Chapitre 8 : Un monde parfait.

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15h45

— Ma chérie ? Je suis rentré ! Appela Jeffrey en passant la porte de la maison.

Dehors, des trombes d’eau inondaient la pelouse. Le son des énormes gouttes de pluie se fracassant sur la tôle du porche se réverbérait dans la maison silencieuse.

— J’ai eu une idée, continua-t-il. Qu’est-ce que tu dirais si nous allions manger au restaurant en famille ce soir ?

Il avança dans le couloir à la recherche de Lucy.

— Chérie ? Où es-tu ?

Pas de réponse.

En se dirigeant vers la cuisine, il perçut un sanglot provenant de la buanderie. En ouvrant la porte, il découvrit Lucy assise sur son tabouret, le visage rougi de larmes.

— Tout va bien, mon amour ? demanda-t-il.

Elle déglutit puis reprit son souffle.

— Maître Anderson a téléphoné…

Le sourire de Jeffrey se fana et son visage se figea.

— Pourquoi est-ce que tu ne m’as rien dit ? lança-t-elle sur un ton accusateur.

Jeffrey fit un quart de tour vers la machine à laver et y posa les mains, les yeux fixant le vide.

— Je… je suis désolé… marmonna-t-il.

— Après toutes ses années et tout ce que nous avons traversé ! Pourquoi tu n’as rien dit ? Je suis ta femme ! Je mérite de…

Jeffrey la coupa.

— Le monde ne tourne pas autour de toi ! cracha-t-il avec véhémence. Il s’agit de mon père, de mon histoire ! Cela ne te concerne en rien !

Lucy, qui s’était relevée, fit un pas en arrière face à la colère de son époux. Les mains toujours appuyées sur le lave-linge, il lui lança un regard noir en serrant les dents, faisant saillir les muscles de sa mâchoire par intermittence. Malgré leurs disputes occasionnelles, jamais elle ne l’avait vu dans un tel état.

— Mais… tu n’es pas obligé de traverser cela tout seul, dit-elle en posant sa main sur son épaule.

Il la repoussa sans ménagement, puis frappa du poing contre le mur face à lui, avant de quitter la pièce en claquant la porte.

— Jeff ! Je t’en prie ! hurla Lucy en tentant de le rattraper.

— Laisse-moi ! asséna-t-il sans même se retourner.

Devant la maison, sous la pluie battante, Lucy attrapa sa main.

— Par pitié ! Parle-moi ! l’implora-t-elle.

Jeffrey s’arrêta.

— Ouvre les yeux, Lucy ! Cela fait presque un an qu’il est décédé et tu n’as rien remarqué ?

Elle perçut instantanément la douleur dans sa voix. Bien que Jeffrey se soit toujours montré affectueux et attentionné, jamais il n’avait réellement ouvert son cœur et parlé de ses émotions. Elle se sentit honteuse de ne pas lui avoir demandé s’il allait bien plus tôt.

— Tout n’est pas toujours rose ! lança-t-il en se tournant vers elle.

Son ton rageur avait fait place à de la déception.

Lucy s’avança et tenta de l’enlacer, mais il la repoussa, le visage trempé de larmes mêlées de pluie.

— Il est mort… et je ne pourrais jamais lui dire tout ce que j’ai sur le cœur… c’est un fait !

— Je suis tellement désolée… j’ai été aveugle… je n’ai pas su voir ce que tu traversais…

— Mais as-tu seulement essayé ? Tu te complais dans le rôle de la parfaite femme au foyer, la mère idéale… mais as-tu une seule fois pris le temps d’observer le monde qui t'entoure ? Nous ne sommes plus dans les années 50 !

Pétrifiée par la dureté des mots de Jeffrey, Lucy resta muette de honte. Par ses invectives, elle réalisa à quel point elle avait méprisé ses sentiments en présumant qu’il était assez fort pour surmonter n’importe quel obstacle moral.

— Peut-être l’aurais-je remarqué si tu ne jouais pas le mari insensible en permanence ! lança-t-elle sans réfléchir.

— Crois-tu que j’aie le choix d’agir différemment ? Tu t’imagines aussi que cela me fait plaisir de travailler soixante heures par semaine ? Loin de ma famille ? Je n’ai jamais eu le choix !

Il se tourna et avança vers la Chrysler Lebaron bleu foncé garé dans l’allée. Il se retourna vers Lucy qui était restée immobile devant le petit escalier qui menait sous le porche.

— Désolé que tu aies eu à l’apprendre de cette manière… une preuve de plus, s’il t’en fallait, que je ne suis pas l’homme fort et parfait dont tu rêvais… dit-il en haussant les épaules, le regard triste.

Il s’installa au volant et démarra en trombe.

Lucy, accablée par l’émotion et l’incompréhension, fondit en larmes en tombant à genoux dans la boue, le dos fouetté par la pluie qui redoublait de violence.

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