Chapitre 2 : Erin

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— Hey Tomy ! Je t’ai gardé une place !

La voix de Zachary fit naître un sourire sur le visage du petit garçon. Il le remarqua malgré le brouhaha qui régnait dans le bus.

— Hey, merci, Zach !

— Pas de quoi !

Zach lui lança un grand sourire, dévoilant une rangée de dents incomplète, et ses yeux verts pétillèrent derrière ses lunettes orthopédiques à monture rouge. De la main, il repoussa de son visage une mèche de ses longs cheveux noirs.

— Tu sais pourquoi le bus est venu si tôt ce matin ?

Zach se pencha vers Tomy, un sourire espiègle sur le visage.

— À ce qui paraît… il y a une nouvelle élève.

— C’est bizarre qu’ils n’aient pas prévenu nos parents…

— Mon grand frère m’a dit qu’il avait rencontré son père au drugstore où il travaille. Sa famille a racheté la ferme du vieux Jenkins.

— La grande maison effrayante au fond de l’impasse ?

— Exactement ! Ils viennent du Connecticut.

La ferme était une exploitation agricole créée en 1816 par Howard Jenkins, aïeul direct de Julius Jenkins, dernier propriétaire de la lignée, décédé le 8 janvier 1985 à l’âge vénérable de 102 ans. Sa famille avait fait fortune dans la production et la vente de choux et betteraves. Au fil du temps et d'une santé mentale déclinante, le vieux Jenkins s’était peu à peu isolé de la communauté. La magnifique et ostentatoire bâtisse se délabra inexorablement, à tel point que le jour de son décès, il n’en resta plus qu’un tas de planches pourries, au toit à demi effondré. N’ayant aucun enfant ni famille proche encore en vie, la propriété revint à la municipalité qui la mit en vente pour un dollar symbolique, espérant ainsi attirer une famille prête à relancer l’exploitation.

— Je me demande si elle est gentille ?

— Mon frère à dit que son père était bourru, mais sympathique.

— Bourru, c’est pas quand les grands ont bu trop d’alcool ?

— Mais non, ça, c’est bourré…

Zach éclata de rire, communiquant son hilarité à Tomy qui se plia en deux.

7h35

Le bus pénétra dans l’impasse de la rue Ruby. La cacophonie juvénile se transforma soudainement en un silence de cathédrale. Apparemment, tout le monde était au courant de l’arrivée de cette nouvelle élève mystérieuse.

Lorsque le chuintement gazeux de l’ouverture de la porte se fit entendre, tous se redressèrent sur leurs sièges pour apercevoir la fillette, telle une horde de touristes scrutant les lions dans leur enclos au zoo.

— Bonjour mademoiselle, dit le chauffeur avec bienveillance.

— Bonjour monsieur, répondit timidement la gamine.

Elle monta doucement les trois marches en tenant devant elle son petit sac rose brodé de cerises.

Tomy esquissa un sourire en apercevant la mère de la fillette, visiblement émue, lui faisant un signe de la main depuis le perron de la vieille maison. Exactement comme sa mère faisait avec lui depuis son premier jour de classe.

Zach ajusta ses lunettes sur son nez et poussa Tomy du coude.

Lorsqu’il tourna la tête en direction de la jeune fille, son cœur se mit à battre la chamade et il la dévisagea, bouche bée.

Une petite brune aux cheveux mi-long maintenus par un serre-tête en velours rose, fixant le sol de ses grands yeux noisette tant elle était gênée. Elle portait une jupe plissée bordeaux, avec un collant en lainage beige sur lequel des bottes en daim marron remontaient, le tout surmonté d’un épais manteau à motifs écossais. De chacune de ses manches pendaient une moufle en laine rose tricotée à la main.

La regardant avancer au ralenti, Tomy remarqua qu’aucun de ses camarades ne voulait lui laisser un siège libre.

— Tu veux t’asseoir avec nous ?

La phrase sortit toute seule de sa bouche lorsqu'elle arriva à sa hauteur. Zach lui mit un nouveau coup de coude et lui lança un regard désapprobateur, mais Tomy était bien trop hypnotisé pour relever son attitude.

— On peut se serrer à trois, si tu veux ?

La petite fille les regarda, puis jaugea les rangées de sièges derrière eux.

— D’accord… merci…

Tomy sourit en se décalant, poussant dare-dare son ami au fond de la banquette.

— Je m’appelle Tomy, et lui c’est Zach !

Il le pointa du doigt en se tournant vers lui, puis se décala brusquement en remarquant qu’il l’écrasait contre la vitre. Le pauvre se frotta la tête en replaçant à nouveau ses lunettes sur son nez.

— Enchanté ! Et toi, tu t’appelles comment ? demanda Zach d’une voix faussement hautaine.

— Erin...

Le son de sa voix raisonna dans la tête de Tomy tandis qu’il luttait pour détourner son regard d’elle. Difficile de parler de coup de foudre à neuf ans. Mais ce jour-là, à cet instant, le petit Tomy ressentit un sentiment intense, une force étrange qui remontait de son cœur jusqu’à sa bouche qui n’en finissait plus de sourire.

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