VIII. Découvrons-les

5 minutes de lecture

Ses yeux s’écarquillèrent, sa bouche s’entrouvrit et son cœur s’arrêta. Non… Non… Non… Non, elle n’avait jamais vu les choses de cette manière. Tout était devenu différent autour d’elle. La foule semblait lointaine, voire absente, les sifflements et les huements étaient morts et même la main du maître sur son épaule était inexistante. Elle ne voyait plus les enfants danser autour des cages aux métaux brillants à s’en crever les yeux. Tout n’était jugé que par l’horreur mêlée à la beauté qui la captivait. Malgré le sentiment nouveau qui naissait petit à petit au sein de sa poitrine, elle ne semblait pas montrer d’autre expression que l’envoûtement dont elle était victime. Aucune larme ne semblait pointée et pourtant, son nez la picotait. La chaleur prenait possession de son corps et sa tête la tournait.

Elle était seule, le reste n’existait plus, le monde n’existait plus. Plus rien. Le néant. Elle ferma les yeux. Ce n’était certainement qu’un rêve. Un stupide rêve comme chaque enfant à l’existence trop enfermée pourrait créer quand l’esprit cherche sa propre Odyssée. Le sien justement se verrouilla sur cette prison ; elle fronça les sourcils, referma doucement sa bouche. Ses yeux ne brillaient plus. Ils étaient… inhabituels.

Hazel n’avait pas pris longtemps pour réfléchir. Une seconde avait suffi pour faire le point sur cette soirée devenue tout à coup sombre et… angoissante… pénible… à vous tordre les tripes. Elle avait envie de vomir.

— Eh bien, ma petite, tu as fini par trouver ? demanda le maître d’une voix impatiente.

Hazel se retourna brusquement vers lui, et lui répondit toute sourire :

— Quoi donc, Mr Malum ?

Son air de petite fille sage semblait tout à coup faux, mais l’interpellé ne s’en aperçut pas – il n’en donnait pas l’impression. Cependant, il parut surpris.

— Son nom ! s’exclama-t-il avec évidence. Le nom que tu souhaites lui donner pour la soirée ! (L’enfant le dévisagea en imitant la parfaite incompréhension.) Regarde… soupira-t-il.

Il l’entraîna au centre de la scène, et même si elle tentait de ne rien laisser paraitre, elle ressentait toujours de l’effroi.

Dans la cage qu’elle avait découvert, se trouvait une jeune femme. Sans les balafres qui barraient ci-et-là son visage, elle aurait paru jeune. Elle semblait vouloir garder le dos droit, mais elle grimaçait dès qu’elle remuait, et ses deux mains tremblaient sur sa fine jupe en lambeaux. Elle l’agrippait, apeurée. Enfin, ses yeux clos en permanence ne pouvaient qu’indiquer sa cécité. Hazel n’avait donc pas perçut la raison qui poussait toutes ces personnes à se moquer d’elle, en la pointant du doigt. C’était donc cela, les Contemptibilia ? Des êtres humains ?

Alors quand elle découvrit le contenu des autres cages, elle en était venue à se demander ce qu’était réellement cette fille. Ce n’était peut-être pas une humaine finalement…

Dans une des autres prisons, on pouvait y voir deux jumelles siamoises par un bras, mais le plus intriguant était leur apparence. On aurait dit deux poupées de porcelaines ; elles se fissuraient d’ailleurs au coin de la bouche de l’une et au niveau du front de l’autre.

Plus loin dormait un garçon. Hazel lui donnait seize ans, mais il ne semblait pas très "intéressant". Il ne bougeait pas, allongé et recroquevillé sur lui-même. La seule particularité qu’on lui donnait était ses cheveux rouges, rouges comme le sang, contrastant avec son habit blanc et taché de boue.

Dans une autre encore, était agenouillée une femme à robe bleue. Elle parlait seule – à moins qu’elle ne priait – les paupières ouvertes et fixant le garçon qui rigolait de sa peau décollée ; cette dernière découvrait à certains endroits ce qui semblait être du papier froissé à fleurs blanches et du même bleu que sa robe.

Encore après, vint ce qui lui procurait certainement le plus de cauchemars – si elle arrivait un jour à se rendormir. Hazel lui donnait la trentaine… Non, moins… Plus ? Trop difficile à déterminer. Cet homme accrochait les barreaux verticaux et regardait avec fureur le garçon à l’air hautain qui avait interpellé l’enfant un peu plus tôt. Les mains du prisonnier étaient couvertes d’écailles… tout comme la peau de son visage. Il paraissait vert. Vivement, il bascula son regard vers elle : elle sursauta. Même de sa place, elle pouvait voir ses yeux noirs au pupilles blanches scindées comme ceux d’un chat. Puis il fit frémir sa langue aux bords de ses lèvres et Hazel jura qu’elle était coupée en deux. Elle sentit un frisson la parcourir, alors elle détourna les yeux du regard insistant de « l’homme-serpent ».

Devant la sixième et dernière cage, la plus timide des fillettes présentent au centre du chapiteau ce soir-là ne savait pas comment réagir face à la créature au plumage noir. De chaque côté, dépassait une série de plumes toutes attachées les unes aux autres, formant deux grandes ailes sombres. Celles-ci se rejoignaient dans le dos nu d’un homme tombant non loin de la quarantaine. Ses cheveux sales étaient rejetés en arrière et son torse semblait briller sous la lumière de la salle froide. Il secoua ses lourdes ailes et quelques flotteurs se détachèrent pour maculer le sol. Elles semblaient puissantes et résistantes. S’il ne manquait pas quelques plumes, elles seraient plus majestueuses encore qu’elles ne l’étaient déjà. Le visage de cet ange des ténèbres était fermé, mais il était toujours possible d’y déceler de la tristesse. De la profonde tristesse, une faille immense.

— Tu vois, dit Malum. Tous tes camarades sont déjà prêts à commencer. Regarde-les. Regarde comme ils sont impatients, ils veulent s’amuser avec mes monstres… Pas toi ? (La fillette ne répondit pas, alors il se baissa à son oreille et murmura :) Tu ne veux pas que l’on te regarde davantage, n’est-ce pas ? Tu n’es pas l’une de ces créatures. Alors si tu veux que le public cesse de te dévisager parce que tu parais faible, tu as tout intérêt à jouer le jeu.

Hazel continuait à faire des aller-retours entre chaque case de son regard examinateur, mais elle avait parfaitement entendu les paroles qui lui étaient adressées. Il faut croire que sa nervosité était plus dure à dissimuler qu’elle ne l’avait pensé. Alors elle fit ce qu’elle devait faire, retourna à la cage qu’elle avait choisi quelques minutes plus tôt et s’y colla.

— Je vais te donner un nom, dit-elle à la prisonnière.

Celle-ci prit peur en entendant la douce voix de l’enfant et recula en tremblant jusqu’aux barreaux les plus éloignés pour s’y accrocher fermement. Ses dents étaient serrées et la jeune femme tourna vivement la tête de tous les côtés, cherchant peut-être à entendre une nouvelle fois cette voix… ou une autre.

Hazel ne se découragea pas et, tout en parlant, la rejoignit en frôlant le fer.

— Je vais te donner un nom, répéta-t-elle. (Elle vérifia que Malum – ou qui que ce soit d’autre – était assez éloigné pour qu’on ne l’entende pas ; l’enfermée tremblait encore au fond de la cage) Je voulais en premier lieu savoir ce que tu étais, savoir si tu étais véritablement un « monstre » … Mais je crois que ça n’a pas trop d’importance.

Les cheveux roux de la jeune femme étaient assez volumineux et ses longues boucles méritaient visiblement plus d’entretien.

— Eh si je t’appelai « Frisette », murmura-t-elle tout bas.



Comme vous l'aurez remarqué, je pense, cette partie est un peu moins bien écrit que les autres, alors si vous avez des suggestions...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gabrielle Askell Naer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0