Chapitre 9 : À cœur ouvert.

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16h18

Le bus déposa Tomy devant la maison. Il rabattit sa capuche sur sa tête et traversa la petite allée de gravillons qui menait au porche. Une pluie torrentielle s’était acharnée toute l’après-midi.

Lorsqu’il passa la porte, le bruit d’un feu crépitant l’interpela. Dans le salon, il découvrit sa mère en chemise de nuit, endormie sur le tapis devant la cheminée allumée, entourée des albums photos familiaux.

Il s’approcha sans faire de bruit et son regard fut attiré par un cadre doré contenant une photo du mariage de ses parents. Sur le cliché, Lucy portait une robe de satin bleu ciel mi-longue très sobre, avec un petit voile court surmonté d’un diadème en strass dans ses cheveux relevés. Dans sa main droite gantée de dentelle blanche, elle tenait un petit bouquet d’œillets bleu enrubanné de satin blanc. Une expression de joie intense se lisait sur son visage. Jeffrey, debout à ses côtés, guindé dans un complet trois pièces vert pastel, souriait à s’en décrocher la mâchoire, sa main gauche maintenant un pan de sa veste devant lui.

Tomy sourit en remarquant qu’ils se tenaient par le petit doigt de leur main libre, au centre de la photo.

Il se pencha sur sa mère.

— Maman ?

Lucy sursauta, poussant le pauvre Tomy qui tomba à la renverse.

— Jeffrey ? appela-t-elle en reprenant ses esprits.

— C’est moi maman ! dit Tomy en se relevant, Tout va bien ?

— Oh, mon ange… Je suis désolée ! J’ai cru que c’était ton père.

— Pourquoi tu dormais par terre ?

— Ce n’est rien... je me suis endormie en regardant nos souvenirs.

Elle esquissa un sourire crispé en regroupant les photos devant elle, le visage encore tuméfié d’avoir pleuré.

— Papa n’est pas rentré ? Tu as dit qu’il serait là à mon retour de l’école !

— Papa est rentré… mais il a dû repartir !

— Est-ce qu’il revient bientôt ?

— Je ne sais pas...

— Pourquoi ?

— S’il te plaît, Tomy ! grogna-t-elle exaspérée.

Le pauvre garçon eut un mouvement de recul face à la réaction sanguine de sa mère.

— Excuse-moi… prend des cookies dans le placard pour ton quatre heure et monte faire tes devoirs.

Sans plus d’explications, elle se leva et ramassa les affaires au sol. Tomy attrapa son cartable et grimpa dans sa chambre sans demander son reste.

Il attrapa Bruce et s’assit au bord de son lit en le prenant dans ses bras.

— Tu sais ce qui se passe ?

Il n’obtint évidemment aucune réponse.

— Si seulement tu pouvais parler… dit-il en le reposant entre les oreillers.

Confus par le comportement étrange de sa mère, il s’assit à son bureau et commença ses devoirs en silence.

17h05

Le bruit de la porte d’entrée tira Tomy de ses exercices. Il se précipita jusqu’à l’escalier en pensant qu’il s’agissait de son père, mais fut déçu d’apercevoir Mme Holly.

Il s’apprêtait à retourner dans sa chambre lorsque Lucy la prit dans ses bras.

— Merci d’être venue, Marion. Je ne savais pas à qui me confier.

— Désolé de ne pas avoir pu venir plus vite... Raconte-moi tout.

— Allons dans la cuisine, je ne veux pas que Tomy nous entende…

Il eut juste le temps de s’écarter alors que sa mère jetait un œil dans sa direction, heureusement sans le voir. Puis les deux femmes s’isolèrent en fermant la porte à double tour derrière elles.

Tomy, intrigué, descendit silencieusement l’escalier dans l’espoir d’épier leur conversation. Ce n’était pas la première fois qu’il espionnait ses parents. Pour son sixième anniversaire, sa mère avait souhaité lui organiser une fête sans qu'il s'en aperçoive. Le petit diable avait écouté aux portes et gâché la surprise le jour venu. Mais cette fois, c’était différent. Quelque chose de grave se passait, et il voulait savoir de quoi il retournait.

Cependant, à peine son oreille avait-elle effleuré le bois, que la porte d’entrée s’ouvrit sur son père, les cheveux en bataille et le costume détrempé.

— Qu’est-ce que tu fais, Tomy ?

Sans qu’il ait le temps de répondre, Marion et Lucy apparurent, les dévisageant, son père et lui, à tour de rôle. Ils restèrent tous les quatre plusieurs secondes à se regarder en chien de faïence, lorsque Marion brisa le pesant silence qui régnait.

— Je vais m’occuper de Tomy pour la soirée. Vous avez des choses à vous dire, lança-t-elle en attrapant Tomy par les épaules.

Il la repoussa.

— Mais je veux rester avec papa et maman ! dit-il avec agacement, en s'éloignant au centre de la pièce.

— Tomy ! Obéis à Marion… commença Jeffrey.

— NON ! hurla-t-il à la stupeur générale. Je ne suis plus un petit garçon, j’ai bientôt dix ans ! Et je veux savoir ce qu’il se passe !

Tel un enfant capricieux, il croisa les bras sur son torse avec une moue déterminée.

Jeffrey lui lança un regard de désapprobation et s’apprêta à rétorquer, lorsque Lucy le coupa.

— Il a raison… il a le droit de savoir...

Elle leva son magnifique regard azur vers Jeffrey, qui se radoucit instantanément. Il haussa les épaules, puis leur indiqua la salle à manger avec un hochement de tête.

— Je vais vous laisser… commença Marion.

— Non ! je veux que tu restes, l’arrêta Lucy.

— Oui… reste, souffla Jeffrey.

Tous prirent place autour de la grande table en acajou. Jeffrey les regarda à tour de rôle.

— Mon père… il marqua une pause en soupirant, avant de reprendre. Mon père est décédé le 16 mai dernier à 18h52, à l’hôpital presbytérien de Fairfield des suites d’un arrêt cardiaque provoqué par l’ingestion d’une importante quantité d’anti-douleurs…

Il prit une grande inspiration et joignit ses mains devant lui.

— Il nous a abandonnés, ma mère et moi, quand je n'étais encore qu'un enfant et… à la mort de ma mère, il a essayé de renouer le contact… mais je l’ai ignoré… je l’ai même menacé d’appeler la police s’il continuait…

Lucy se pencha en avant et posa sa main sur celles de Jeffrey. Il ferma les yeux, laissant échapper un sanglot.

— Je suis tellement désolé de te l’avoir caché, mon amour… je n’ai jamais pu exprimer ce que je ressentais et je ne voulais pas que tu aies une mauvaise opinion de moi… qu’est-ce que les gens auraient pensé ?

Il leva ses yeux larmoyants vers Lucy, qui fit basculer sa chaise en arrière en se jetant brusquement dans ses bras.

— Je le sais… et je te demande pardon si je t’ai fait ressentir que tu n’avais pas le droit d’exprimer ta peine… ce n’était pas intentionnel...

Pour la première fois de sa vie, Tomy vit son père pleurer. Il savait pertinemment que cela arrivait aussi aux adultes, sa mère fondant régulièrement en larmes devant un film ou un livre un peu trop triste. Mais voir son père dans cet état lui parut si inhabituel, qu’il en resta perplexe.

— Ton papa… c’était mon grand-père ? demanda Tomy.

Jeffrey essuya ses joues d’un revers de manche et hocha la tête, incapable de le regarder dans les yeux.

— Je suis désolé que ton papa ait été méchant avec toi…

Tomy se leva doucement et s’approcha de son père, puis posa sa petite main sur son épaule humide.

— Mais toi, t’es un super papa ! J’te l’ai jamais dit, mais… même si à cause de ton travail on se voit pas beaucoup, je sais que c’est pour qu’on manque de rien !

Jeffrey leva la tête vers son fils qui le gratifia d’un sourire bienveillant.

— Merci, mon ange… j’avais vraiment besoin d’entendre ça… dit-il la voix cassée.

Il posa son front contre le sien, puis Tomy déposa un baiser sur sa joue. Jeffrey l’attira alors vers lui et le serra contre son torse.

— Beurk ! Papa ! T’es tout mouillé et tu sens pas bon ! râla Tomy avec une moue de dégoût.

La pression retombant, sa candeur juvénile provoqua l’hilarité générale.

Le sourire aux lèvres, Jeffrey se leva de sa chaise et lui ébouriffa les cheveux. Il se tourna vers Lucy et la prit dans ses bras.

— Je propose qu’on aille tous manger un hamburger avec plein de frites et une énorme glace au chocolat, pour se remonter le moral ! D’accord ?

Tomy se mit à sautiller dans la pièce, la remplissant de "youpi" d'excitation. Il était conscient que toutes les glaces du monde n’effaceraient pas les problèmes qui accablaient ses parents, comme par magie. Mais dans la bulle d’insouciance d’un enfant de neuf ans, passer un bon moment avec sa famille était simplement réjouissant.

Autant que l'idée de revoir Erin.

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