Chapitre 36 Stratagème

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1957, 19 avril (fin après-midi / soir)


Lord Batten arborait un sourire inquiétant qui lui donnait un air mauvais. Un sourire de triomphe malsain. Son principal collaborateur se demanda ce qui le rendait si satisfait. Le contenu de la missive qu'on venait de lui apporter ou bien la mise en place du plan qu'il avait élaboré contre les irlandais ? L'arrivée des sorciers qui composaient son conseil rapproché mit fin à sa réflexion. Il n'allait pas tarder à savoir.

– Nous vivons de grands moments. Les derniers événements, bien que tragiques pour la Cour d’Écosse, nous sont particulièrement favorables. Loin de nous affaiblir, la situation va renforcer le pouvoir des deux couronnes.

– Bientôt trois ? osa l'un des sorciers présents.

– Et sans doute quatre, ajouta Batten avec un sourire terrifiant.

Un brouhaha s'éleva aussitôt. Tous les sorciers présents n'étaient pas convaincus de la nécessité de déclencher une lutte entre Cours.

– Du calme ! Il n'y aura pas de conflit entre nous ! Les sorciers écossais sont presque tous unanimes pour nous rejoindre.

– Presque. Je me suis laissé dire que la souveraine d'Irlande multipliait les contacts avec les groupes isolés.

– Certes, mais ça ne devrait pas durer. O'Leary ne sera bientôt plus un problème.

– Et qu'est-ce que cela veut dire exactement ?

– Que nous allons conclure un pacte. Elle a commis beaucoup d'erreurs dont plusieurs qui ont menées à la chute de la Cour d’Écosse. Elle ne pourra pas refuser.

Batten était loin d'être stupide. Comme il avait des espions chez O'Leary, il était probable que quelques sorciers de sa propre Cour soient des « amis » de la souveraine irlandaise. Il n'allait donc pas révéler ses plans véritables la concernant.

Il observa les sorciers autour de lui. Certains le fixaient intrigués. D'autres discutaient entre eux de ce que pourrait apporter un tel accord à la Cour de Galles et d'Angleterre. Aucun d'entre eux n'aurait eu l'idée de douter de leur souverain. Batten y avait veillé. Il avait toujours fait preuve de discernement quant à ceux dont il s'entourait au quotidien. C'était un préalable à toute gouvernance sereine. Sur ce point, il aurait pu donner à Fergusson et O'Leary des conseils avisés qui auraient pu leur être fort profitables. Bien sûr, c'était trop tard pour l'un, et bientôt ça le serait pour l'autre. Et il ne regrettait rien.

– Maintenant qu'une partie du problème est sur la bonne voie, nous allons pouvoir nous attaquer à la seconde partie : les diogonos ! J'ai justement ici un message porteur d'espoir pour nous tous. Hendry McDonald nous propose une trêve.

– Une trêve ? Pourquoi ferait-il ça alors que nous avons accueilli des sorciers de la Cour d’Écosse ? C'est forcément un piège.

– J'aurais sans doute pensé la même chose si les créatures n'avaient pas demandé une contrepartie. Un service plus exactement. Un service que je compte bien leur rendre.

– Comment ?!

– Écoutez-moi bien. J'ai toujours soutenu que les diogonos n'étaient pas un problème sur notre sol, et je le soutiens encore. Une collaboration avec eux sera toujours plus fructueuse qu'une guerre. N'oublions pas que certains d'entre eux ont côtoyé des dieux. Nous, nous ne sommes que des hommes. Fergusson, poussé par O'Leary, l'a oublié et en a payé le prix. Il s'était laissé convaincre de l'importance du Devolatus. Pas moi. Peu importe ce livre. Il n'y a rien dedans que nous ne sachions déjà sur les créatures : elles sont éternelles mais pas immortelles, féroces, sans pitié, dotée d'une force sans commune mesure et quelques-unes possèdent un pouvoir sans servitude. Je ne vois aucun intérêt à en savoir plus. Je trouverais bien plus intéressant de partir à la recherche des sortilèges qu'Asham a utilisés pour les faire souffrir. Mais nous savons qu'elle est morte en emportant tous ses secrets. Quant aux informations sur le fait que le Devolatus contiendrait l'emplacement de la « Source », je n'y crois pas une seule seconde. Les légendes ne m'intéressent pas. Combattre le Clan ou même la Confrérie pour ce livre ne vaut ni la peine, ni les morts que cela occasionnerait dans nos rangs.

– Vous comptez donc les aider ?

– Nous allons les aider, en effet. Nous allons même faire mieux. Le billet que j'ai reçu de leur part m'informe qu'en lisant le livre...

– En lisant ? Mais je croyais que seul un letiferus pouvait le faire ?

– En effet. Ce qui veut dire que le clan à le livre et sa lectrice. Adela Prat n'est pas morte. Encore des informations venant de la Cour d'Irlande qui étaient fausses. O'Leary a provoqué la chute de la Cour d’Écosse. Je ne permettrai pas qu'elle fasse la même chose aux Deux Couronnes. Bien. Donc, je disais qu'en lisant le livre, la letiferus a malencontreusement déclenché une petite catastrophe qui pourrait autant nous nuire qu'à eux. Asham a inséré des invocations entre les pages de ce fichu bouquin. En apparence semblables aux autres, elles appellent des créatures antiques à l'assaut de ceux qui étaient ses ennemis : les créatures. Depuis quelques heures, le clan est poursuivi par une horde de Firs. Ils ont besoin de nous pour les faire disparaître.

Un silence pesant était tombé sur l'assemblée. Il fallait que les paroles de Batten fassent leur chemin. Aider le clan contre une trêve permettrait aux sorciers de se réorganiser, de panser leurs plaies et d'envisager l'avenir plus sereinement. Personne n'avait envie de combattre des créatures millénaires. Comme Batten le leur avait rappelé, ils n'étaient que des hommes. Des mortels. Dépourvus d'éternité. Voués à mourir. Si cela pouvait être le plus vieux possible, ils en seraient ravis. Pourtant, un frein demeurait. Les créatures n'étaient pas toujours de paroles. Et si tout ceci n'était qu'un piège ?

– Des Firs ? Je leur souhaite bien du plaisir, murmura un vieux sorcier avec un ricanement dans la voix.

– Vous connaissez ses créatures, Brigstone ?

– J'ai un vieux livre qui y fait référence. Pas glorieux. Ils auront indubitablement besoin de nous pour s'en débarrasser.

– C'est bien ce que je pensais, dit Batten.

– Est-on sûr que la letiferus est vivante ? Que le livre a été lu ? Ou même qu'il y a bien des Firs déchaînés dans la nature ?

– Douteriez-vous de mes informations, Calven ?

– Non, my Lord. Mais ça me paraît tellement improbable. L'accident ferroviaire était particulièrement spectaculaire, et les Firs sont des créatures légendaires...

– Et pourtant. Regardez ceci, dit Batten en prenant un dossier que venait de lui apporter un jeune sorcier.

Bien sûr, lui aussi avait eu des doutes en recevant la demande du Clan. Il avait demandé des confirmations avant de s'engager dans cette réunion. Des photos s'échappèrent de la chemise en papier lorsqu'il la posa sur l'immense table autour de laquelle ils étaient tous assis. On y voyait distinctement des scènes de paniques et de minuscules créatures s'attaquant à des naturels.

– Bon sang ! On ne peut pas rester les bras croisés, dit un sorcier sur sa droite aussitôt approuvé par ceux qui se tenaient près de lui.

– C'est également mon avis, dit Batten, D'un autre côté, nous ne pouvons prendre le risque de laisser McDonald continuer à lire ce fichu livre sans quelques précautions. Même si cette mésaventure le rend plus prudent, il faut nous assurer qu'aucun autre incident ne se produise à l'avenir.

– Comment faire ? Nous avons échoué à éliminer la letiferus une fois déjà.

– Je ne comptais pas m'en prendre à cette pauvre femme qui, de toute façon, est condamnée à mourir prochainement, si mes informations sont bonnes. Non. Nous pourrions couper l'herbe sous le pied de la Cour d'Irlande et même de la Confrérie en envisageant de collaborer avec le Clan.

Cette fois, le brouhaha était à son comble. Les voix ne sont pas discordantes, simplement interloquées. Accepter une trêve contre un service, pourquoi pas. Les créatures leur seraient redevables de quelque chose. Par contre, envisager de travailler avec elles... C'était une autre paire de manches. Qui oserait les côtoyer sans redouter pour sa vie ?

– Personne n'acceptera de se prêter à ce jeu ! s'exclama Calven.

– Vous oubliez Matthew Byrne.

– Byrne ! J'aurais dû m'en douter ! Toujours aussi fou !

– Il n'est pas fou ! s'exclama alors le vieux Brigstone, il est différent. Il voit de l'intérêt là où personne n'aurait eu l'idée qu'il y en eut. Grâce à lui, nos connaissances se multiplient. Ça ne fait pas de lui un fou.

– Vous avez raison, Brigstone. J'ai convoqué Byrne. J'attendais votre avis pour lui parler.

Les sorciers étaient tous silencieux à présent. Ils fixaient Batten. Ils allaient devoir voter. Leur souverain tenait à l'unanimité pour les décisions importantes. Et malgré les doutes personnels de certains, les craintes des autres, et le caractère aventureux de l'entreprise proposée, chacun leva sa main en signe d'accord.

Lord Batten souriait de nouveau devant l'assentiment de son assemblée. Il aimait quand les choses se déroulaient selon ses plans. Bientôt, il serait le souverain des 4 couronnes. Bientôt, il détiendrait la transcription du Devolatus. Bientôt, les créatures seraient à sa botte.

Tout à son triomphe, il ne remarqua pas l'ombre de la voyageuse dissimulée dans un coin de la vaste pièce aux pompeuses colonnades. Il ne vit rien de son regard sur lui, et des sombres présages qu'il annonçait.


***


Debout près de la fenêtre de sa petite chambre dans le cottage qu'Hendry, sur les conseils des Miller, avait choisi pour les mettre à l'abri, Adela contemplait le ciel de charger de lourds nuages. Il allait donc encore pleuvoir. Elle souriait cependant car le silence qui environnait la maison isolée l'apaisait. Plus de sifflements, ni de feulements de ces Firs, effarantes créatures venues de temps oubliés pour les attaquer.

La veille, elle avait accueilli avec un certain soulagement le sorcier envoyé par ce Lord Batten qu'elle n'avait jamais vu, mais qui semblait ne pas vouloir sa mort. Matthew Byrne était un type robuste avec un visage carré et des mains comme des battoirs. On l'imaginait mal en pleine collecte d'insectes ou de plantes délicates. Et pourtant, il était ce qui se rapprochait le plus d'un naturaliste. On devinait qu'il avait sans doute déjà eu à se battre contre des choses bien plus terribles que des fourmis ou des scarabées. Il leur avait montré dès son arrivée qu'il était également un grand sorcier en faisant disparaître avec facilité les insupportables créatures qui pourchassaient le clan depuis leur fuite d’Édimbourg.

Matthew Byrne était donc le rapporteur de la Cour de Galles et d'Angleterre. Il devait assister à toutes les séances de transcription du Devolatus de manière à pouvoir agir en fonction des incantations d'Asham si la letiferus faisait de nouveau l'erreur d'en lire une. Adela avait pensé au départ qu'il pourrait peut-être désenvoûter le livre, mais Batten avait bien précisé que c'était impossible.

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