrysler bleu foncé.

Elle ouvrit la portière du côté passager et fut surprise que le paquet ne soit pas sur le siège comme indiqué par Jeffrey. Elle referma la porte avec plus de force qu’elle ne l'aurait voulu, ce qui ouvrit violemment la boite à gants qui déversa son contenu sur la moquette.

— Oh, il ne manquait plus que ça ! grommela-t-elle.

Au travers de la vitre, son regard fut attiré par un petit flacon en plastique orange. Elle rouvrit la portière et se pencha pour l’inspecter. Elle se figea en découvrant qu’il s’agissait d’un anxiolytique, prescrit au nom de Jeffrey.

Excédée par les cachotteries de son époux, elle se releva au bord des larmes tandis qu’une expression haineuse se dessinait sur son visage. Furieuse, elle glissa le flacon dans la poche de son gilet avant de regagner la maison.

Lorsqu’elle retrouva les invités sur la terrasse, Jeffrey l’accueillit avec un verre de punch aux fruits. Elle le dévisagea, prête à exploser devant tout le monde, mais se ravisa en apercevant Tomy qui discutait avec Erin et Zach. Rien de tout cela n’était sa faute et tous les trois avaient mérité de passer un moment agréable après ce qu’ils avaient enduré.

Elle sourit à son époux et bu le verre d’une gorgée, puis s’en servit un deuxième.

— Vas-y doucement, il y a du rhum dans ce punch !

Elle maintint le regard de Jeffrey et avala le second verre sans sourciller.

— Qu’est-ce qu’il te prend ?

Elle lui sourit et passa ses bras autour de son cou.

— Rien du tout, mon amour.

Elle se pencha sur son épaule.

— J’ai trouvé tes antidépresseurs, chuchota-t-elle à son oreille, j'attends des explications, mais il est hors de questions que tes cachotteries gâchent la fête de Tomy.

Elle lut la stupeur sur son visage tandis qu’elle se reculait pour le fusiller d’un regard noir.