Chapitre 5 : Amour maternel

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15h30.

La sonnerie marquant la fin de la journée de cours retentit. Tomy et Zach s’empressèrent de foncer pour rejoindre le bus, lorsqu’ils remarquèrent une Coccinelle Volkswagen bleu clair garée à proximité de l’entrée.

— Coucou mon chéri !

— Maman ? s’exclama Zach, surpris.

La ronde quarantenaire aux longs cheveux noir bouclés s’accroupit pour prendre son fils dans les bras. Ses yeux sombrent brillaient d’un éclat affectueux malgré la tonne de maquillage irisé qu’elle arborait. Elle avait un grand sourire à ses lèvres d’un rouge écarlate, et son manteau de vison frottait le sol humide. De ses mains gantées de similicuir violet, elle attrapa les joues de son chérubin pour l’embrasser goulûment, maculant son visage de baisers empourprés.

— Beurk ! Arrête maman ! Pas devant tout le monde.

Zach parvint à s’extirper de l’affection débordante et trop visible de sa mère.

— Bonjour madame Aftalion.

— Oh, bonjour mon petit Tomy. Approche que je t’embrasse.

Elle déposa bruyamment le reste de son rouge à lèvres sur les joues du jeune garçon.

— Qu’est-ce que tu fais là m’man ?

— J’avais une course à faire en ville. Je me suis dit que je pourrais vous prendre au passage et vous raccompagner en voiture.

— C’est très gentil à vous.

— Allez ! Grimpez-vous mettre au chaud.

Malgré son look extravagant et ses vêtements colorés, Déborah Aftalion était une femme adorable et particulièrement serviable, toujours prête à aider son prochain et à défendre les plus démunis. Avec son mari, le rabbin Ezra Noam Aftalion, elle chapeautait la communauté juive de la région ainsi que diverses associations caritatives depuis plus de vingt ans.

Elle n’était pourtant pas d’obédience judaïque lorsqu’ils se rencontrèrent en 1969. Un jeune rabbin, fraîchement ordonné, épousant une femme élevée dans une autre religion, ne faisait pas l’unanimité pour les fervents de la Torah. Mais l’amour aidant, elle se convertit au judaïsme lors d’une grande cérémonie guiyour en 1972, pour le plus grand bonheur de son époux.

Zachary avait quatre frères plus âgés. Jacob, né en 1973, Samuel, né en 1975, et enfin Isaac et Aaron, des jumeaux nés en 1977. Du haut de ses huit ans, Zach était le petit dernier de la fratrie, et s’il se trouvait dans la même classe que Tomy, c’est parce qu’il avait sauté une section des cours élémentaires. Bien que son comportement clownesque puisse laisser penser le contraire, Zach était un enfant surdoué. Quoique cela puisse frôler le cliché sociologique, ses parents avaient découvert son potentiel dès son plus jeune âge, le poussant à exploiter ses capacités au maximum. C’est pour cela qu’il reçut des leçons de violon dès ses trois ans, en plus d’autres nombreuses activités extrascolaires et cours particuliers. Il était si brillant qu’ils avaient souhaité l’inscrire dans une école judaïque privée, mais il était hors de question pour lui de quitter Tomy.

Assis sur la banquette arrière, les deux amis regardèrent défiler le paysage urbain. La boutique Radio Shack, les divers magasins de vêtements et chaussures avec leurs vitrines colorées de mannequins bariolés. Le cinéma Multiplex avec à l’affiche La mouche II ou L’excellente Aventure de Bill et Ted, la pizzeria Mama Joe, le pressing ou encore l’imposant hôtel de ville. Malgré le froid, les badauds se pressaient aux portes des commerces en ce milieu d’après-midi. Les rues étaient tellement animées qu’il leur fallut presque trente minutes pour rejoindre le pont de la rivière Elk.

Un quart d’heure plus tard, ils pénétrèrent sur le chemin de terre menant à la maison en bardage blanc. La fraîcheur et l’humidité formaient de petits nuages de brume épars, qui donnaient une atmosphère mystique à la mince forêt de pin qui cernait le lac.

Mme Aftalion gara sa voiture devant la maison pour faire descendre Tomy. Après l’avoir remercié et salué Zach, le jeune garçon courut en direction de la porte d’entrée qui s’ouvrit sur sa mère. Elle l’embrassa puis se dirigea vers le véhicule.

— Bonjour Debby !

— Bonjour Lucy ! Comment vas-tu ?

Les deux jeunes femmes se connaissaient depuis le lycée. Et bien qu’à leur première rencontre la camaraderie ne fut pas vraiment de mise tant Debby était extravagante, bavarde et extravertie par rapport à Lucy, elles finirent par se lier d’une amitié cordiale, mais sincère.

— Divinement bien, merci. C’est vraiment très gentil d’avoir raccompagné Tomy. Vous ne voulez pas prendre le goûter avec nous ? J’ai fait du cheesecake.

— Le cheesecake de Mme Prescott ?! Oh steuplait m’man, dit oui, la supplia Zach.

— D’accord, mais ne traînons pas. Ton cours de soutien est à 17h00.

— Tomy ?

Sa mère l’interpellant extirpa le jeune garçon de ses pensées.

— Oui maman ?

— Tu peux me passer les assiettes s’il te plaît ?

Tomy hocha la tête et commença à débarrasser la table. Zach et sa mère venaient tout juste de partir et Lucy s’activait déjà à faire la vaisselle.

— Tout va bien, mon chéri ? demanda-t-elle.

Il acquiesça. Lucy avait remarqué son malaise dès son retour. Malgré son dessert préféré en compagnie de son meilleur ami, le jeune garçon était resté étrangement silencieux, l’air absent.

— Mon bébé, tu sais que tu peux tout me dire.

Il leva les yeux en serrant ses lèvres crispées, mais le sourire bienveillant et angélique de Lucy le fit instantanément se sentir mieux.

— Je suis inquiet… pour une… amie…

— Une camarade de classe ? Ce ne serait pas la petite Myers? Erin ?

Surpris que sa mère connaisse son nom, mais en même temps heureux de l’entendre le prononcer, Tomy acquiesça vivement.

— Sa mère est venue la chercher à 11h00 parce qu’elle était malade, dit-il avec une moue de déception.

— Tu es inquiet pour elle, c’est ça ?

Un nouveau mouvement de tête confirma à Lucy le désarroi qu’elle lisait dans les yeux de son fils.

— Tu ne devrais pas t’en faire, mon chéri. Ce n’est probablement rien de grave. Elle sera de retour très vite, tu verras !

Elle s’agenouilla devant lui et sans rien dire, le serra dans ses bras.

— D’accord maman, murmura-t-il avec une pointe d'amertume dans la voix.

Elle déposa un baiser sur sa joue et il lui sourit timidement.

— Hum… je dois passer un coup de téléphone. Tu veux bien monter faire tes devoirs ? Je t’appellerai pour le dîner, d’accord ?

Il hocha la tête, puis se dirigea vers l’escalier pour gagner sa chambre à l’étage.

S’installant à son bureau, le regard perdu sur le paysage au travers de la fenêtre, Tomy soupira. Au bout de cinq minutes à fixer l’extérieur, il se tourna vers son lit où Bruce l’attendait immobile entre les oreillers. Il se leva et prit son meilleur ami de toujours dans ses bras.

— J’espère qu’un jour je pourrais vous présenter Erin, dit-il en regardant la peluche dans les yeux, elle est si gentille et si belle…

— Tomy ! l’appela Lucy en bas des escaliers, tu peux venir une minute ?

Il déposa Bruce sur son lit et descendit la rejoindre.

Dans la cuisine, sa mère lui tendit le combiné du téléphone.

— Quelqu’un voudrait te parler, dit-elle en souriant.

Surpris, il attrapa l’appareil et l’approcha de son oreille.

— Allô ?

— Salut Tomy…

— Erin !

En une fraction de seconde, la frêle et douce voix de la jeune fille fit naître un large sourire sur son visage.

— Est-ce que tu vas bien ?

— Je vais bien… j’ai juste fait un malaise… le docteur à dit que c’est à cause du stress…

— Ah d’accord… je suis content de le savoir… tu reviens bientôt ?

— Jeudi je serais là !

— OK…

— Tu me garderas la place avec toi et Zach dans le Bus ?

— D’accord…

— Je dois y aller… à jeudi alors !

— Ouais… à jeudi !

Tomy raccrocha le combiné sur le téléphone au mur, le visage figé.

— J’ai appelé Marion pour avoir le numéro des parents d’Erin, commença Lucy, j’ai pensé que tu aimerais entendre sa voix et que cela te rassurerait de savoir qu’elle…

Tomy l’interrompit en se jetant dans ses jambes, les serrant de toutes ses forces.

— Merci… t’es la meilleure maman du monde !

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