Chapitre 37 Un amour impossible

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1957, 20 avril (matin)


Adela se couvrit les épaules d'un châle et attrapa ses cachets. Il était l'heure de lire. Mais d'abord elle allait faire un crochet par la chambre de Pàl. Juste après l'arrivée au cottage, il lui avait raconté une histoire à dormir debout concernant Paris. Depuis, il passait son temps à l'éviter ou à disparaître à l'extérieur. Elle voulait la vérité tout en craignant de l'entendre, car elle avait un très mauvais pressentiment.

Quoiqu'il en soit, elle allait coincer le diogonos dans sa chambre. Elle l'avait entendu rentrer à l'aube de sa ronde nocturne. Juste après que les jumeaux soient sortis prendre le relais. Le clan craignait des représailles de la part des Cours d'Irlande et d’Écosse. Sans parler de la Confrérie qui n'avait sans doute pas dit son dernier mot. Tout le monde était donc sur ses gardes.

Elle frappa à la porte une première fois en s'annonçant. N'obtenant aucune réponse, elle frappa de nouveau. Elle entendait des bruits, signe que quelqu'un se déplaçait dans la pièce. Furieuse, pensant que le diogonos tentait de lui échapper pour éviter de lui parler, elle ouvrit la porte en grand et se retrouva nez-à-nez avec Pàl, nu, une serviette autour des reins. Il était en train de s'essuyer les cheveux avec une autre serviette. Il gouttait sur le tapis. Corps sublime. Peau magnifique. Visage étonné, à damner tous les saints du paradis. Adela rougit jusqu'à la racine des cheveux, avant de reculer en balbutiant des excuses. La porte se referma dans un claquement sec, tandis qu'elle s'enfuyait comme une écolière.

Lorsqu'elle passa le couloir et se trouva face à la porte du salon, elle reprit son souffle et ses esprits. Elle avait été stupide. Elle n'aurait pas dû réagir de cette manière. Elle avait déjà vu un homme nu et n'avait aucun sentiment particulier pour Pàl Skene. Son comportement risquait d'apporter de la confusion et de la gêne entre eux. La situation n'était déjà pas brillante. Elle décida de faire demi-tour et d'aller s'excuser, avant de demander des comptes comme elle l'avait prévu à l'origine.


Pàl n'avait pas bougé. L'intrusion d'Adela l'avait laissé interdit. Il ne l'avait réellement pas entendu frapper et s'annoncer. Et maintenant qu'elle était partie, confuse et rougissante, il ne savait ni quoi faire, ni quoi penser. Il avait une sensation d'inachevé, d'occasion manquée.

Puis, on frappa de nouveau. Il ouvrit la porte, et elle était là. Lucide, tête droite, pupilles brillantes, un petit air buté sur le visage. Prête à parler d'une traite. Il ne lui en laissa pas le temps. Il l'attira contre lui et l'embrassa.


Adela ne prit pas immédiatement conscience de ce qui était en train de se passer. Son cerveau s'était bloqué, et son corps ne répondait plus à aucune injonction. Coulée entre ses bras, les mains sur sa peau froide, elle embrassait Pàl Skene. Ou plutôt, elle le laissait l’embrasser.

Ses longues mains à lui exploraient son corps à elle avec fièvre, et c'est sans doute ce qui lui fit enfin réaliser ce qu'ils étaient en train de faire. Adela s'écarta brusquement, pantelante.

– Vous ne vous en sortirez pas aussi facilement ! s'exclama-t-elle étonnée de sa propre virulence.

– Quoi ?

Pàl était incrédule. Il ne comprenait pas. Tout à son désir, il avait oublié ses mensonges et son jeu de cache-cache des jours précédents. Il avait oublié qu'elle n'était sans doute pas venue pour se jeter dans ses bras. Rêve et réalité.

– Je ne suis pas dupe ! Vous... Vous essayez encore de me tromper ! De m'abuser avec un autre mensonge pour éviter d'avoir à dire la vérité ! Vous devriez avoir honte, Pàl Skene ! J'aurai mes explications ! Habillez-vous ! Je vous attends au salon ! Et vous avez intérêt à venir !

– … Je ne comprends pas...

Adela s'était déjà détournée pour partir tout en réajustant sa tenue. Mais Pàl n'entendait pas en rester là. Il n'entendait pas que son élan soit brisé. Et surtout, il ne supportait pas l'idée qu'elle puisse imaginer que ce qu'il avait fait n'était qu'un stratagème pour la faire taire.

Elle avait de bonnes raisons d'être en colère contre lui, mais celle-ci n'en faisait pas partie. D'un mouvement, il lui attrapa le bras la faisant rentrer dans la chambre dont il claqua la porte avant de la coller contre le battant. Elle ne pourrait pas se défiler, et lui non plus.

– Pas question !

– Pas question ? répéta-t-elle furieuse qu'il agisse ainsi.

– Pas question que vous filiez sans vous expliquer !

– M'expliquer ? Elle est bien bonne celle-là ! Ce serait plutôt à vous de vous expliquer ! M'embrasser pour éviter d'avoir à répondre à mes questions ! C'était déloyal, et particulièrement bas ! Mais je suppose que si je n'avais pas la moindre valeur, vous m'auriez faite taire de manière plus radicale !

Pàl était outré d'entendre ces paroles. Le ton de sa voix montrait qu'elle pensait sincèrement ce qu'elle venait de dire. Elle était convaincue qu'il l'avait manœuvrée. Pire encore, elle croyait qu'il aurait pu la tuer sans la moindre hésitation.

Sans la lâcher, il rapprocha son visage du sien.

– Regardez-moi bien dans les yeux, Adela Prat. Regardez-moi, et répétez ce que vous venez de dire si le pensez toujours.

Un lourd silence tomba entre eux. Adela était bien décidée à ne pas fléchir. Il ne l'impressionnerait pas. Mais quand ses yeux rencontrèrent ceux de Pàl, ce qu'elle y trouva la troubla profondément. Il émanait de ce regard noir une fièvre insoupçonnable, et pourtant irrépressible qui devait le torturer suffisamment pour tenter d'y échapper. Le diogonos la dévorait littéralement des yeux. Adela se remit à rougir.

– Ça suffit ! Arrêtez de me regarder comme ça, murmura-t-elle d'une voix incertaine.

– Comment est-ce que je vous regarde, Adela ?

– Ça suffit ! dit-elle d'une voix plus ferme en tentant de se dégager cette fois.

Il la maintint pourtant sans bouger encore quelques secondes. Puis, il la lâcha pour s'écarter un peu d'elle. Mais pas suffisamment cependant pour qu'elle puisse ouvrir la porte.

– Ne dites plus jamais que je vous ai menti sur mes sentiments à votre égard, Adela Prat. Je ne vous ai pas empêché de parler. Je vous ai embrassé parce que je le désirais, et que je croyais ce désir réciproque.

Adela le fixait avec stupeur. Elle réalisait que, par un incroyable coup du sort, cet homme d'un incomparable charisme et doté d'un caractère impossible ; cet homme qui vivait depuis si longtemps qu'il avait côtoyé des reines ; cet homme qui vivrait encore longtemps après sa mort à elle ; cet homme, donc, la désirait, elle. Et chose encore plus inconcevable, cet homme ne la laissait pas non plus insensible. C'était une catastrophe !

Adela prit une profonde inspiration, et avec grand sérieux, elle lui déclara qu'il avait tort. Il le fallait. Ce mensonge était nécessaire. Quelque soient ses sentiments, elle se trompait sur un point : Pàl Skene n'était pas un homme. Il était une créature de l'ombre. Si le destin ne s'acharnait pas contre lui, il vivrait bien après sa mort à elle. Une mort imminente qui plus est.

Certains lui auraient dit d'en profiter, mais elle ne se voyait pas dans ses bras. Elle ne se voyait pas tromper Max, même s'il avait été horrible avec elle. Les derniers actes de son époux, avaient été dictés par l'amour qu'il avait pour elle. Elle ne pourrait lui reprocher éternellement de s'être fourvoyé. D'ailleurs, comment aurait-il pu réagir autrement face à sa décision à elle qui bravait toute logique ?


Pàl ne bougea pas, accusant le coup porté par le mensonge, car elle mentait. Il le savait. Personne n'embrassait comme elle l'avait fait sans un minimum de désir. Dans un moment d'égarement, elle avait laissé son corps répondre au sien. Et puis quelque chose d'autre était venu se mettre en travers de son attirance pour lui. La culpabilité ? La colère ? La raison ?

Il y avait trop de non-dit et de mensonges entre eux pour le moment. Alors, il n'ajouta rien. Il s'écarta la laissant partir sans un mot de plus.



Matthew Byrne observait la letiferus depuis son fauteuil.

Elle était rentrée dans la pièce assez vivement pour qu'il relève la tête des notes qu'il était en train de parcourir. Le visage rouge, elle s'était assise et avait ouvert le coffret sans attendre, oubliant de prendre ses cachets. Ce qui eut pour résultat une horrible grimace. La douleur semblant lui rendre ses esprits, elle respira à fond, referma le coffret et avala ses deux cachets. Alors seulement, elle redevint la jeune femme posée et tout à fait plaisante qu'il avait rencontré pour la première fois la veille.

La délégation de sorciers qui l'avait amené jusqu'ici avait procédé à l'éradication des Firs qui environnaient la maison. Ensuite, il avait fait front seul face aux diogonos et Adela Prat. Ça n'était pas la première fois qu'il se retrouvait dans une situation aussi délicate, sa vie en jeu. Byrne aimait à se décrire comme un explorateur, un ethnographe des créatures de l'ombre, un naturaliste de l'étrange. Il avait étudié les hommes-loup au point de tomber sous le charme de l'une de leur descendante. Il avait bravé les eaux profondes, des grottes obscures, des forêts oubliées pour observer les êtres qui y avaient trouvé refuge. La peur était plus un moteur qu'un frein pour lui.

Ici, comme en d’autres lieux reculés, l'accueil avait été froid, sauf de la part d'Hendry McDonald, qui avait même été cordial. Ce qui lui avait paru inattendu. D'ordinaire, les diogonos étaient plutôt méprisants envers le commun des mortels, et encore plus envers des sorciers. Cependant, pour sceller leur accord, celui qui avait donné son nom au clan lui avait proposé de se mettre au travail dans la foulée. La letiferus avait accepté malgré sa fatigue apparente.

Il avait bien sûr immédiatement remarqué les stigmates de la maladie qui rongeait la jeune femme. Ainsi la rumeur était vraie. La letiferus allait mourir. Contrairement à la plupart des sorciers, il en éprouva du regret. Cette jeune femme semblait la dernière d'une longue lignée remontant aux temps antiques. Avec elle, disparaîtrait à jamais la possibilité de lire le Devolatus, d'en décrypter les mystères. Ce serait une grande perte n'en déplaise à un certain nombre de personnes.

Quoiqu'il en soit, il était là pour palier au problème. Il allait écrire une nouvelle page d'histoire pour les créatures et les sorciers. Sa collaboration avec le Clan McDonald allait apporter beaucoup aux deux parties, il en était convaincu.

Adela s'éclaircit la voix et commença à lire. Hendry, qui était apparu comme par enchantement, s'était placé non loin d'elle pour copier sous la dictée. Lui aussi accomplissait une œuvre de mémoire. Le diogonos n'avait pas parlé de la destruction du manoir, mais Byrne imaginait sans peine la tristesse qui devait habiter cet érudit à la pensée de tous ces ouvrages patiemment retrouvés, réunis et finalement détruits. Byrne avait entendu des rumeurs sur le sauvetage de certains de ces livres par la cour d'Irlande. Mais avec ce qui se préparait, il doutait fort qu'ils soient un jour restitués à leur propriétaire légitime. Le sorcier n'avait donc rien dit, évitant de donner de faux espoirs au diogonos. Et peut-être aussi pour éviter de jeter de l'huile sur le feu. Qui savait ce dont serait capable cette créature pour récupérer son bien ?

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