IV. La place aux Pics

4 minutes de lecture

Il fallut à peine quelques minutes de plus pour atteindre la Place aux Pics. La voiture stoppée, Hazel poussa la portière avant même que l’on ne l’invite à descendre, et alors qu’elle s’apprêtait à sauter de la marche jusqu’au sol couvert de multiples minuscules pics – d’où le nom de cette place – une danseuse en arabesque lui tendit sa main. La fillette sourit largement et la lui prit. Elle n’aurait su dire s’il s’agissait de la même femme, celle qu’elle avait aperçu à travers la vitre de la voiture, mais voir de si près le maquillage de princesse, la tenue pailletée digne d’une étoile et ce visage souriant de confiance la remplissait d’un sentiment particulier. Son cœur battait à tout rompre ; elle possédait trop de joie en elle, impossible à contenir, mais tout aussi impossible à extérioriser.

L’étoile – ce fut le nom le plus approprié à son avis – jeta un coup d’œil au paternel qu’Hazel ne regarda pas une fois et en pointe sur ses chaussons de danse emporta la fillette avec elle jusqu’à l’énorme foule, là, à quelque mètre. L’enfant se laissa guider et pourtant était totalement hypnotisé par cet avant-goût de spectacle. Les femmes aux bras de leurs maris, les enfants accrochés aux robes de leurs mères, les stands colorés et décorés, l’odeur de la bonne nourriture sûrement autre qu’anglaise, le brouhaha formé par tout ce beau monde… Tout ceci était déjà en lui-même un spectacle pour la petite.

Main dans la sienne, la danseuse l’attira dans cette enceinte de merveille ; Hazel suivit sans jamais la lâcher. De là, commença cette soirée pour le moins illustre et inarrachable de cette mémoire encore enfantine.

Directement à sa droite, un premier marchand appelait les passants et organisait un jeu de lancer. Hazel ne savait pas ce qu’on pouvait y gagner. Puis en vint d’autres tout aussi bruyant et enjoué que les autres. Il était peut-être étrange d’aimer toute cette cacophonie, mais pour une enfant qui restait enfermée dans sa maison ou dans son jardin tout aussi silencieux l’un que l’autre, les remue-ménages étaient souvent des bienvenus.

Une odeur alléchante vint tâter ses narines. Une odeur chaude et sucrée… Qu’est-ce que c’est agréable, se dit-elle. Une envie soudaine la poussa à tirer la main de la danseuse, guidée par ce mélange d’arôme. Elles quittèrent l’immense allée, formée par cette série de stand, et s’engouffrèrent un peu plus profondément dans le troupeau humain. L’étoile, toujours silencieuse, ne tenta pas une fois de retenir l’enfant.

Enfin, Hazel pu voir un peu plus loin l’objet, ou plutôt les objets, de ses convoitises. Quelle était donc la promesse qu’elle s’était faite ? À la vue de tout ceci, elle sut qu’elle ne pourrait pas la tenir, mais elle comptait bien en profiter. Un énorme établi de bois présentait différents bonbons recouvert d’une tonne de sucre, des crêpes on-ne-peut-plus dorées, une fontaine de chocolat chaud dégoulinant, des brochettes de fruits et de douceurs, des sucettes, des pralines, des dragées, des berlingots, des calissons, des popcorns… De quoi faire rêver n’importe qui, n’est-ce pas ? Avant même qu’elle ne puisse faire un pas de plus en direction de ce trésor, l’étoile tendit la main d’une manière presque surréaliste et attrapa l’une de ces brochettes sucrées. L’enfant sauta jusqu’à l’atteindre, les yeux brillants, puis sans dire un mot, trottina jusqu’à cette cascade chocolatée qui semblait pour le moins immense aux yeux de la gamine. Si elle pouvait juger, elle lui donnerait bien sept pieds. Enfin, elle croqua. Une explosion de saveur. Jamais elle n’avait pensé avoir un jour goûté ce genre de chose. Ce n’était pourtant que des ingrédients habituels : pomme, fraise, guimauve, caramels, bonbons gélatinés…

En quelques secondes, il ne lui restait plus que le bâton entre les mains. Alors ne voulant pas en rester là, elle s’empressa de fourrer sa main dans une boite de réglisses. Elle ne se souvenait pas avoir vu cette chose auparavant. Elle ne prit pas un temps de plus et mit le tout dans sa bouche. Elle croqua et un goût particulier fit frémir sa langue. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher de trouver cela délicieux. L’étoile ne semblait rien dire face à cette impolitesse, et les vendeurs trop occupés par la foule de demande ne remarquèrent pas le vol dont leur étalage était victime.

Avant que l’enfant puisse en prendre d’avantage, un petit cri de foule suivi d’une acclamation fit retourner la fillette. Elle avait aussi entendu en bruit de souffle. Chaud. Un cracheur de flamme. Alors tout en grâce, la danseuse reprit la main de l’enfant et l’entraina à nouveau dans l’allée principale.

La place au Pics n’était pas un nom si approprié que cela. Puisque le lieu était immense, elle couvrait presque le quart de cette citadelle. Ce n’était donc une « place » à proprement parler, mais plus un terrain vaste, plat et entouré d’habitation.

Dans cette allée presque sans fin, un défilé se déroulait. Plusieurs représentations d’Etna réchauffaient les passants poussés sur les côtés, des danseuses – différentes, cette fois-ci – entrant dans un style plus asiatique effectuait des danses en rythme avec les cliquetis des piécettes accrochés à leurs robes, des tambours passèrent ensuite, suivis des trompettistes et autres musiciens… Au bout de cinq bonnes minutes durant lesquelles l’émerveillement d’Hazel ne cessa de croitre, deux chars firent leur apparition, et dessus, des cages émanaient des cris animalesques. Le grondement que créaient ce mélanges d’hurlements ne permettait pas de différencier toutes les bêtes et les prisons qui les retenaient étaient toutes couvertes d’un tissu rougeâtre, opaque.

Les chars finissant ce cortège s’éloignèrent et une voix en écho s’éleva à travers la foule qui avait déjà repris sa place au milieu de l’allée. Hazel ne put voir l’homme qui appelait à l’écoute, mais le brouhaha du peuple s’étant atténué pour entendre ce qu’il avait à dire, elle put percevoir distinctement ce qu’il signalait.

« Le maître de cérémonie, Mr Malum, vous invite dès à présent à rejoindre le chapiteau poster plus loin. Le spectacle va commencer, tout est en place, venez découvrir nos Contemptibilia !

« Le maître de cérémonie, Mr Malum, vous invite dès à présent à rejoindre le chapiteau poster plus loin. Le spectacle va commencer, tout est en place, venez découvrir nos Contemptibilia ! ... »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Gabrielle Askell Naer ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0