Chapitre 47 Ce qui nous pousse au courage

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1957, 22/23 avril


– Vous voulez sauver Brune ?

– Pour être honnête avec vous, Adela, je ne suis pas venue uniquement pour sauver Brune. Je dois également venger ma souveraine.

– D'où votre besoin de nous amadouer en prétextant vous préoccuper du sort de l'enfant et votre « cadeau », lâcha Pàl en se penchant vers elle.

La jeune sorcière ne se démonta pas et le fixa sans ciller.

– En effet, M. Skene. Mais je trouve l'opération équitable. Je vous permets de lire ce foutu livre qui a semé la mort et la désolation, et vous m'aidez à venger ma souveraine.

– Sauf que je ne vois pas comment vous pourriez sauver Brune ?

– En voyageant, bien sûr !

– Dans votre état ! Vous n'êtes même pas capable de voyager correctement seule ! Alors transporter deux personnes en plus de vous ! Sans parler des barrières que Sargon a érigées autour de Vaucluse ! Vous n'entrerez jamais !

Etha avait baissé la tête comme terrassée par les paroles de Pàl. Hendry le força à reculer en posant simplement une main sur son épaule.

– Allons mon ami. Etha a dit qu'elle voulait sauver Brune, pas qu'elle avait réfléchi au moyen d'y arriver. Étant donné que c'est aussi l'un de nos objectifs, une sorcière, même affaiblie comme cette jeune femme, ne sera pas de trop pour affronter la Confrérie, Batten et Walsh, car il ne faut pas oublier que nous sommes poursuivis par un grand nombre d'ennemis qui pourraient bien combiner leurs forces. Etha pourrait nous être très utile pour disparaître.

Pàl s'éloigna du groupe un instant. La situation ne lui convenait pas. Il craignait un piège et n'arrivait pas à faire confiance aux sorciers. C'était dans sa nature depuis si longtemps. Il se demandait comment Hendry y parvenait. Quant à Adela, elle était simplement d'une naïveté déconcertante. Après tout ce qui lui était arrivé à cause des sorciers, il aurait pensé qu'elle aurait un peu plus de jugeotte !

Hendry fixait Pàl qui fixait Adela qui fixait Etha. Le silence aurait pu se prolonger indéfiniment si Byrne, que les aspects stratégiques ne perturbaient en rien, ne s'était de nouveau exclamé.

– Formidable ! Findan a vraiment pensé à tout ! Voilà de quoi mettre tout le monde sur pied ! dit-il en montrant trois fioles qu'il avait sorties de la trousse.

– Quelque chose contre les effets du feu ardent ? demanda Skene en s'approchant.

La souffrance qu'il endurait en silence, ou presque, depuis qu'on l'avait détaché était à la limite du tolérable.

– Oui, M. Skene. Il y a même quelque chose pour vous !

Etha sourit. En effet, Findan avait pensé à tout, y compris à comment amadouer la rancœur d'un viking.

***

Pàl arpentait les couloirs en réfléchissant. Il avait recouvré toute sa force, et sa peau, bien qu'encore parcourue de légers picotements, ne le faisait plus autant souffrir. Maintenant, il pouvait réfléchir à la situation telle qu'elle se présentait.

D'un côté, ils allaient pouvoir transcrire le Devolatus sans souffrir des envoûtements d'Asham que Byrne était sur le point d'annuler. Ce qui aurait dû être une victoire sans commune mesure, était entaché par le reste : la mort des jumeaux et de Gita, l'emprisonnement de Paulina et de Brune, la cabale lancée contre eux par ceux-là même qui auraient dû les protéger, la menace des sorciers.

Cela faisait très longtemps que Pàl n'avait eu autant d'ennemis à affronter. Malheureusement, il avait beau tourner le problème dans tous les sens, il ne voyait pas de solution où cela finirait bien pour lui ou Hendry. Quant à Brune et Adela...

Il s'était arrêté devant une fenêtre. La jeune femme refusait de lui parler seul à seul. Elle passait son temps à lire et à transcrire comme si ça avait été le but ultime de son existence, alors qu'il cherchait désespérément un moyen pour qu'elle ne meure pas, ou pour qu'elle puisse, comme lui, bénéficier d'une seconde naissance, car il en avait les moyens. Une partie de l’Aka-Kiba de Ren était toujours en sa possession. L'indifférence de la jeune femme, même feinte, le mettait dans une colère noire.

Il devait se concentrer sur Brune. La sorcière avait affirmé que l'enfant était en danger. Et pour une fois, le diogonos n'avait pas eu de mal à la croire. Vaucluse était le siège historique de la Confrérie de l'ombre. Pour y avoir été à plusieurs reprises, Pàl en connaissait les us, et surtout, avait une idée très précise de ceux qui y résidaient de façon permanente ou temporaire. Ça n'était définitivement pas un lieu pour une enfant naturelle, même pourvue de certains pouvoirs.

Il fallait la sortir de là. Or, Pàl connaissait Sargon. Le maître de la Confrérie avait trop de mépris et de rancœur envers le clan McDonald pour écouter de manière bienveillante ou même transiger. Il avait déjà décimé la plupart de ses membres sans aucune pitié, ni hésitation. Il ne tiendrait aucune promesse s'il pouvait l'éviter.

Et ce serait le cas, car bien que Pàl et Hendry possèdent le Devolatus et sa lectrice, Sargon demeurait en position de force. Sans même retenir des otages, il avait les moyens humains et la puissance de les pourchasser jusqu'à la fin des temps. Alors avec ses deux prisonnières...

Le seul espoir de Pàl résidait dans ce qu'ils allaient trouver dans le livre. Si jamais il n'y avait rien concernant la Source, il remettrait le livre et sa transcription à la Confrérie sans aucun scrupule. Tout en espérant que Sargon libérerait en échange Brune et Paulina.

En revanche, si le Devolatus révélait quoique ce soit au sujet de la Source, il ignorait comment empêcher Sargon de s'en emparer, sinon en le devançant, ce qui impliquait de continuer à se battre contre lui et la puissante organisation dont il orchestrait le moindre mouvement.

La dernière option aurait été d'abattre Sargon.

Pàl soupira. Il n'était pas le premier à envisager la chose. Il ne serait pas le dernier. Sargon n'était pas seulement un diogonos puissant et ancien, il était aussi fourbe, fin stratège et d'une intelligence hors norme. Il savait s'entourer des meilleurs et éviter le pire. Éviter le pire ?

Pàl repensa à l'attaque du cottage. Le maître de la Confrérie ne s'était pas attendu aux assauts de la sorcière. Il avait été à sa merci pendant un court moment. Mais elle ne l'avait pas tué. Cette stupide et malfaisante n'avait pas été au bout. Elle s'était contentée de le neutraliser, pensant sans doute avoir le temps de s'en occuper plus tard.

Il s'en voulait aussi beaucoup de n'avoir pas été assez fort. Ils n'avaient pas résisté à l'inconscience, tant la douleur que provoquaient les attaques d'Aloïs, le submergeait. Ils avaient sombré, laissant passer la chance unique de se débarrasser de Sargon une bonne fois pour toute.

Et maintenant ? Maintenant, il allait exposer son plan aux autres, en sachant très bien quelle serait leur réaction.


– Je te l'interdit, Pàl ! Il n'en est pas question !

Hendry s'était levé, furieux. Il n'entendait pas approuver le plan téméraire de Pàl. Le clan n'existait plus. Il n'y avait plus que lui et le viking, comme autrefois. Il avait déjà beaucoup de mal à se remettre de la mort des jumeaux et de Gita, il ne supporterait pas une autre disparition. Il refusait de le perdre lui aussi. Or, laisser partir Pàl pour Vaucluse, c'était signer son arrêt de mort sans garantir la libération de Paulina et Brune. C'était inenvisageable.

Réunis dans la pièce où Adela travaillait depuis plusieurs jours, ils n'en menaient pas large. Comme l'avait laissé présager Pàl, les solutions qui s'offraient à eux n'étaient pas très nombreuses et peu d'entre elles offraient une réelle satisfaction. Toutes comportaient des risques et la dernière, celle que Pàl venait d'exposer, et qui avait ses faveurs, était carrément suicidaire.

– Vous pensez réellement avoir une chance de convaincre l'assemblée ? demanda Byrne avec l'air de n'y croire qu'à moitié.

– Je n'en sais rien. Néanmoins, mon intervention, quelles qu'en soient les conséquences, augmentera les chances de libération de Brune et de Paulina. Je suis quasiment certain que la Confrérie n'est pas complètement informée des agissements de Sargon concernant le livre. En montrant notre bonne volonté, c'est à dire en amenant une autre partie de la transcription, et en discutant de la libération de l'enfant, je suis sûre qu'une partie des créatures sera de notre côté. Quand bien même elles voudraient me voir mort ou agonisant.

– Le risque est trop grand.

– Moins que si nous lui demandons de revenir faire l'échange. Une fois que la transcription sera achevée, il nous exterminera tous, y compris la letiferus et l'enfant. Grâce à la voyageuse nous avons un atout, ne le gaspillons pas. Si jamais je ne revenais pas de Vaucluse, vous pourriez toujours fuir. Peut-être Sargon se lassera-t-il ?

– Est-ce que tu t'entends ? Sargon se lasser ? Nous passerons notre éternité à nous cacher !

– Que proposes-tu, Hendry ? Qu'as-tu à proposer qui n'implique pas notre mort à tous ? Je préfère de loin ma solution. Si j'arrive ne serait-ce qu'à permettre la libération ou l'évasion de Brune et Paulina...

– L'évasion ? Mais pour ça, il faut des alliés !

– Tu oublies Varna.

– Varna ? Elle a disparu, et la connaissant, elle est retournée à ses petites affaires sans plus se préoccuper de nous. Nous la connaissons tous les deux. Elle a toujours été un pion de la Confrérie.

– Pas cette fois.

– Qui te dis que ce n'est pas elle qui a mené Sargon à Paulina.

– Arrête immédiatement, Hendry ! Je sais que tu as toujours été suspicieux à son égard, et à raison, mais pas cette fois. Sans elle, nous aurions perdu la letiferus... à plusieurs reprises.

Personne n'osait intervenir dans la discussion. Les deux diogonos s'affrontaient comme s'ils avaient été seuls.

– Sais-tu seulement où elle est ?

– Oui. Justement.

Hendry grogna de dépit et sortit en claquant la porte. Face à la fenêtre, Pàl avait le regard perdu dans la campagne environnante. Adela le fixait en silence. Mathhew Byrne et Etha Milligan comprirent qu'ils étaient de trop assez rapidement. Ils s'éclipsèrent donc sans un mot laissant Pàl et Adela seuls.

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