Chapitre 27 Par amour

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1957, 16 avril


Max avait ouvert lui-même après avoir guetté leur arrivée depuis l'une des fenêtres du salon. Madeleine n'était pas encore arrivée, et c'était mieux ainsi. Elle n'aurait sans doute pas compris sa décision de toute façon. Et il n'avait pas besoin qu'elle rajoute son grain de sel. La situation risquait d'être suffisamment déplaisante sans cela, car à voir la mine patibulaire des trois infirmiers qui se tenaient à présent devant lui, il douta que tout se passe aussi simplement qu'il l'aurait voulu.

Une tension déplaisante s'installa dès qu'ils mirent un pied dans la maison avec leur brancard. Le silence se peupla de bruits de pas lourds et de souffles rauques. Max espérait que les autres occupants de la maison resteraient dans leur chambre. Il voulait éviter un drame.

Ils arrivèrent devant la chambre au moment où Adela ouvrait la porte, valise à la main. Elle discutait avec Brune. Max n'avait pas pensé à l'enfant. Il s'empressa de dépasser les 3 colosses pour la prendre dans ses bras. Il aurait préféré qu'elle n'assiste pas au départ de sa grand-mère. Pas dans ces conditions en tout cas.

Adela s'était arrêtée et le fixait avec un air interrogateur sur le visage. Elle n'avait pas encore conscience que c'était sa liberté qui se jouait dans ce couloir. Ça n'est qu'une fois que deux des infirmiers l'aient priée de les suivre sans histoire en s'emparant d'office de sa valise qu'elle réalisa ce qui était en train de se produire.

— Que se passe-t-il Maximilien ?

— Ne m'en veux pas Adela ! C'est la meilleure solution, et tu le sais.

— Mais... que veulent ces gens ? finit-elle par s'exclamer en tentant d'empêcher les infirmiers de l'empoigner pour la faire avancer contre son gré.

— Ils s'occuperont bien de toi là-bas. Tu vas guérir. Le docteur Barrère me l'a promis. Ils ont un traitement révolutionnaire. Tu verras !

— Mais de quoi parles-tu ? Je me fiche de ce que ton docteur Barrère a dit ! Je n'irai nulle part avec ces types ! Arrêtez !

— Arrête de lutter, Adela ! Tu dois les suivre !

— Pas question ! Tu entends ! Pas question ! Tu n'as pas le droit de me forcer à …

— Si ! Justement ! J'en ai le droit ! J'en ai même le devoir ! Tu me remercieras après ! s'exclama Maximilien furieux de l'attitude d'Adela.

Le visage fermé et le regard froid, il se détourna d'elle et emmena Brune. Il ne se laisserait pas fléchir. Il ne perdrait pas Adela comme il avait perdu sa première femme devant laquelle il avait cédé. Il avait voulu croire qu'elle allait mieux. Par faiblesse. Et elle avait disparu. Mais cette fois ce serait différent. Adela ne mourrait pas. Elle s'était résignée mais pas lui. Il la sauverait malgré elle.

Adela n'arrivait pas à y croire. Par son entêtement stupide, Max, son époux si tendre et si doux, était devenu une bête froide et sans pitié. Il les mettait tous en danger en voulant l'interner de force. C'était trop. Encore une fois, elle se retrouvait à la merci de décisions qu'elle n'avait pas prises. Elle en avait assez d'être un pantin dont on ne respectait pas la parole. Elle n'était pas revenue pour ça. Il fallait que cela cesse. Si Maximilien pensait qu'elle obéirait sans faire de vague, et sans doute tablait-il sur sa maladie et la douleur pour l'empêcher de résister, il se trompait. Les cachets de Varna avaient fait effet rapidement. Adela ne comptait pas se laisser faire.

Elle se mit à hurler de rage en se débattant. Dans ce couloir étroit, sa voix résonnait, s'amplifiait, comblait chaque espace vide. Max s'arrêta avant de descendre l'escalier mais ne se retourna pas, laissant sa femme tempêter inutilement contre les trois brutes venues l'emmener.

Brune ne résista pas à son grand-père. Elle fixait Adela avec désespoir, consciente que ce qui se jouait n'était pas de son ressort, qu'aucune larme, ni supplication ne ferait fléchir l'homme qui la tenait si fermement.

Ils rencontrèrent Paulina dans l'escalier qu'elle montait à toute vitesse, alarmée par les hurlements d'Adela. Maximilien lui mit d'office Brune dans les bras en lui disant sèchement de ne pas se mêler de cette affaire.

Qu'aurait-elle pu faire de toute façon ? Dans cette maison où personne ne connaissait sa vraie nature ? Qu'avait-elle comme possibilité sinon protéger l'enfant ? Ce qu'elle avait promis de faire. Elle assista donc impuissante au transport d'Adela que les infirmiers avaient fini par droguer pour la faire taire. Elle fut déposée sans ménagement sur le brancard sous les yeux horrifiés de Madeleine qui venait d'arriver avec son cabas de courses.


Maximilien, toujours dans l'escalier avait une vision panoramique de la scène qui se déroulait dans le hall d'entrée. Il prit conscience du drame qui envahissait sa vie, se surprit à en vouloir à sa femme de l'avoir obligé à réagir aussi brutalement. Et se reprit finalement avant d'accompagner les infirmiers jusqu'à l'ambulance. Il resta un long moment sur le trottoir à regarder le véhicule s'éloigner dans le petit matin. Puis, il rentra, le dos voûté et une peine immense dans le cœur. Il irait la voir dès le lendemain. Il lui apporterait des livres et des douceurs. Il lui parlerait. Il lui ferait comprendre qu'elle avait une chance de guérir et qu'il fallait la saisir. Elle comprendrait. Il le fallait.

Paulina tenait encore Brune dans ses bras quand Max rentra et ferma la porte de la maison sur le silence de tombeau qui s'y était abattu. Bouleversée par ce qui venait de se passer, son esprit prenait peu à peu la mesure d'un élément pourtant suffisamment étrange pour l'alerter en temps normal. Mais rien n'était normal en cet instant, et ce qui aurait dû l'inquiéter n'avait fait qu'effleurer sa conscience.

Les infirmiers. Leurs esprits. Leurs esprits lui avaient résisté. Pas seulement un mais tous les trois. Qu'un mortel puisse activer un barrage mental sans le savoir pouvait arriver, mais trois hommes en un espace réduit. Trois hommes associés. Ça n'était plus inhabituel. C'était carrément impossible. Avec un air horrifié, elle remonta les escaliers en courant. Pàl ! Il fallait prévenir Pàl ! Maximilien Prat venait de livrer sa femme à ses pires ennemis !



— Foutrebraise ! s'exclama Pàl en se redressant de sa chaise au café du coin de la rue où habitait Prat.

— Quoi ?

Varna, qui jusqu'à présent s’abîmait dans la contemplation de la foule parisienne, analysant les ensembles vestimentaires et s'extasiant sur l'élégance de certaines femmes, se tourna vers son compagnon de café. Lui non plus n'était pas mal. Il ne dépareillait pas avec son veston parfaitement ajusté qui mettait en valeur sa carrure d'athlète. Le petit air nonchalant et distant qu'il arborait en général avait totalement disparu cependant, remplacé par une stupéfaction non feinte.

— Il faut se mettre en route, tout de suite !

— Tu expliques ou il faut que je te tire les vers du nez ?

Pàl ne s'embarrassa pas de son ton badin, il marchait déjà à grandes enjambées vers la voiture. Varna se précipita à sa suite en jurant comme un charretier, ce qui fit se retourner deux ou trois messieurs avec un air réprobateur.

Pàl réfléchissait à toute allure. Ils avaient vu l'ambulance passer sans savoir qu'il s'agissait de celle appelée par Prat. S'il parvenait à la rejoindre, la situation qui paraissait hors contrôle redeviendrait favorable. Adela était désormais à leur portée, hors d'atteinte de l'emprise de son époux. Droguée, donc plus facile à transporter. Plus de récriminations, ni d'exigences. Restaient les soupçons de Paulina concernant les infirmiers. Mais là encore, Pàl ne voyait pas de difficulté majeure. S'ils parvenaient à les atteindre avant qu'ils n'atteignent leur point de chute, quel que soit celui-ci, ils les mettraient hors d'état de nuire.

Par chance, la circulation était dense. L'ambulance n'avait pas pris trop d'avance et ils la localisèrent avant qu'elle ne quitte le boulevard principal. Lorsqu'elle s'engagea dans de petites rues, Varna déclara simplement qu'ils ne prenaient pas de raccourcis. L’hôpital le plus proche se trouvait à l'opposé de leur position.

— Comment peux-tu en être sûre ? Ils vont peut-être dans une clinique privée.

— Pas à cette vitesse. Ils savent qu'on ne va pas tarder à rappliquer.

— Tu crois qu'ils pourraient s'en prendre à elle avant d'arriver à destination ?

— Si ça n'est pas déjà fait. Oui, je le pense. Mieux vaut ne pas attendre pour agir.

Et sur cette phrase, elle vira brutalement à droite, laissant sa cible filer tout droit.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? T'es dingue ! Tu viens de dire...

— La rue tourne à droite dans 500 mètres et boucle sur celle-là un peu plus loin. Je vais leur couper la route. Ensuite ce sera à toi de jouer !


Personne ne se préoccupa de l'absence manifeste de Sargon. Il avait pourtant réussi à se faire inviter par Prat la veille. Les cris d'Adela auraient dû le réveiller. Mais il n'était pas là. Il avait profité de la nuit pour arranger quelques affaires de la Confrérie pendant que ses hommes s'assuraient que Pàl était bien là où il prétendait être. Il ne s'attendait pas à trouver la maison en plein drame en rentrant de sa petite promenade nocturne.

Sa consternation s'accentua encore lorsqu'il apprit ce qui s'était passé de la bouche de Madeleine qui s'indignait de la décision de son employeur qu'elle servait honnêtement et avec dévouement depuis plus de quinze ans. En cherchant une confirmation auprès de Paulina, il apprit ensuite ce qu'elle soupçonnait et qu'elle avait déjà révélé à Pàl : à savoir qu'Adela était aux mains des sorciers.

Sargon ne chercha même pas à cacher sa fureur. Il fracassa une petite table qui se trouvait sur son chemin avant de se précipiter dans la bibliothèque. Maximilien l'accueillit avec étonnement. Sargon claqua la porte en le foudroyant du regard. Le clan McDonald avait tout fait pour épargner cette famille. Ce ne serait pas son cas.

Au moment où un hurlement inhumain s'élevait du rez-de-chaussée, Paulina attrapa Brune qui jouait près d'elle et l’entraîna vers l'escalier de service. La maison des Prat possédait un deuxième étage, anciennement réservé à la domesticité et depuis longtemps abandonné. La veille, Paulina en avait fait le tour, plus par curiosité que par nécessité. Elle avait retenu deux choses de sa visite : l'humidité rendait l'ensemble inhabitable et plusieurs fenêtres de toit pouvaient servir à sortir ou entrer du bâtiment. Ce genre de détails avait son importance, surtout en de telles circonstances. Pàl lui avait dit de se mettre à l'abri avec l'enfant pendant qu'il s'occupait de récupérer Adela. Il était temps de fuir cette maison et de disparaître.

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