Chapitre 9 La lectrice

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1957, 12 avril


Adela fixa chacun des occupants de la chambre avant de reporter ses yeux sur le coffret. Elle sentait une étrange tension se répandre dans l'air, se mêler à cette sensation de puissance contenue qui émanait d'eux. Un troupeau de prédateurs qui craignaient quelque chose ou quelqu'un. Et une chose était sûre, ce n'était pas elle.

— Ouvrez-le, commanda Hendry en s'écartant d'Adela.

Elle s'avança vers le coffret que Paulina lui laissa sans regret. La jeune fille lui parut même plutôt pressée de s'en débarrasser. En fait, ils reculèrent tous vers la porte. Ils redoutaient donc ce qui se trouvaient à l'intérieur.

Sans plus attendre, croyant avoir peut-être un atout pour sortir d'ici, Adela ouvrit le coffret d'un geste sûr. Elle reconnut immédiatement ce qu'il contenait. Le livre se mit à lui murmurer des avertissements comme la première fois qu'elle l'avait vu. Mais sa réflexion s'arrêta là. Une fulgurante douleur lui incendia tous les nerfs la faisant chanceler. Le coffret lui glissa des mains et tomba lourdement sur le parquet en se refermant brutalement.

— Qu'est-ce qui se passe ici ? cria furieux, Pàl qui apparut brusquement à la porte en bousculant tous ceux qui se trouvait encore là.

Les membres du Clan semblait avoir autant souffert que la Letiferus, mais, eux, avaient la force de s'en remettre rapidement. Pas elle. Pàl se précipita vers la jeune femme qui se tenait à l'un des piliers du lit, et sans le moindre effort entreprit de la recoucher. Malgré sa faiblesse, elle refusa en s'asseyant seulement et en repoussant ses bras. Elle tremblait furieusement et serrait les dents pour éviter de gémir.

— Je voulais m'assurer que nous avions bien là une Letiferus, dit Hendry en récupérant le coffret pour le déposer sur l'un des fauteuils de la pièce.

— Et tu n'as rien trouvé de mieux qu'aggraver sa souffrance, alors même qu'elle est déjà si faible ? Tu ne pouvais pas attendre qu'elle se remette des attaques qu'elle a subi ces derniers jours ! répliqua Pàl avec acrimonie.

Gita s'était approchée timidement de la jeune femme et avait posé ses mains de chaque côté de son visage. Adela avait été incapable de l'en empêcher et s'en trouva récompensée. La jeune fille avait un don qui lui permettait d'absorber la douleur, de soigner les maux et réparer le corps. Elle grimaça cependant très rapidement et se mit à haleter étrangement. Puis, elle écarta brusquement ses mains en fixant la Letiferus d'un air triste.

— Gita ? Ça va ? demanda Titus plein de sollicitude

— Oui, ça va...

— C'est le livre ! C'est le livre qui provoque la douleur ! Comment est-ce possible !! cria Adela encore essoufflée en s'écartant des membres du Clan.

Pàl lança un regard mauvais vers Hendry qui haussa les épaules.

— Tu ne lui as rien dit !

— Je voulais m'assurer que...

— C'est ça ! lâcha Pàl en se tournant vers la Letiferus.

— C'est bien le livre qui vous fait tout ce mal. Il est ensorcelé de manière à ce que nous ne puissions le toucher et que vous ne puissiez pas le lire sans encourir douleur et mort. Gita fera en sorte de vous soulager.

— Je t'arrête Pàl, l'interrompit Gita, je ne peux rien ou presque pour elle... Cette femme est déjà morte !

Tout le monde se mit à fixer Gita avec stupeur, mais c'est Hendry qui réagit le premier.

— Que racontes-tu ! Elle n'est pas une créature !

— Non ! Mais cette femme est malade, et le mal qui la ronge ne vient pas du livre. Il était là avant. Le processus est bien trop avancé pour que je puisse l'inverser et la sauver. Je ne suis pas assez puissante pour ça.

Adela avait apprécié l'apaisement que la jeune fille avait été capable de lui apporter. Même temporaire, une accalmie était toujours bonne à prendre. La migraine s'étant évaporée, elle se sentait capable de réfléchir plus librement. C'est pourquoi cette affirmation si brutale sur son état la fit sursauter, car il lui était apparu clairement que c'était ce qu'elle pensait aussi. Elle était déjà morte.

— Non, vous êtes vivante, et nous ferons en sorte que vous le restiez le plus longtemps possible, dit alors Paulina en fixant avec intensité Adela.

— Vous lisez dans mes pensées ?

— Pas exactement, vous concernant, mais oui, en règle générale, je suis télépathe.

— Et elle, elle soigne, dit Adela en désignant Gita.

— C'est exact.

— Et eux ?

— Abner et Titus développent des capacités hors du commun au combat.

Adela se tourna vers Pàl et Hendry qui se tenaient maintenant côte à côte en plein conciliabule.

— Je ne pense pas qu'il soit utile que vous sachiez, dit simplement Paulina.

— Non, je vous assure que vous ne voulez pas savoir, ajouta Pàl sur un ton sinistre tandis qu'Hendry faisait un sourire pointu.

Adela eut un mouvement de recul involontaire. Des prédateurs. Avec des pouvoirs magiques. Des sorciers dangereux. Elle était entre leurs mains et n'avait aucun moyen de leur échapper. Toutefois, malgré sa peur, elle devait reconnaître qu'aucun d'entre eux ne lui avait fait de mal. Directement. Cet Hendry McDonald, malgré son air avenant, avait montré son peu d'empathie envers elle, mais il ne l'avait pas agressé à proprement parler.

— Vous me voulez vivante. Pour lire le livre. Et pas les autres. Qui me veulent morte. Parce qu'ils ne veulent pas que je le lise. Qu'est-ce qu'il y a dans ce fichu livre ?

— Des histoires sur nous, répondit Hendry en récupérant le coffret et en le donnant à Paulina qui s'éclipsa avec.

— Et si vous arrêtiez de me prendre pour une idiote ? Des histoires sur vous ! Comme si de simples histoires pouvaient provoquer tout ce cirque ! lâcha Adela avec agressivité

Adela fixait Hendry avec animosité. Comme l'avait dit cette Gita, elle était déjà morte. Alors que lui importait toutes ces menaces sous-jacentes. Elle voulait au moins la vérité, et elle voulait récupérer sa petite-fille.

— Ce ne sont pas de simples histoires. Il s'agit de notre histoire. Ce qui veut dire, qu'il y dedans des informations capitales qui pourraient changer l'équilibre du pouvoir entre les créatures. Des hommes tuent pour moins que ça.

— Votre histoire ! Votre histoire ! Ce livre à plusieurs siècles d'existence ! Et puis cessez de parler comme si tout ceci n'était pas une énorme supercherie !

— Je me demande ce qu'il va falloir faire pour vous convaincre que les sorciers existent ! Nous avons besoin de vous, Madame Prat. Vous êtes la lectrice du livre.

Adela haussa les épaules. Toutes les informations se bousculaient, se heurtaient entre elles et contre ses anciennes certitudes. Sa raison regimbait contre les propos de McDonald, contre ce que pouvaient accomplir ses « cousines », contre ce qu'elle avait cru voir dans sa chambre d'hôtel.

— Encore faudrait-il que je puisse l'approcher ! Ce qui me paraît hautement improbable vu ce qu'il provoque chez moi. Et puis, je suis malade. Je ne pourrais pas arriver au bout même si je le pouvais. Même si je le souhaitais. Je suis aux portes de la mort...

— Pas nécessairement.

— Comment ça, pas nécessairement ?

— Si Gita ne peut vous soigner, elle peut en revanche ralentir la progression du mal. Suffisamment pour que vous puissiez lire le livre jusqu'au bout. Quant au sort, ce qui est fait, peut être défait. Il nous faut juste un peu de temps pour trouver une solution... comme ce coffret qui nous permet de nous en approcher.

Adela en avait assez entendu. Elle perdait trop de temps avec ces gens. Il fallait qu'elle sorte.

— Écoutez ! Je me fiche complètement de vos histoires de sorciers et de livre ensorcelé ! Ce que je veux, c'est récupérer ma petite-fille ! Je veux la ramener en France auprès de son grand-père !

Pàl avait serré les poings et crispé son visage. L'absence de Paulina l'empêchait de sentir l'humeur de la Letiferus. Mais à bien y réfléchir, il n'avait pas besoin d'elle pour savoir ce que pensait cette femme. Elle était un livre ouvert. Et contrairement à ses aspirations, il n'était pas question de prendre le moindre risque de la perdre maintenant qu'elle était entre leurs mains.

— Et bien, ça ne se passera pas comme ça ! Nous ne tomberons pas dans le piège des sorciers ! Hors de question de prendre ce risque !

Hendry avait encore du mal à comprendre comment une femme aussi jeune pouvait avoir une petite-fille, mais sur le moment, ce détail ne lui apparut pas crucial. Ce qui l'était en revanche, c'était leur filiation. Si Brune était la petite-fille de la Letiferus, alors, elle était aussi son héritière, et donc, le don passerait fatalement de l'une à l'autre à la mort d'Adela. Dès lors, l'enfant revêtait un intérêt non négligeable.

— Je crois que nous devrions reconsidérer la question, Pàl.

— Tu es fou !

— La petite est sa petite-fille. Son héritière, insista Hendry.

Malgré le sous-entendu de cette affirmation, Adela ne broncha pas. Elle se garda bien de préciser que si Brune était bien sa petite-fille devant la loi, elle n'était pas de son sang. Et donc absolument pas son héritière. Si cette omission lui permettait de récupérer l'enfant, elle était prête à les laisser se fourvoyer. Après tout, ils ne lui avaient rien demandé de plus à ce sujet. Tout ce qui importait, c'était le sauvetage de Brune. Adela fut heureuse que la télépathe ne soit plus dans la pièce.

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