II. Balios et un chapeau

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Finalement, le châle était resté à l’étage dans les mains d’une camérière épuisée, Hazel ayant opté pour une longue cape noire à mettre sur ses épaules menues et droites. Le capuchon rabattu, elle marchait sur la pointe de ses petites chaussures rouges en bas du grand escalier de marbre.

Devant ses yeux, s’élevait la grande porte vitrée du manoir ; de l’autre côté, Mr Viddus attendait le dos tourné. Il semblait fixer un point invisible dans le lointain de la cour pavée, peut-être perdu dans de vieux souvenirs militaires, comme il lui arrivait parfois de l’être. L’une de ses mains maintenait son haut-de-forme contre la brise passagère ; de l’autre, il s’appuyait sur une belle canne argentée au pommeau émeraude. Son habit n’avait rien d’exceptionnel en revanche : un costume marron, taillé et ajusté pour sa carrure fine et ses épaules larges.

Devant lui, se gara la voiture familiale apprêtée de deux chevaux.

Alors que Hazel s’apprêtait à pousser la petite porte de la baie, Mr Viddus se retourna.

— Hazel, arrête tes enfantillages, dit-il la voix grondante.

Cette dernière fut toujours, jusqu’au plus lointain souvenir de Hazel, lourde et vibrante, comme un tonnerre approchant.

La fillette ouvrit la porte. Elle, qui connaissait l’attitude détachée de son père, croisa les bras sur le torse, sa lèvre inférieure avancée.

— Mais je suis une enfant, et je m’amuse ! Vous auriez dû jouer le jeu.

— Quel jeu ?

— Je voulais vous faire peur !

Elle montra les crocs et rigola. Son père fit claquer sa canne ; Hazel stoppa nette.

Contrairement aux premières apparences, ce paternel chérissait plus que tout sa fille unique et la gâtait au possible. Comme le lui avait si bien dit sa tante, Hazel n’était pas une enfant à pleurer. Et toujours selon cette femme, son père n’était pas sévère, seulement autoritaire – prêt à tout pour que sa descendance grandisse et ait le plus bel avenir. Mais elle était encore bien trop joueuse pour être la fille sérieuse, battante et honorable qu’ils espéraient, la tante et le père, voir un jour.

— Ma fille, tu sais que je n’aurais jamais peur d’une enfant comme toi. Je suis vieux, mais je reste un soldat. Allons-y. Ce soir, la ville entière est allumée.

Les yeux d’Hazel s’illuminèrent et elle sautilla sur le perron. Marche par marche, elle descendit jusqu’au premier cheval attelé. L’oreille de l’animal se tendit.

— Je compte sur toi, Balios, murmura-t-elle d’un air complice. Nous devons traverser la ville avant que la nuit ne soit pleinement tombée. C’est une grande soirée.

Le cocher au-dessus de sa tête étouffa un éclat qu’elle ignora. Ce n’était pas de la moquerie – loin de lui l’idée de rire de la princesse de maison ; ou à son tour, il serait la risée de la citadelle. Non, cette petite l’amusait simplement. Et tout comme Mr Viddus, Hazel le savait bien. Elle aimait parfois jouer de cela.

Le cheval secoua sa crinière en expulsant de ses narines un air chaud, et l’enfant rayonna. Pour elle, Balios lui répondait qu’il exhausserait son vœu.

Le nom de cet animal fut donné par Hazel, alors que son père venait à peine de l’acheter. Sans avoir eu à l’esprit l’un des deux chevaux divins d’Automédon, le conducteur du char d’Achille, elle avait décrété vouloir lui donner ce nom en hommage à l’étalon de son héro préféré. Elle avait lu son livre des dizaines de fois, et ce personnage était devenu son modèle en terme d’héroïsme. Elle voulait, elle aussi, avoir le courage d’échapper à des bandits brandissant des lames blanches, luisantes sous la lune.

Mr Viddus la rappela.

— Nous partons ! Quand auras-tu fini de marmonner à l’oreille de cette bête ?

Il se trouvait aux pieds de la voiture quand la fillette le rejoignit en quelques pas.

— Je n’aime pas qu’on l’appelle « bête », père ! C’est un majestueux destrier.

Viddus tendit la main à sa fille qui grimpa jusque dans la cabine, et elle se jeta sur la première banquette. Son père prit face à elle, les mains posées sur le pommeau de la canne. On ferma la porte – si Hazel ne savait pas qu’il y avait toujours quelqu’un à l’arrière de la calèche, elle aurait pensé à de la magie. Aussitôt, le cocher donna un coup de rênes et la voiture commença son voyage.

Le visage collé à la vitre, cette petite regarda le chemin devenir plus étroit. Lorsque la voiture rejoignit les premières routes, sombres à cette heure, elle s’enfonça convenablement dans la banquette. Alors, Mr Viddus posa la main sur une boite à ses côtés.

— Hazel, où est donc ton chapeau ?

La petite tâtonna le haut de son crâne, médusée.

— Oh non, je l’ai oublié. Il faut retourner le chercher ! Je ne peux pas sortir comme ça !

Elle avait déjà entrouvert la porte et s’apprêtait à hurler au conducteur à faire demi-tour. Elle dû renoncer.

— Prends la boite, ma fille.

L’ancien soldat tendit l’objet en carton couvert d’un papier rose pâle. Hazel le saisit sans ménagement et arracha le nœud rouge sur le couvercle qui tomba à ses pieds. Ces derniers tapaient la banquette avec excitation.

— Oh père, comment saviez-vous que j’allais l’oublier ? s’exclama-t-elle en apposant le couvre-chef au-dessus de son chignon.

Hazel ne pouvait s’admirer, mais la couleur du chapeau était assortie à sa tenue. Elle devait paraitre si âgée, si grande et jolie ! Apprêtée comme une femme.

— C’est un cadeau pour ce début de soirée ; et aussi, je suis ton père : je sais que tu es tête-en-l’air.

La fillette sourit.

À cet instant, la voiture ralentit. Ni une, ni deux, Hazel écarta le rideau tombé sur la vitre et comprit.

Ils entraient dans le cœur de la citadelle.

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