6h30.

Le radio réveil JAZ MOFIC s’alluma sur la station WSC 102 FM et les actualités du lundi 6 mars 1989, tirant le jeune Tomy de ses rêves. Le soleil levant baignait déjà sa chambre d’une douce lumière ocrée. Ouvrant péniblement les yeux, il appuya sa main sur le bouton snooze, puis se cacha sous sa couette.

— C’est l’heure mon chéri ! Ne traîne pas si tu ne veux pas rater ton bus ! appela Lucy depuis le bas des escaliers.

— Oui maman ! J’arrive ! cria-t-il en grimaçant.

Son regard s’attarda sur les montgolfières de la tapisserie de sa chambre. La pièce était de belle taille malgré la mansarde, le bois foncé des poutres apparentes se mélangeant au bleu ciel des murs.

C’était là le repaire typique d’un petit garçon de neuf ans, avec ses posters des films de Walt Disney et de nombreux dessins accrochés au fil du temps sur les murs. Au-dessus de son lit était suspendue une réplique du système solaire qu’il avait fabriqué avec son père pour un projet de classe, une création en papier mâché et balles de ping-pong qui lui valut un A+. À côté de son lit, la fenêtre devant laquelle son petit bureau en bois était installé offrait une vue splendide sur le lac, et le vieux saule où son père et lui avaient construit une cabane.

La lumière du jour naissant qui perçait aux travers des épais rideaux opaques, donnait une atmosphère douce et chaleureuse à la pièce, tandis que ses rayons animaient des ombres dansantes sur les murs. Tomy attrapa Bruce, son ours en peluche, puis s’assit au bord du lit. Le tenant par les pattes avant, il l'installa sur ses genoux tout en lui faisant la conversation.

— Avez-vous passé une bonne nuit, monsieur Bruce ? Oh oui monsieur Tomy, excellente !

Le jeune garçon l'avait prénommé ainsi car il était vêtu d’un pull rouge brodé d’un B majuscule doré. Ses parents le lui avaient offert pour son deuxième anniversaire. Dès lors, ils étaient devenus inséparables, Tomy l’emmenant partout en le présentant comme une véritable personne.

Jeffrey ne voyait pas d’un très bon œil cette relation et il se disputait souvent avec Lucy à ce sujet. Pour elle, il n’y avait rien de malsain à ce qu’un petit garçon ait un ami imaginaire, tandis que Jeffrey trouvait cela bizarre. Comme lorsque, à l’âge de trois ans, Tomy avait insisté pour avoir une poupée Barbie. Jeffrey avait tenté d’argumenter que ce n’était pas un jouet convenable pour un petit garçon, tandis que le garçonnet la trouvait simplement jolie. Fort heureusement, sa mère la lui offrit et somma Jeffrey de ne plus revenir sur le sujet. Peu de temps après, la belle blonde se retrouva en décoration sur la petite étagère à livres de la chambre du bambin.

Tomy sauta au pied de son lit, faisant craquer le parquet en chêne, et courut vers sa commode pour y attraper des vêtements propres. Du haut de ses neuf ans, il se montrait très débrouillard. Il enfila ses baskets, attrapa son cartable puis embrassa Bruce avant de quitter la pièce en courant.

Arrivé en bas de l’escalier, il jeta son sac contre le petit banc tout à côté de la porte d’entrée, manquant de faire tomber le porte-manteau avec le choc.

— Bonjour maman !

Il s’approcha de sa mère qui s’affairait à la préparation du petit déjeuner, dans la cuisine nimbée de la lumière du jour. Il l’embrassa lorsqu’elle se pencha vers lui, tandis que la radio diffusait la chanson I'll never love this way again par Dionne Warwick, un tube de l'année 1979.

— Tu as bien dormi mon ange ?

Tomy s’assit à table et leva son assiette pour que sa mère y dépose deux pancakes fumants.

— Très bien ! J’ai rêvé que Bruce et moi partions pêcher sur le lac. Nous avons ramené plein de poissons !

Lucy déposa une noix de beurre sur les pancakes de Tomy, puis lui tendit la bouteille de sirop Aunt Jemima. C’était là son petit déjeuner préféré, que Lucy lui préparait à chaque fois qu’elle en avait le temps.

— C’est très bien mon ange, mais as-tu bien préparé ton sac pour l’école ? Je n’ai pas envie qu'un professeur m’appelle à nouveau pour me dire que tu as oublié ton devoir sur ton bureau, dans ta chambre…

Lucy s’assit face à son fils en sirotant sa tasse de café au lait avec un sourire bienveillant.

— Oui ! Pour être sûr de rien oublier, je l’ai préparé hier soir avant de dormir et j’ai vérifié deux fois ! Comme tu m’as appris !

— C’est parfait. Finis ton petit déjeuner, dit-elle en lui faisant un clin d’œil.

Soudain, le klaxon caractéristique du bus scolaire se fit entendre. Tomy leva le nez de son assiette, la bouche encore pleine de pancake, tandis que Lucy jeta un œil surpris à sa montre.

— Eh bien, il est drôlement en avance aujourd’hui.

Elle se leva d'un bond, attrapa un torchon qui pendait à la poignée du four et essuya le visage de Tomy.

— Dépêchons-nous ! Il ne faudrait pas qu’ils partent sans toi !

Tous deux se dirigèrent vers la porte d’entrée. Lucy décrocha le manteau de Tomy et l’aida à l’enfiler, avant de lui visser son bonnet sur la tête. Il faisait encore bien froid en ce mois de mars, et il n’était pas rare qu’il neige.

— Je t’aime de tout mon cœur, dit-elle en s’agenouillant devant lui et posant ses mains sur ses joues.

Elle l’embrassa tendrement et le serra dans ses bras.

— Je t’aime aussi, maman, glissa-t-il au creux de son oreille.

Il lui sourit, puis ouvrit la porte d’entrée tandis que Lucy lui tendait son cartable. Au même moment, le bus klaxonna une nouvelle fois et le chauffeur ouvrit la portière en voyant le petit garçon courir dans sa direction.

Lucy resta sur le pas de la porte et attendit que Tomy lui fasse un signe de la main à travers la vitre du car scolaire. Un petit rituel qui se perpétuait depuis le tout premier jour ou Tomy avait dû prendre le bus.

Une fois le véhicule disparu derrière les pins qui bordaient l'allée, elle retourna à l’intérieur vaquer à ses occupations du jour.