Chapitre 19 La discorde

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1957, 13 avril


Le domaine de Dunmore Park était dans la famille de Sir Calum Fergusson depuis plusieurs générations. Lui-même n'habitait pas dans le bâtiment principal. Il avait préféré, à quelques kilomètres, une demeure moins imposante et plus moderne, qui convenait mieux au fonctionnement ordinaire de la Cour d’Écosse.

Toutefois, pour cette assemblée exceptionnelle, il avait ouvert le manoir et son parc. Il était rare d’avoir à planifier aussi rapidement une réunion de cette envergure entre plusieurs Cours. Grâce à Sir Calum et à son énergique organisation, les sorciers écossais tiendraient leur rang avec brio face aux autres sorciers, et notamment face à ceux des Deux Couronnes.

Lord Batten, leur souverain, était un sorcier arrogant et suffisant qui considérait que les Cours d'Irlande et d’Écosse auraient dû se rallier à la sienne comme l'avait fait celle de Galles autrefois. C'était bien là le problème. Le souverain des deux couronnes rêvait d'une suprématie à l'image de celle plus politique qu'appliquait l'Angleterre sur les autres pays du Royaume uni.

Si Fergusson était d'accord avec Batten sur de nombreux points, comme par exemple l'inutilité de la quête du Devolatus, il ne le laisserait pas pour autant s'emparer de l’Ecosse. Montrer la force et la puissance de sa Cour était donc important. D’où le choix du manoir.

En entrant dans l'ancienne salle de bal, somptueuse et richement ornée de miroir et de cristaux, il fut satisfait de voir une centaine de ses sorciers répartis de chaque côté de l'imposant fauteuil qu'il avait fait installer sur une estrade. Sa Cour était la plus peuplée après celle d'Irlande. Il entendait le montrer à Batten. Cela lui rappellerait que sans le pays de Galles, la Cour d'Angleterre ne serait pas aussi puissante. La magie se concentrait surtout aux extrémités de l'île. Pas en son centre.

Il se tourna en souriant vers Dame O'Leary qui, accompagnée d'une bonne cinquantaine de sorciers, se tenait du côté droit de la salle. Elle portait une robe ravissante qui mettait en valeur sa silhouette et lui donnait un air d'antique déesse. Elle savait mettre les formes. Pour sa part, Fergusson avait revêtu le costume traditionnel écossais et s'en réjouissait. Dans cette tenue, il en imposait toujours avec sa stature massive et sa barbe bien taillée.

Il s'approcha d'Isha pour lui serrer la main. La souveraine d'Irlande l'avait rejoint dès que l'accident ferroviaire avait été connu des naturels. Même si son visage ne trahissait aucun des sentiments qui pouvaient l'agiter, elle avait approuvé sa décision d'organiser une assemblée. Elle avait semblé satisfaite, qu’en plus de vouloir discuter de la suite des opérations, il veuille récompenser la sorcière qui était à l’origine du coup d’éclat. Et ce, bien qu’elle ne fût pas de sa propre cour. Autrefois, ce genre de cérémonie n’étaient pas rares. Elles avaient disparu avec l’amenuisement des dons et la fin des conflits.

Fergusson était fier de remettre au goût du jour d'anciennes pratiques, dont il avait toujours regretté l’abandon. Les traditions devaient être sauvegardées même si les temps changeaient. La modernité n'aurait pas dû entraver à ce point l'organisation millénaire des cours. Il était grand temps de réagir.


Aloïs ne tarda pas à apparaître devant les souverains. Soutenue par Etha, elle avait piètre allure. Vêtues toutes les deux de tailleurs ordinaires et sans couleur, elles auraient pu facilement passer pour des naturelles en visite. Elles s’immobilisèrent à quelques mètres du souverain d’Écosse. Imposant personnage tout en largeur, cheveux et barbe blancs, soignés, impeccable, en kilt et veste, Sir Fergusson savait impressionner son public par sa présence.

— Lord Batten ne devrait plus tarder, dit-il d'une voix rocailleuse qui résonnait comme une sentence.

Aloïs aurait voulu saluer selon les rituels, mais n'en avait pas la capacité. Son corps était si faible qu'elle pouvait à peine marcher. Les souverains avaient été avertis de son état critique. En la voyant, il comprenait mieux l'étrange requête qu'elle avait formulé avant de se présenter devant eux.

— Votre réceptacle patiente dans le couloir, Aloïs. Nous l'avons choisi selon vos critères. J'y ai ajouté un présent en remerciement personnel pour votre dévouement, dit doucement Dame O'Leary en désignant une porte à sa droite.

— Oui, une récompense pour votre travail, ajouta Sire Fergusson qui n'appréciait pas que l'on parle avant lui.

— Il n'est pas terminé, dit Aloïs dans un souffle.

— Pardon ?

— Je n'ai pas achevé ma tâche. Il reste le livre. Je dois vous le ramener.

— Ah, oui ! Ça ! Ce misérable détail ne mérite pas qu'une sorcière de votre envergure perde son temps pour lui, d'autant que cette basse besogne pourrait être accomplie sans difficulté par nos chasseurs.

— Je ne comprends pas, dit Aloïs en observant successivement sa souveraine et Sire Fergusson de ses yeux fiévreux.

— Nous avons décidé de vous mettre au repos, commença Dame O'Leary.

— Ou sur une autre mission, la coupa Sire Fergusson contrarié qu'elle ait employé un « nous » qui l'incluait dans une décision qu'il n'avait aucunement approuvée.

— Une mission où il faut l'espérer vous ne laisserez pas une multitude de cadavres derrière vous ! lança une voix pleine d'arrogance dans le dos d'Aloïs.

La sorcière n'avait pas besoin de se retourner pour savoir qui s'adressait à elle sur ce ton. Lord James Temple Batten était un sorcier bouffi d'orgueil que sa réputation précédait. Pendant l'éclipse d'Aloïs, il avait gravi les échelons de la Cour d'Angleterre, jusqu'à en être élu souverain, poste prestigieux s'il en était, puisque cette Cour était l'une des cinq plus anciennes cours d'Europe. Après l’Écosse et l'Irlande.

Il croyait compenser son infériorité historique par une puissance politique dans le monde des naturels. Mais tout ceci n'était que mirage. Les naturels gouvernaient seuls, et l'Angleterre avait déjà une reine. Personne n'était donc dupe. Pourtant, un très grand nombre de sorciers, biens intégrés dans la société humaine, jouait le jeu, pensant améliorer ainsi leur situation. Certains en tiraient de gros profits. Ils étaient peu nombreux, mais suffisamment puissants pour maintenir l'illusion d'un soutien inconditionnel.

Aloïs avait déjà été en conflit avec Lord Batten avant son éclipse, au début de la 2nd guerre mondiale : Opinions divergentes sur l'intervention des sorciers sur le plan tactique. Elle prenait conscience qu'il avait profité de ces seize années d'absence pour prendre l'avantage. Lord Batten comptait en profiter pour lui damer le pion une bonne fois pour toutes.

— Sir Fergusson et Dame O'Leary sont bien trop cléments à votre égard ! poursuivit-il, tuer une centaine de naturels qui, pour certains d'entre nous, auraient pu avoir de la valeur, pour éliminer une femme déjà aux portes de la mort ! C'est un peu excessif, vous en conviendrez !

— Cette femme était la dernière Letiferus ! argua Aloïs.

— Oui ! Oui ! Je sais ! Vous auriez pu vous contenter de faire confiance aux sortilèges d'Asham ! On m'a dit qu'ils étaient extrêmement efficaces !

— Et laisser nos ennemis en possession du livre et du lecteur ? s'exclama Aloïs, éberluée par autant de désinvolture.

— Bah ! fit-il en agitant la main avec familiarité, Elle n'aurait jamais eu le temps de le lire ! Et puis, franchement ! Les légendes autour du contenu de ce livre sont parfaitement dépassées ! Il faut cesser de rêver notre avenir, ma chère ! Les naturels nous prouvent chaque jour que les progrès scientifiques nous seront bientôt plus utiles que nos vieux tours !

Aloïs n'en croyait pas ses oreilles. Elle jeta un œil à Dame O'Leary qui semblait profondément contrariée. Sir Fergusson, lui, était impassible, ce qui révélait que les deux sorciers souverains avaient déjà dû avoir ce genre de conversation et qu'ils étaient plus ou moins d'accord.

— Êtes-vous en train de prétendre que notre magie n'a plus d'utilité, qu'elle n'a plus d'avenir ? demanda froidement la sorcière qui avait repris un peu de sa prestance.

— Pas du tout, ma chère, répondit laconiquement Lord Batten comme s’il s'était adressé à un petit enfant obstiné, la magie nous est nécessaire pour contrôler les naturels quelques soient leurs progrès. Je dis simplement qu'il est inutile de courir après des chimères. Mieux vaut consolider ce que nous possédons en l'ancrant dans le monde des naturels, plutôt que de fragiliser l'ensemble de l'édifice en prenant des risques inconsidérés. Nous respectons en cela les pactes d'autrefois.

— Ceux d'avant ou d'après les purges ? siffla Aloïs hors d'elle.


Le ton de sa voix avait fait tressaillir son interlocuteur et les quelques sorciers qui l'avaient accompagné. Le souverain de la Cour d'Angleterre n'aimait pas Aloïs, c'était un fait. Il l'avait toujours trouvée trop puissante, incontrôlable. Elle avait vécu trop de choses, traversé trop d'époques. Sa mémoire dépassait certains écrits, et son opinion, tranché, implacable, le mettait toujours mal à l'aise. Il voyait en elle la survivance d'un passé révolu où en voulant s'imposer ouvertement aux hommes, la magie avait perdu sa puissance occulte. Il préférait de loin l'ombre dans laquelle il régnait aujourd'hui. S'insinuer dans le monde, le maîtriser par des intermédiaires, régner en secret sur les naturels leur convenait tellement mieux. Vouloir récupérer le Devolatus pour trouver la soi-disant source de la magie était pure folie. Mieux valait tout simplement ignorer certains secrets.

— Je vois que vous n'avez pas changé, Aloïs, dit-il en grimaçant, le monde dans lequel vous êtes en revanche, lui, n'est plus tout à fait le même. On m'a dit que vous n'aviez pas encore rendu visite à Gabriel...

— Ça suffit ! Nous ne sommes pas ici pour débattre de l'intérêt de poursuivre cette mission. Nous sommes maintenant bien trop engagés pour nous retirer du tableau...

— À qui la faute !

— Lord Batten ! Nous devons reconnaître que la mort, même spectaculaire, de la Letiferus nous libère d'un poids invisible que nous subissions sans vouloir le voir. Le livre n'ayant plus de lecteur, il sera sans doute plus aisé de le récupérer auprès de nos ennemis. Et quand bien même, nous ne parvenions pas à nous en emparer, ils ne pourront pas le conserver près d'eux sans en subir de douloureuses conséquences. Ils seront forcés de s'en séparer. Ils le cacheront probablement. Il sera perdu pour un bon moment.

Sir Fergusson avait parlé d'une voix forte faisant taire tous les chuchotements et murmures qui s'élevaient depuis l'arrivée de Lord Batten. Debout, les poings fermés, il reprenait le pouvoir en sa Cour. Le souverain d'Angleterre s'inclina et alla s'asseoir à sa gauche avec ses sorciers.

— Dame O'Leary ? Si vous voulez bien procéder ? continua d'un ton plus serein Sir Fergusson.

La souveraine de la Cour d'Irlande se leva et s'avança vers Aloïs qui frémissait encore sous le coup des fortes émotions qui l'avaient agitée un instant plus tôt. D'un geste, O'Leary ouvrit la porte à sa droite et fit avancer un corps vivant, mais inconscient.

— Aloïs, nous vous avons trouvé un réceptacle à votre mesure.

La sorcière hocha la tête en regardant approcher avec une certaine avidité le corps qu'avait choisi sa souveraine. Robuste, dans la force de l'âge, l'homme n'était vêtu que d'un pagne de coton. Il lévita à un mètre du sol jusqu'à elle et s'arrêta.

— Dès que le moment vous semblera opportun, nous vous laisserons.

Sur ces mots Dame O'Leary retourna à son siège sous le regard impérieux de Lord Batten qui se leva presque aussitôt.

— Qu'est-ce que cela veut dire ! Je n'ai pas été consulté sur ce point ! Vous lui offrez un nouveau corps ! Mais c'est tout à fait contraire à...

— Lord Batten, commença Isha O'Leary en se levant à son tour, il ne me sied pas de vous « consulter » pour des décisions qui ne concernent que la Cour d'Irlande. Aloïs est l'un de mes sujets.

— Ah ! Oui ! Parlons-en ! Un sujet d'Irlande qui interfère sur les terres écossaises !

— Et bien, c'est pour cette raison que j'ai demandé l'autorisation de Sir Fergusson pour accomplir ce rituel ici.

— Mais pas le mien !

— Vous n'êtes souverain que de la Cour d'Angleterre, il me semble.

— L'Angleterre et l’Écosse sont assurément liées et...

— Les décisions en terre écossaise m'appartiennent encore ! tonna alors Sir Fergusson s'invitant dans échauffourée.

— Plus pour longtemps ! lança Lord Batten avec morgue.


Un silence pesant s'abattit sur l'assemblée. Le visage de Sir Fergusson avait pris une teinte violette sous le coup de la colère. Redressant son imposante carcasse, les mains prêtes à jeter des sorts, il s'était tourné vers le souverain d'Angleterre, dont la stature était beaucoup moins impressionnante. Lord Batten était un petit homme ventripotent au crâne dégarni et à la lèvre lippue. Avec un chapeau mou sur la tête et un veston moins coûteux que ceux qu'il s'évertuait à porter, il aurait facilement pu passer pour un employé de bureau quelconque, un homme sans importance en somme. Les vêtements de prix ne parvenaient qu'à lui donner un air de parvenu, de petite frappe à l'air pernicieux.

— Nous y voilà, siffla Sir Fergusson.

Les membres de sa Cour s'étaient rassemblés autour de lui. Sombres silhouettes en costume ou en kilt, masse compacte de muscles et d'obstination. Dame O'Leary s'était légèrement écartée avec les membres de sa Cour, des sorciers au regard ardent prêts à tout pour protéger celle qui les gouvernait. Elle avait les yeux posés sur Etha qui écouta attentivement ce qu'elle lui transmettait par l'esprit.


Aloïs observait avec intérêt l'affrontement silencieux. Elle avait déjà assisté à des conflits de ce genre. De petits sorciers plein d'orgueil qui défiaient de plus grands ou de plus vieux. C'était dans l'ordre des choses. Cependant, il ne lui plaisait pas d'en être l'initiatrice sans même l'avoir voulu. Pourtant, elle n'avait pas les moyens d'élever la voix. De plus en plus faible, elle laissait ce corps s'en aller, prête à le quitter sans regret aucun.

Lord Batten fit alors volte-face et regarda Aloïs droit dans les yeux. Il n'entendait pas lui faciliter la vie et encore moins la mort. Il la préférait dans ce corps malingre. Au moins, cet hôte lui imposait-il quelques limites. Il tendit sa main vers elle et serra le poing avec force. La sorcière entendit distinctement le craquement des vertèbres du corps inconscient devant elle. Aloïs ne s'en formalisa pas. Contrairement à Dame O'Leary qui sursauta de stupeur.

— Qu'avez-vous fait ! hurla-t-elle à Lord Batten, pauvre fou !

Un vent violent tourbillonnait autour d'elle, animant vêtements et cheveux. Grâce à son pouvoir de télépathe, Isha O'Leary pouvait commander à ses sorciers d'agir pour elle. Celui qui, pour le moment, agitait l'air environnant se trouvait à sa gauche. C'était un homme d'un certain âge dont les cheveux noirs coupés courts étaient parcourus de larges mèches blanches. Comme tous les sorciers, il portait un sceau autour du cou. Le sien était empaqueté dans un petit sachet de cuir soigneusement fermé par une chaînette en argent. Joachim Burke ne bougeait pas les mains, ce qui dénotait d'une très grande maîtrise de son pouvoir. En fait, il était l'un des plus puissants sorciers de la Cour d'Irlande. Il était aussi le plus fidèle soutien d'Isha O'Leary.

— Je me suis assuré que votre sorcière demeure là où elle est, le temps qu'il faudra pour que nous discutions calmement de tout cela.

— Discuter ! s'exclama Isha O'Leary tandis que Joachim soulevait une bourrasque qui fit reculer les sorciers anglais.

— Ne jouez pas à ça avec moi O'Leary, sinon... ! avertit Batten en colère.

— Sinon quoi ? Vous allez m'éliminer ? Tenter de prendre le contrôle de la Cour d'Irlande ? N'êtes-vous pas déjà à l'origine de tous les complots qui se trament dans les Cours depuis une dizaine d'années ? Je n'ai pas peur de vous, Batten !

— Vous devriez, dit-il d'une voix plus profonde.


Les rivalités entre Cours existaient depuis de nombreuses années. Elles avaient été sources de guerres et de massacres. Parfois, elles avaient même parasité l'histoire des naturels, provoquant purges et cabales. L’Écosse en avait beaucoup souffert. Sir Fergusson n'entendait pas revoir de sitôt ces périodes sombres. Et certainement pas pour des raisons aussi négligeables que la réincarnation d'une sorcière ou la possession d'un livre dont personne n'était plus capable de lire le contenu.

— C'est assez ! tonna-t-il au point que la voûte de la salle se mit à vibrer.

De son estrade, il dominait l'assemblée. De nouveau, il imposa un silence complet aux occupants de la pièce. Il savait d'ores et déjà que l'assemblée allait se séparer brouillée. Il faudrait des mois, peut-être même des années, avant que les Cours ne collaborent de nouveau. Fergusson soupira, désolé. Et son soupir précéda de peu une exclamation alarmée.

— Oh ! Par tous les dieux ! Aloïs ! Non, Aloïs ! Aloïs !


La métempsychose avait cela de pratique que le sorcier qui détenait ce pouvoir ne pouvait mourir tout à fait. Son esprit transitait d'hôte en hôte. Le problème majeur venait du fait que le choix de l'hôte était aléatoire. Quand Aloïs avait été assassinée dans un train anglais fin 1939, au lieu de s’immiscer dans le corps de la femme qui se trouvait non loin d'elle, son esprit s'était logé dans l'enfant de moins d’un an qu'elle tenait dans ses bras, provoquant une éclipse, c'est à dire une impossibilité d'émerger complètement, pendant plus de 16 ans. Durant cette longue période, la sorcière tentait des incursions dans l'esprit de son hôte, en testait la fragilité, posait les jalons de sa futur prise de contrôle.

Donc, à moins de ne trouver aucun corps vivant, Aloïs ne pouvait disparaître. Néanmoins, elle n'avait jamais vécu le cas présent : mourir en présence de sorciers. Elle ignorait si son pouvoir allait fonctionner de la même façon. Elle avait hâte de voir ce qui allait se produire tout en le redoutant un peu. Pourtant, elle ne résista pas lorsque son corps souffreteux se laissa tomber à bout de forces. Lord Batten avait oublié qu'elle n'avait pas besoin qu'on lui offre un réceptacle. Elle pouvait prendre n'importe qui.

L'exclamation d'Etha figea tous les sorciers pendant un bref instant, avant qu'ils ne s'agitent tous en même temps pour s'éloigner au plus vite du futur cadavre. Tous savaient ce qui était en train de se produire. Aucun d'entre eux ne voulait servir d'hôte à Aloïs Walsh et disparaître.

Dame O'Leary fut la plus prompte à réagir. Tant qu'un souffle restait à Aloïs, rien n'était perdu. Elle se précipita sur Etha et l'arracha littéralement à la sorcière mourante. Puis, la secouant pour la faire sortir de sa transe, elle lui hurla :

— Etha ! Ramène-nous !

Tous les sorciers de la Cour d'Irlande s'arrimèrent les uns aux autres et disparurent.

— Isha ! C'est votre sorcière ! hurla à son tour Lord Batten, oubliant qu'il avait causé cette situation.

Sir Fergusson était le seul à n'avoir pas bougé. Il fixait le corps d'Aloïs, fasciné par cette mort. Alors que tous les sorciers n'étaient pas encore sortis de la pièce, il murmura un simple « c'est fini » qui stoppa net tout mouvement.

L'espace et le temps semblèrent se figer. Tous les yeux étaient tournés vers le cadavre inerte d'Aloïs, petit tas de chair flétrie, à côté de celui qui aurait dû être son hôte. Personne n'avait jamais assisté à l'activation du pouvoir de la sorcière. Pouvoir suffisamment rare pour que l'occasion ne se présente pas de manière régulière. Certains s'attendaient à voir matériellement un fantôme dériver pour choisir un nouvel hôte. En fait, il n'en fut rien. Et c'était pire, car personne ne savait qui était le nouvel hôte.

— Aloïs Walsh ! Montre-toi ! s'exclama Fergusson, affirmant par cette phrase qu'il ne sentait pas la sorcière en lui.

Personne ne réagit à son injonction. Tous s'observaient, se questionnaient du regard, se tâtaient. Haussements d'épaules, soulagement, suspicion et murmures emplissaient désormais la grande salle. Tous les sorciers étaient revenus. Tout le monde voulait savoir qui l'esprit d'Aloïs avait choisi de hanter.

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