Chapitre 54 Le protecteur

7 minutes de lecture

Été 1969


Matthew Byrne soupira longuement. Il avait fini. Il pouvait se montrer satisfait. Les trois ouvrages étaient bien réalisés. Les reliures n’étaient pas ostentatoires. Discrètes, elles se fondraient aisément parmi les collections de la bibliothèque. Les couvertures et les dos ne portaient aucune mention de titre ou d’auteur. Seul indice, les représentations de sceaux, incrustés sur les premiers plats. Cela ne donnait aucun indice à qui n’aurait pas la curiosité d’ouvrir les livres en question. Seul un sorcier pouvait deviner de quoi il retournait.

Le premier livre, en cuir marron, et marqué du sceau des MacDonald, était la transcription du Devolatus qu’il s’était appliqué à illustrer en copiant au mieux l’original.

Le deuxième, en cuir carmin, et marqué du sceau d’Asham, regroupait les notes de la sorcière sur l’ensorcellement du Devolatus, et les sorts qui avaient été extraits du livre quand Adela s’était mise à le lire.

Le troisième, en cuir bleu nuit et marqué du sceau de Petrus, regroupait le journal et les sorts du sorcier. On y trouvait aussi bien des anecdotes sur sa quête des Porteurs, que des remarques sur ses rencontres. Notamment sur Ina et Ren.

Byrne se remémora le jour où il avait reçu les documents qu’il avait réuni dans ce troisème volume. Le paquet venait d’Europe. Pas d’expéditeur. Il contenait une simple boite en bois avec un fermoir sans serrure, dans lequel avait été déposé avec précaution les documents. Le tout était accompagné d’une simple note expliquant que le contenu de la boite avait appartenu au sorcier Petrus, dont Matthew se souvenait avoir lu le nom dans le récit d’Eldred concernant sa vie auprès de Pàl Skene et de son frère.

Ce jour-là, après tant d’années de silence, l’univers qu’il avait abandonné pour le bien de l’enfant, était revenu faire une incursion dans sa vie. Paulina et Hendry n’étaient pas venus en personne. Ce qui impliquait que le danger rodait toujours autour d’eux. Matthew avait donc choisi de se montrer discret. Le bonheur et la survie de Brunella en dépendaient.

Byrne avait commencé par faire le tri parmi tous les feuillets de Petrus, réunissant les sorts d’un côté, et les pages de journal, de l’autre. Plusieurs feuillets ne constituant aucun intérêt à ses yeux, soit parce qu’ils étaient illisibles, soit parce qu’il s’agissait de sorts inachevés, il les avait mis de côté pour le travail de reliure qu’il allait réaliser, non seulement pour les documents de Petrus mais aussi pour ceux d’Asham. Il avait trop longtemps repoussé le moment où il devrait s’occuper de l’héritage des créatures. Il ne pouvait plus laisser de côté ce que lui avait confié Paulina.

Byrne se leva pour ranger les nouveaux ouvrages parmi les livres de sa bibliothèque, déjà bien fournie. Il avait bel et bien fini. Pour autant, il ne pourrait jamais tourner définitivement cette page de sa vie et retourner à ses anciennes préoccupations. Il était toujours le gardien d’un certain nombre de secrets, en plus d’être le protecteur de Brune.

Avant qu’Etha ne les quitte pour éloigner Aloïs d’eux, les deux sorciers avaient joint leurs pouvoirs pour jeter un sort d’oubli à la petite fille. Ainsi, Matthew était devenu son oncle célibataire, professeur d’archéologie. Il l’avait emmenée jusqu’en Italie, sortant des radars des sorciers des îles britanniques.

Tant que l’un des deux sorciers serait en vie, Brune, rebaptisée Brunella, serait sous l’emprise du sort, à l’abri de l’univers périlleux, dans lequel elle avait malencontreusement et brièvement plongé, plus de 10 ans auparavant.

Ainsi, elle avait grandi dans l’insouciance, sans chagrin, ni regret. Un jour, elle retrouverait la mémoire. Mais tout ce qu’elle aurait vécu alors, lui permettrait de choisir de croire ou non, à ce bref épisode de sa vie aussi intense avait-il été. C’était un pari que Byrne espérait gagner.


Deux coups à la porte détournèrent Matthew Byrne de ses pensées. Son élève et assistant venait chercher les instructions pour la préparation des cours des jours suivants. Pierre Ellidor, était un garçon studieux et plutôt taiseux, ce qui convenait parfaitement à Byrne qui n’attendait rien d’autre d’un assistant.

Il l’invita à entrer sans s’inquiéter du fait que le livre d’Asham et le coffret du Devolatus étaient encore sur son bureau. Peu importait puisque, ni l’un ni l’autre ne portait de marque distinctive.

C’était là, une erreur, car, si Pierre Ellidor était effectivement studieux et taiseux, il était également extrêmement curieux.


*


Matthew Byrne avait donné rendez-vous à Brunella aux pieds de l’Acropole. La jeune fille l’attendait, le visage à l’abri de son chapeau de paille à large bord. Vêtue d’une simple robe à bretelles écrue, dont le bas de la jupe touchait presque ses sandales, elle souriait, un appareil photo autour du cou. Une parfaite petite touriste.

Elle avait accepté sans rechigner la décision de déménager, même si cette dernière avait été prise en catastrophe. Bien sûr, pour se justifier, Byrne avait inventé un affreux mensonge, prétextant que maintenant qu’elle était en âge d’aller à l’université, il avait une envie de reprendre des fouilles, travail qu’il avait mis de côté toutes ces années pour se consacrer à son éducation. Il ne pouvait en aucun cas donner les vraies raisons de cette fuite inopinée. Car c’était bien de cela qu’il s’agissait.

Une semaine plus tôt, à la fin de l’année scolaire, au moment de remettre les derniers travaux corrigés à ses étudiants, Matthew avait découvert que son assistant avait disparu, et avec lui le livre de sorts d’Asham ! Il voulait croire que le jeune homme ignorait ce que contenait réellement le livre, qu’il avait volé celui-là précisément par hasard.

Pourtant, par mesure de précaution, il avait préféré partir dès le forfait découvert. Et c’est en pliant bagage, qu’il avait remarqué un autre fait étrange. Le Devolatus avait été manipulé. Il s’en était rendu compte, parce que, devenu particulièrement attentif, il avait remarqué que certaines feuilles de protection qu’il y avait insérées pour en protéger les enluminures, avaient été mal repositionnées. Son niveau d’alerte était monté d’un cran encore.

Voilà pour quelle raison, il était en Grèce avec Brunella. Il ne le regrettait pas, mais il se demandait si ce saut de puce suffirait à éloigner le danger. Il n’avait aucun moyen de savoir ce que Pierre allait faire de ce qu’il trouvé. Et ne pouvait prédire les catastrophes qui allaient peut-être en découler.

Il s’arrêta devant Brunella, le front soucieux. Il avait chaud. Trop chaud. Il s’essuya le front, chercha à dissimuler sa gêne, accepta de suivre la jeune fille dans l’ascension de l’esplanade, où d’immenses et majestueux monuments à la gloire de dieux antiques, s’élevaient encore vers le ciel pour le plus grand plaisir du tourisme de masse.


Brunella, ébahie devant tant de majesté, écrasée par l’éclatante beauté du marbre, ne s’était pas immédiatement inquiétée du silence de son oncle. Ce fut le cri d’une autre femme, d’une étrangère, qui l’alerta.

Le corps de Matthew Byrne avait glissé le long d’un mur à moitié détruit. Il n’avait pas eu le temps de souffrir, ni de se poser des questions. Son cœur s’était simplement affolé un peu avant de se crisper et de s’arrêter tout à fait. Le sorcier était mort en contemplant des merveilles d’un autre temps, érigées par des hommes et des créatures de l’ombre, qui vénéraient sans le savoir les membres du peuples du sang.


La jeune fille contemplait le petit appartement avec colère et chagrin. Les deux sentiments tourbillonnaient en elle. Ils s’entrechoquaient et ne la laissaient pas en paix. Elle était triste d’avoir perdu Matthew, son oncle. Non ! Pas son oncle ! Un sorcier ! Matthew Byrne était un sorcier ! Même pas un peu de sa famille ! Rien de rien. Et elle ! Elle n’était pas Brunella Antonelli, mais Brune Prat ! Brune Prat !

De dépit, elle avait failli déchirer ses papiers qui attestaient du contraire. Et puis, elle s’était souvenue que sans eux, elle n’aurait plus aucune identité. Brune Prat avait disparu. Brune Prat, comme son grand-père, comme sa grand-mère, comme ses parents, était morte en 1957. Plus rien ne subsistait de cette famille. Plus personne.

Brune se laissa choir sur le canapé, perdue. Sa mémoire lui était revenue sur l’esplanade de l’acropole, entourée d’étrangers qui cherchaient à la réconforter. Désorientée, elle s’était laissée emmenée. L’ambulance l’avait emmenée jusqu’à l’hôpital, jusqu’à la morgue, où, désormais, le cadavre de Byrne attendait qu’elle prenne des dispositions pour l’inhumation.

Elle n’avait qu’une envie : fuir le plus loin possible de cet endroit. Elle se leva brusquement. Qu’est-ce qui l’empêchait de le faire ? Elle parlait plusieurs langues, avait plus de 18 ans et disposait de l’argent de Byrne – il avait tenu, à sa majorité, à associer son nom à toutes les dispositions financières. Savait-il qu’il allait mourir ? -. Elle pouvait refaire sa vie. Renaitre encore une fois.

Elle ne pouvait pas reprendre son ancienne identité. Elle était parfaitement consciente du danger que cela représenterait pour elle. Même si les souvenirs de l’année 1957 qui l’assaillaient n’étaient pas toujours très précis, ils l’étaient suffisamment pour ne surtout pas tenter de se raccrocher à cette vie-là.

Tout en réfléchissant, elle se mit à trier les affaires qu’ils avaient emmenées avec eux en partant d’Italie. Byrne avait insisté pour ne prendre que le minimum, arguant que le reste serait envoyé plus tard. Toutefois, il avait tenu à prendre quelques livres qu’il n’avait même pas sorti de l’une des valises.

Brune posa le bagage sur le lit et l’ouvrit. À sa grande surprise, il ne contenait aucun des précieux volumes que Byrne y avait mis, ni le coffret ouvragé. Brusquement inquiète, elle se mit à observer autour d’elle. Quelqu’un était venu. Quelqu’un était venu et avait volé les livres !

Elle se précipita sur sa propre valise et y enfourna toutes ses affaires sans perdre de temps. Elle devait partir d’ici au plus vite.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire CTrebert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0