Junia Underwood ouvrit avec délicatesse, le paquet que l’on avait déposé à son intention, le matin même, par coursier. Son cœur battit la chamade lorsqu’elle vit la signature de la missive qui accompagnait le coffret. Paulina Appleforth. Paulina. Sa Paulina. Disparue. Déclarée morte par l’Assemblée de la Confrérie, plus de dix ans auparavant.

Sans plus attendre, elle se mit aussitôt à lire.

Chère Junia,

J’imagine sans mal l’étonnement qui doit être le tien en cet instant. J’imagine comme tu dois être contrariée de n’avoir pas été mise dans le secret de notre disparition fictive. Pardonne-moi. C’était impossible. Notre survie à Hendry et à moi, en dépendait et en dépend toujours. Notre secret ne tolère aucune exception. S’il savait, Sargon n’aurait de cesse de détruire tout ce qui à de l’importance à nos yeux, jusqu’à nous atteindre. Comme il l’a fait avec Pàl.

Lui, est bel et bien mort à jamais. Notre robuste et incroyable viking est mort, et nous avons encore du mal à le croire. Mais peut-être est-ce mieux ainsi, puisque son Unique avait disparue ? Je suis sûre que tu comprends ce que je veux dire. Tu sais ce qu’est être sous l’emprise de l’attraction de l’Unique. Ne t’inquiète pas ton secret est bien gardé avec moi. Je ne suis même pas un fantôme.

Tu dois te demander pourquoi j’enfreins mes propres règles. Pourquoi je prends un tel risque aujourd’hui ? Pourquoi je nous mets en danger ? Pour toi et moi, Junia. Pour cette amitié indéfectible qui nous a lié si longtemps et qui me manque. Pour t’apporter mon aide.

Je devine que tu bondis sur ton siège. Tu frétilles de curiosité. Et tu as bien raison. Nous sommes parvenus, ces dernières années, à dissimuler le Devolatus à la Confrérie. Cependant, des évènements récents nous ont fait craindre le pire : que les sorciers ne s’en emparent de nouveau. Même si nous avons une transcription, nous ne pouvions nous résoudre à abandonner le volume d’origine. Pas après tous les efforts et toutes les souffrances que nous avons endurés pour lui. C’est pourquoi, nous avons décidé qu’il serait plus sage de le récupérer pour le confier à une créature de l’ombre. Toi, ma chère Junia.

Tu seras donc la nouvelle gardienne du livre. J’ai ajouté la transcription reliée et illustrée par le sorcier Byrne, mais aussi un opuscule qui te sera sans doute très utile, j’en suis convaincue. Il s’agit des sorts et notes du sorcier Petrus. J’y ai ajouté les quelques rares feuillets ayant été rédigés par un diogonos du nom de Ren. Tu remarqueras qu’il décrit très précisément un rituel de transformation qui ne saurait te laisser indifférente, surtout si je te dis que le dernier objet de cet envoi est une fiole du précieux liquide à l’origine de notre condition.

Comment sommes-nous parvenus à ce miracle. Il te suffit de savoir que le récit d’Eldred, qui avait été inséré dans le Devolatus, nous a mené jusqu’au trésor que Pàl avait confié à ce moine. Ce trésor oublié est à toi désormais. Ainsi les savoirs anciens ne disparaîtront pas avec nous. Nous savons que tu sauras mettre ces deux ouvrages à l’abri des curieux, et surtout de la Confrérie.

Je sais que tu le feras à regret, mais une fois que tu auras pris connaissance du contenu de ma lettre, il te faudra la brûler. Je t’invite à garder notre échange secret, même vis à vis de ton frère. Il ne comprendrait pas.

Je ne te donne pas rendez-vous. Je te dis adieu. N’oublie jamais comme je t’aime, Junia.

Ta Paulina.