2. La descendance

7 minutes de lecture

Le sang se répandait sur le sol en pierre. Le pauvre nain n'avait pas eu le temps de finir sa phrase que la lame du spadassin derrière transperça sa gorge.

– Débarrassez-moi de ce tas de merde !

– Tout de suite Monseigneur, répondit le garde en essuyant sa lame sur le pourpoint de l'individu à terre.

– Et faites tuer sa famille, on aura besoin d'espace pour son remplaçant. Enfin bref, faites comme d'habitude.

Comme d'habitude songea l'assassin. Être la lame silencieuse du roi donnait certains avantages, notamment pecuniaire, mais ne permettait pas de poser des questions.

Il allait prendre soin d'effacer les traces du corps, personne ne devait savoir quoi que ce soit de cet ordre donné par le souverain. 

Mais il se ressaisit et s'inclina bien vite devant lui :

– Vos ordres sont loi, monseigneur.

Il quitta la salle à manger, traînant le corps du malheureux.

Le seigneur Alorda de Bret, ou plus communément appelé Alorda le dernier, était l'un des quatre grands souverains du continent.

Son aïeul Broam de Bret, avait été l'un des fondateurs de la civilisation actuelle, héros des Guerres Sauvages. Couronné roi pour ses faits d'armes et de bravoure, il acquit ainsi pour sa famille, un des quatre trônes de Déméthaire.

Le royaume seigneurial s'étendait des plateaux de Aaris jusqu'à Port Autan, et bénéficiait d'un commerce prospère, dû aux nombreuses richesses de la région et à certaines taxes fluctueuses.

Grâce aux lois mises en place, et par la crainte de revivre le passé,  le pays ne souffrait d'aucune guerre, outre les complots grossiers bien contenus contre la couronne. Le seul souci qu'il rencontrait venait du roi lui-même.

Depuis trois décennies, et selon le protocole toujours en vigueur, seul le sang des descendants de Broam de Bret permettait de gouverner le royaume en toute légitimité.

Et voilà qu'avec Alorda de Bret, et son incapacité à faire perdurer la lignée, la famille De Bret était menacée d'extinction. Celui-ci étant le dernier mâle.

Et ce n'était pourtant pas les tentatives pour y arriver qui lui avaient manqué. Son conseil avait fait venir les femmes les plus fertiles des quatre coins du continent. De morphologies et d'âges bien différents, souvent très belles, mais parfois aussi le strict opposé.

Alorda était las de tout cela, et avait intérieurement baissé les bras. Mais pour ne pas se mettre le conseil à dos, et pour faire taire les langues fourchues, il s'astreignait à ''besogner'' chaque soir une femme.

Si pour la plupart d'entre elles, le privilège de s'imaginer porter l'enfant du roi les ravissaient, certaines se voyaient contraintes par d'odieux chantages, de passer à l'acte.

Le seigneur Alorda venait de finir son repas, assis seul une nouvelle fois à cette grande table. Il avait englouti l'intégralité des mets présents, son château pouvait bien se vanter d'avoir les meilleurs cuisiniers du royaume.

Il pensait déjà au travail qui l'attendait. Les demandes écrites de sollicitations étaient nombreuses, et fort heureusement le Conseil traitait une bonne partie.

Des domestiques venaient d'entrer discrètement, longeant le mur puis passant derrière le roi, la tête toujours bien basse, pour ne surtout pas croiser le regard du seigneur.

Une femme fut ainsi battue et renvoyée sans ménagement du château, car le roi avait trouvé du mépris dans les yeux de l'infortunée.

Pour lui, tout le monde autour chuchotait derrière son dos, le traitant d'impuissant, ou d'être victime de ce soi-disant sort qui attire les parties de même sexe.

Il regarda partir les femmes qui renvoyèrent dans les cuisines que peu de restes. La table était à nouveau vide.

                                   •••

Des bruits de pas résonnaient dans ce couloir qui menait à la salle de banquet.

La dame de Bret s'avançait, bien décidée à faire entendre sa voix dans cette grande pièce qu'elle détestait.

Elle poussa la porte, et entra d'une démarche ferme se dirigeant droit vers son frère.

– Je vois que tu es encore assis à ne rien faire ! dit-elle d'un ton cinglant. Le duc de Valaire est arrivé au château, il y a déjà trois jours, dans l'attente d'être reçu par son roi, donc toi si jamais ce détail t'était sortie de la tête...

– Bonjour chère sœur, répondit Alorda avec une certaine nonchalance, sa main se massant le front, en prévision d'une douleur probable.

– Je n'ai pas envie de me quereller avec toi une fois de plus, j'ai mille choses encore à faire...

Les mains posées sur les hanches, Venelia était comme une mère grondant son enfant.

– ... Alorda, quand est-ce que tu prendras enfin tes responsabilités ?

– À l'instant même où ma chère sœur cessera de me materner, répondit-il d'un ton las.

– Je t'énonce rapidement tes priorités de la journée. Tu as trente-deux audiences de réclamations sans protocole, cela concerne les attaques de brigands, les différents vols de bétails et...

Le roi ne l'écoutait déjà plus, ses paroles glissaient sur lui comme une brise légère sur sa peau. Il continuait à la regarder.

Pour lui, Venelia était une des plus belles femmes du royaume. Des cheveux longs, blond dorés comme les blés, attachés et tressés avec soin. Sa natte revenant sur l'avant de son épaule.

Un visage radieux, et une robe toujours de la dernière mode.

Elle avait brisé de nombreux cœurs de prétendants, et n'avait jamais voulu céder au mariage pour quelques alliances, si bénéfiques soient-elles pour la famille.

Personne ne savait réellement ce qu'elle attendait d'un homme, ni même d'ailleurs si elle en attendait un.

Leur complicité d'enfants s'était évaporée au fil des années. La mort brutale de leur père leur fit creuser un fossé encore plus profond entre eux.

– ... les gardes pour les féliciter, continuait Venelia. Et une dernière chose, va parler au duc de Valaire ! Voilà, ce sont les choses les plus importantes, je serai déjà surprise si tu en fais la moitié !

Parmi tous les gens du royaume, Venelia de Bret était celle qui haïssait et aimait le plus le roi.

Maudites soient ces anciennes lois qui interdisaient aux femmes d'accéder au trône. C'était elle qui faisait en sorte que le royaume prospère. Et la reconnaissance qu'on lui montrait, c'était en lui proposant un vieux mari pervers et gras, dont les seuls plaisirs étaient la chasse et les catins.

Elle avait refusé d'être une femme à la botte d'un homme qu'elle n'avait pas choisi, et dont le but était d'écarter les cuisses pour enfanter.

– Un messager m'a rapporté ce matin que le dernier voleur que j'ai envoyé à échoué dans sa mission, annonça le roi. Je crains fort de perdre mon temps à pourchasser cet objet magique, cet... Orus de je-ne-sais quoi.

– A-t-il pu s'échapper ?

– Cela te ferait plaisir n'est-ce pas ? J'ai ouï dire que tu lui vouais une certaine attirance...

– Tes sources sont mauvaises comme d'habitude. Il était pour moi un informateur précieux et en dépit du reste, un enfant du royaume.

– Certes. Mais permets moi de te dire qu'il faudra t'en trouver un autre... Cet imbécile a été écorché vif sur tout le visage. Retrouvé une demie-lieue plus loin, attaché par les pieds à un cheval lancé au galop...

Aucune expression n'émanait de sa sœur.

– Réduisons à néant la demeure de ce fou furieux, cette espèce de créature malsaine, et prenons-lui l'artefact, rugit Alorda.

– Tu sais très bien que c'est impossible, nous avons déjà abordé le sujet. Titsh bénéficie d'une sauvegarde, le royaume a toujours maintenu sa dette envers lui et ce n'est pas maintenant que nous allons cesser de l'honorer.

– En tant que roi je devrai pouvoir abolir cette loi d'un autre âge. Nous baissons nos froques devant ce rat, les seigneurs de Port Autan sont à sa botte parce qu'ils ont peur de lui.

– Il m'a l'air d'avoir l'étoffe d'un roi, s'amusa Venelia.

Le roi ne releva pas cette attaque, feignant l'indifférence.

– Je crois que de tout le royaume, il est le seul être pour lequel je me ferai plaisir à me salir les mains de son sang.

Venelia se massa le front, comme s'il était question d'un sujet épineux.

– Titsh à lancé ce jeu ridicule, reprit-elle, nous allons donc jouer selon ses règles. Si les autres royaumes savaient pourquoi nous voulons l'Orus de Praven, cela nous mettrait en péril. J'ai parlé il y a peu au seigneur Grimm, et il m'a assuré qu'il se chargerait personnellement de ce problème.

– Grimm est enfermé dans la tour noire de Gash, comment veux-tu qu'il parvienne à faire quoi que ce soit ?

– J'ai confiance en lui et tu n'as pas a le savoir pour l'instant, mais penses bien que ta sœur fait tout pour te maintenir sur le trône.

– Je sens que les choses vont bientôt changer ma sœur, et qu'enfin, tu verras en moi quelqu'un d'autre.

La dame de Bret fit demi-tour pour signifier la fin de son entretien avec le roi, lorque celui-ci la retint par le bras et la força à se retourner.

– Je sais que je te fais honte... Mais crois bien que je vais tout faire pour redorer le blason de nos ancêtres, peu importe le prix à payer !

Se libérant de l'emprise ferme de son frère, et se détachant de toute compassion, Venelia le fixa en appuyant bien sûr ses mots :

– Pour l'heure, continue de baiser pour le bien de notre famille.

Venelia repartait déjà, tournant le dos à son jeune frère.

– Mais même ça, tu n'es pas capable de le faire, se dit elle tout bas.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Nicolas Gustin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0