Chapitre 7 : Jack

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6h30.

Le radio réveil JAZ MOFIC s’alluma sur la station WSC 102 FM et les actualités du jeudi 9 mars 1989. Tomy ouvrit de grands yeux, appuya sur le bouton snooze, puis sauta hors de son lit en direction de sa commode. Les journées de mardi et de mercredi lui avaient paru d'une longueur infinie tant il était impatient de revoir Erin. Il enfila ses plus beaux vêtements et s’empressa de mettre ses baskets avant de courir vers la porte de sa chambre. Il s'arrêta avant de revenir sur ses pas, une expression désolée sur le visage.

— Pardon M. Bruce, dit-il en attrapant sa peluche, je suis trop content de revoir Erin aujourd’hui…

Il le serra dans ses bras, l’embrassa, puis le déposa à sa place entre les oreillers.

Dévalant les marches quatre à quatre, il manqua de percuter sa mère qui passait au même moment en bas des escaliers.

— Eh bien, mon chéri. Tu as l’air très en forme ce matin.

Elle esquissa un sourire en le voyant de si bonne humeur après deux journées plutôt moroses. Et même si la raison de ce soudain revirement ne lui avait pas échappé, elle resta muette pour ne pas risquer de mettre son fils mal à l’aise.

— Papa est déjà parti ?

— Oui, il y a vingt minutes… mais il a promis d’être là quand tu rentreras de l’école.

Tomy lui sourit puis s’installa à table. Il ne lui fallut que quelques minutes pour engloutir les trois énormes pancakes préparés par sa mère et descendre d’un trait son verre de jus d’orange.

Il sauta de sa chaise pour se nettoyer sa bouche à l’évier, puis fonça en direction de la porte d’entrée.

— Attends, mon ange ! Il n’est que 7h15, le bus n’arrivera pas avant au moins dix minutes.

— C’est pas grave, je vais l’attendre dehors ! J’ai pas envie de le rater ! répondit Tomy, la voix pleine d’excitation.

Lorsqu’il ouvrit la porte, le brouillard avait envahi les alentours de la maison et l’on n'y voyait pas à dix mètres. La pale lueur du soleil peinait à pénétrer l’épais nuage vaporeux, offrant une atmosphère lugubre au lourd silence de la nature hivernale.

— On va l’attendre ensemble sous le porche, d’accord ?

Tomy hocha la tête en signe d’approbation. Lucy enfila son long manteau en nubuck beige et tous deux prirent place sur la balancelle, à l’abri de la fraîcheur brumeuse. Doucement, Lucy les balança d’avant en arrière.

— Tu es content de revoir Erin ?

— Ah ouais… c’est vrai qu’elle revient aujourd’hui… ouais, elle est sympa, répondit Tomy en feignant une indifférence peu crédible.

— Mon ange, dit Lucy en prenant sa main, tu n’as pas à avoir honte de tes sentiments envers Erin.

Tomy se tourna vers sa mère avec une moue d’incompréhension.

Elle plongea son regard dans le sien avec toutes la bienveillance qu’une mère doit à son enfant, un sourire nostalgique lui fendant le visage.

— Tu es jeune… et tu vivras encore d’innombrables aventures tout au long de ta vie. Mais n’oublie jamais ce sentiment… cette chaleur qui t’envahit quand tes yeux se posent sur elle. L’amour est le bien le plus précieux de toute une vie.

Tomy s’apprêta à lui répondre, mais il se ravisa lorsque les magnifiques yeux bleus de sa maman le transpercèrent au plus profond de son être.

— D’accord, maman, murmura-t-il en se blottissant contre elle.

Elle le serra dans ses bras, puis l’embrassa sur le front.

— Et n’oublie jamais que personne ne t’aimera autant que je t’aime.

— Je sais !

Il lui sourit, puis tous deux restèrent enlacés, le regard perdu dans la brume qui les enveloppait tel un doux nuage réconfortant.

Quelques minutes plus tard, le bruit d’un moteur s’approchant les tira de leur torpeur affective. Lucy accompagna Tomy jusqu’à la portière du bus.

— Passe une bonne journée, mon cœur.

— Toi aussi, maman.

Lorsque la portière se referma, Lucy recula de quelques pas et fit un signe de la main que Tomy lui rendit, tandis que le véhicule reprenait son chemin.

Dans le bus, le garçon scruta la masse braillante à la recherche de Zach, sans parvenir à l’apercevoir.

— Il vient pt’être en voiture, pensa-t-il en s’asseyant sur une banquette libre.

Il n’était pas rare que Mme Aftalion le dépose le matin après un cours particulier ou une activité quelconque. Tomy se replongea dans ses pensées, intérieurement fou de joie à l'idée de revoir Erin.

7h35.

Le car s’approchait de l’impasse de la rue Ruby. Impatient, Tomy se redressa sur son siège, mais s’interloqua en remarquant que le conducteur ne ralentissait pas. En une fraction de seconde, le véhicule traversa l’intersection sans emprunter la rue ou habitait Erin. Tomy sauta de son siège et courut à l’avant.

— Chauffeur, l’interpella-t-il, vous oubliez une élève !

— Qu’est-ce que tu fais debout ? Retourne immédiatement t’asseoir, l’invectiva le conducteur.

— Mais vous oubliez une élève !

— Je n’ai oublié personne !

— Si ! La fille de la rue Ruby !

— Tu parles de la petite Myers ? Ses parents ont prévenu qu’elle était toujours malade.

Tomy eut la sensation que le sol se dérobait sous ses pieds. La stupeur de la nouvelle se lisant sur son visage, le chauffeur arrêta le bus pour s’assurer qu’il allait bien.

— Qu’est-ce que tu as, petit ? Tout va bien ?

Tomy ne prit même pas la peine de répondre. Il tourna sur ses talons et regagna sa place, les bras ballants et les yeux vides. Il resta muet de déception, le regard tourné vers l’extérieur pour le restant du trajet.

Lorsque le bus s’arrêta devant l’école élémentaire, Tomy retrouva un semblant de bonne humeur en apercevant Zach qui l’attendait patiemment près de la grille.

— Salut Tomy !

— Salut…

— Bah, elle est où Erin ? demanda Zach en regardant autour d’eux.

— Je sais pas… le chauffeur du bus à dit qu’elle était toujours malade…

— Oh la tuile… j’espère que c’est rien de grave ?

— J’en sais rien, répondit Tomy, la mine basse.

Zach l’attrapa par l’épaule. Le voir dans cet état anxieux et déprimé lui faisait beaucoup de peine.

— Viens ! On va demander au secrétariat s’ils savent ce qu’elle a !

Sans lui laisser le temps de se reprendre, Zach tira sur la manche de Tomy, le faisant brusquement partir en avant.

Devant le bureau des surveillants, Zach tapa sur la vitre coulissante que M. Smith ouvrit en les dévisageant.

— Qu’est-ce que vous voulez, les enfants ?

— Vous savez pourquoi Erin Myers n’est pas venue aujourd’hui ? demanda poliment Tomy.

— Elle est encore un peu malade, mais sa mère nous a assuré qu’elle serait là demain. Pourquoi ?

— Parce qu’il s’inquiète pour sa p'tite amie, pardi ! lança Zach sans prévenir.

Tomy l’interrompit en le poussant du coude, le regardant avec une expression gênée.

— Nan… c’est juste une copine… balbutia-t-il, honteux.

— Eh bien, vous n’avez plus de raisons de vous inquiéter, d’accord ? répondit M. Smith en levant les sourcils.

Zach le remercia et tira Tomy vers lui.

— Tu vois ! Ta p'tite copine va bien !

— C’est pas ma... Tomy s’arrêta et soupira bruyamment, laisse tomber ! On va être en retard en cours.

14h45.

En bonne maîtresse de maison, Lucy consacrait chaque semaine une partie de sa journée du jeudi à faire la lessive et le repassage. Avec les années et quoique cette tâche fastidieuse pouvait lui prendre les trois quarts de son temps, elle était passée spécialiste dans l’art du col de chemise parfaitement amidonné ainsi que du détachage de salissures tenaces.

Profitant d'une pause obligatoire en attendant la fin de cycle de sa troisième machine, assise sur un tabouret dans la buanderie, elle lisait avidement le dernier roman de Thomas Harris : Le silence des agneaux.

Elle sursauta lorsque le téléphone se mit à sonner dans la cuisine attenante, tant elle était absorbée par l’intrigue du thriller policier.

— Oui, allô ?

— Bonjour, madame. Je suis bien chez Monsieur Jeffrey Prescott ? demanda une voix masculine sur un ton solennel.

— Oui, je suis sa femme. Je peux prendre un message ?

— Je suis Maître Anderson, chargé testamentaire de votre beau-père. Nous avons besoin d’une réponse concernant ses biens.

— Je suis désolé, que voulez-vous dire par là ? demanda-t-elle en fronçant les sourcils.

— Malgré mes multiples relances, votre mari ne m’a jamais rappelé. En général, les dossiers testamentaires sont réglés dans les six mois suivant le décès du parent. Or, cela fait presque un an et nous sommes toujours sans nouvelles de votre époux.

Effarée, Lucy reprit son souffle.

— Excusez-moi, je crains de ne pas comprendre.

— À sa mort, le 16 mai dernier, votre beau-père, Monsieur Jack Prescott, a légué tous ses biens à son unique fils, Jeffrey, votre mari. Vous n’êtes pas au courant ?

— Vous devez vous tromper, mon mari n’est plus en contact avec son père depuis plus de vingt ans.

— Nous parlons bien de Jeffrey Edward Prescott ? Né le 22 juin 1950 à Fairfield, au Texas ?

La main de Lucy se crispa sur le combiné.

— Oui… il s’agit bien de mon mari…

— Dans ce cas, pouvez-vous lui transmettre mon message et lui dire de me rappeler au plus vite ?

Lucy resta plusieurs secondes muette d’incompréhension.

— Madame Prescott ?

— Oui… pardon… dit-elle fébrilement en retrouvant un semblant d’esprit. Je vais prendre votre numéro… laissez-moi juste attraper de quoi noter.

Les mains tremblantes, elle ouvrit un tiroir de la cuisine et en sortit un petit carnet ainsi qu’un stylo bille.

— Je vous écoute ?

— C’est le 555 965 452.

— Très bien… je le lui transmettrai à son retour…

— Merci Madame Prescott. Passez un bon après-midi !

— Merci… au revoir…

Ne sachant comment réagir à cette nouvelle, elle raccrocha le téléphone, le regard perdu dans le vague. Son cerveau peinait à trier les informations qu’elle venait de recevoir, tandis que ses yeux se remplissaient de larmes au fur et à mesure qu’elle comprenait l’implacable vérité. Elle tira une chaise et s'y laissa tomber de tout son poids.

— Jeff… pourquoi ? questionna-t-elle en sanglotant.

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