VII. Des enfants... intriguants

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Quand son père la rejoignit sur l’estrade, la fillette lui sourit à pleines dents. Viduus passa outre et s’assit à côté d’elle sans parole. Hazel soupira intérieurement ; même si elle avait pu retrouver sa place avant que son père ne revienne, elle ne cessait de penser aux Contemptibilia. Elle qui avait été si proche d’eux tout à l’heure avait fait demi-tour, parce qu’elle avait eu peur d’un simple bruit de métal. Elle se maudissait, elle ne voulait pas avoir peur pour si peu. Tout simplement parce que son personnage fictif préféré, son idole, y serait allé, lui ! Will n’existait pas, mais dans l’esprit de l’enfant, il vivait bien plus d’aventure, plus extraordinaire les unes que les autres, qu’aucun ne pourrait en faire en une si courte vie.

Le maitre de cérémonie coupa court à ses pensées aventureuses lorsqu’il apparut sous une pluie d’applaudissement au centre de l’espace granuleux.

— Mesdames et messieurs, j’espère que ces dix minutes d’attentes ne vous ont pas paru trop longues. (Hazel se retint d’exprimer à voix haute sa pensée) Dans tous les cas, laissez-moi vous annoncer que ce que vous attendez depuis le commencement… (Il marqua une pause et l’enfant jura qu’il la regardait) est fin prêt ! s’exclama-t-il alors que six carrés, couverts et faisant un peu moins la taille moyenne d’un homme, firent leur entrée sous une nouvelle pluie d’acclamation.

Les hommes et les femmes qui poussaient ce qui semblaient être des caisses invisibles sous un drap rouge-bordeaux, s’éloignèrent et disparurent sous l’estrade, après les avoir disposé aux quatre coins de la piste.

Enfin ! Enfin, Hazel allait voir ces fameux et tant attendu Contemptibilia. Qu’était-ce donc ? Qu’étaient-ils ? À quoi ressemblaient-ils ? L’enfant trépignait de plus en plus d’impatience. Autant vous dire qu’on l’aurait cru folle à accélérer ses coups de pieds sur le bois.

Malum, toujours au centre, éleva sa voix par-dessus les cris incessants.

— Eh oui ! Eh oui, les voici ! Je sens que vous ne voulez pas attendre plus longtemps, et je le comprends. Mais avant de vous dévoiler le contenu de ces objets, avant ça ! (Sa voix fut si forte que toute la salle se tut d’un coup) six de ma troupe vont passer parmi vous et choisir six enfants. Au hasard, bien sûr. Six enfants qui auront la chance ce soir de… jouer ! avec nos Contemptibilia.

La fillette se raidit et joignit instinctivement les mains au niveau de son torse. Son père lui souffla : « Pour rendre cette soirée bien plus mémorable encore. » L’enfant se retourna et le regarda intriguée. Plus mémorable encore… Mais Viduus haussa les épaules. Quand elle se retourna vers le centre, deux hommes – qui semblait être des avaleurs de sabres par leur accoutrement – et quatre femmes – une contorsionniste, une dompteuse de lion et deux mimes – grimpaient parmi le public.

Il n’est pas difficile de deviner que la fillette fut choisie. C’était une des deux mimes qui était venue près d’elle, à la plus grande frustration d’une autre petite fille à sa gauche. Entièrement vêtue et maquillée de noir et de blanc, elle laissait une drôle d’impression, comme tout droit sortie d’un dessin.

Alors Hazel la suivit, après avoir lancée un dernier regard à son père. Oh, elle avait compris que le hasard n’y avait été pour rien, mais elle ne s’en préoccupait pas une seule fois. Autant profitée au maximum de ce qu’elle rêvait depuis plusieurs semaines : l’Iter Circus était chez elle !

Ce n’est qu’en se trouvant sur la dernière marche qu’elle prit véritablement conscience : elle se trouvait au centre d’un immense chapiteau, des milliers d’yeux braqués sur elle, au première loge pour découvrir les « Contemptibilia » et faire on-ne-sait-quoi avec ce qu’ils seraient. Elle toucha nerveusement son chapeau et attrapa un pan de sa cape.

On la fit descendre jusqu’à Malum. D’autres enfants se dévisageaient, prenants connaissance du visage des heureux gagnants de ce soir. Tous appartenaient à une tranche d’âge de neuf à douze ans, à vue de nez. Trois filles, trois garçons. L’un d’eux attira particulièrement l’attention d’Hazel : il était un des plus grands, le visage dur, froid, voire fermé, le dos bien droit, les poings serrés… Soit il n’était pas venu pour s’amuser – auquel cas sa présence était incompréhensible – soit il se servait d’un masque pour cacher sa nervosité. Et pourtant quelque chose lui disait qu’aucune des hypothèses n’étaient bonnes. Peut-être qu’il était toujours ainsi…

Une fille avait les mains croisées sur sa robe, la tête haute, l’air hautain et méprisant… L’autre semblait plus timide et impressionnée, mais elle tentait de ne rien laisser transparaître. Un autre garçon… Non, il n’y avait rien à dire sur lui, rien de particulier, un gamin comme un autre. Et le dernier était assis en tailleur. Sur le sable. Hazel tenta de comprendre, mais quand son regard croisa le sien, il tourna lentement – et effrayamment – sa tête vers l’une des grandes caisses et ne la quitta pas des yeux. Ils avaient peut-être tout deux le même âge.

Ces adolescents n’arrangeaient rien à son malaise. Elle ne sortait pas souvent, mais elle était presque certaine que ce n’était pas un comportement normal. Enfin, c’est ce qu’elle se disait…

— Alors heureux, mes enfants ? demanda Malum en s’agenouillant près d’eux. Vous serez donc aux premières loges pour assister et participer ! au spectacle des Contemptibilia. Avez-vous une idée de ce qu’ils peuvent être ?

Seule la fille à l’air hautain répondit :

— Ne vaut-il pas mieux ne rien dire et ainsi avoir la surprise ?

Le maître de cérémonie parut surpris tout d’abord, puis sourit et se releva.

— Vous avez raison, murmura-t-il. Vous avez raison ! Alors voici comment cela va se passer, reprit-il à voix haute. Chacun va se diriger vers l’une de ces cages. Puis enfin, à mon signal, vous tirerez le drap et vous dévoilerez les Contemptibilia. Simple, n’est-ce pas ?

Cage ? Il avait bien dit « cages » ?

Un mouvement du coin de l’œil la ramena à la réalité. Là, sur sa droite… quelque chose brillait dans l’ombre sous l’estrade. Elle ne distingua pas tout de suite de ce dont il s’agissait, mais quand la lumière s’adoucit, elle ne put s’empêcher de sourire. Un violon était adossé au mur. La première fois qu’elle avait vu cet instrument, elle n’avait pas fait attention aux touches – tâches ? - argentées qui le parsemaient ci et là ; elles rappelaient les mèches du violoniste tout aussi brillantes. Puis une main dans l’ombre posa rapidement un archer sur le sol, et du bout d’une botte, il fut poussé. Plus précisément, il fut orienté. Mais orienté vers quoi ?

— Eh bien allez-y, rajouta-t-il. Choisissez-en-une et nous commençons.

La fillette bougea rapidement la tête dans tous les sens voyant ces camarades s’éloigner. En jetant un dernier coup d’œil vers l’archer, elle comprit qu’il pointait vers l’une de ces cages. Alors elle courut et trébuchant bien deux fois, elle l’atteignit, un peu située sur sa droite.

Quand elle fut devant, elle l’agrippa, sans vraiment trop savoir pourquoi.

— En voilà une pressée de commencer ! Rigola le maître de cérémonie.

Elle le regarda timidement et rougit. Elle ne répondit rien, cependant elle remarqua rapidement que les autres enfants la détaillaient avec incompréhension et curiosité. Et soudainement, l’un d’eux se mit à courir à son tour vers sa proie. Les autres suivirent et chacun tentait d’en atteindre une autre. Deux d’entre eux se bousculèrent, ayant visiblement porté leur choix sur la même cible – la foule siffla – mais ce fut le plus grand qui remporta. L’autre, les yeux lançant des éclairs, se dirigea résigner vers la dernière caisse sans… propriétaire.

— Eh bien ! Malgré ce début légèrement… tumultueux, nous voilà tous fixés ! Attrapez un bout de tissu… mais ne tirez pas !

La fillette s’exécuta. Sa main tremblait.

Les Contemptibila, les Contemptibilia, les Contemptibilia.

À croire qu’il s’agissait des seuls mots qui résonnaient dans sa tête. Elle sentait son cœur battre, elle était certaine que celui-ci voulait s’échapper.

Les Contemptibilia, les Contemptibilia, les Contemptibilia...

Elle ne se souvenait même plus la raison pour laquelle elle avait tant espérer les voir un jour. Elle ne savait même pas ce qu’ils présentaient, à quoi ils ressemblaient, ni pourquoi tout le monde semblait les adorer.

Les Contemptibilia, les Contemptibilia, les… cages ?

Malum avait-il réellement fait mention de « cages » ? Elle n’en était plus vraiment certaine ; son impatience et sa curiosité emportaient. Mais quelque chose la titillait. Elle avait toujours autant envie de les découvrir et de tirer ce bout de tissu, mais… quelque chose la gênait. Elle ne se sentait plus aussi bien et sereine qu’en début de soirée. Elle mit cela sur le compte de l’anxiété.

— Je sais que vous êtes plus que fatigués d’attendre, mais nous voilà à la seconde qui sépare votre découverte. (Il admira l’assemblée, comme pour les faire un peu plus souffrir, encore.) Tirez ! Hurla-t-il enfin.

Et Hazel tira…

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