I. Un cirque pour une sortie

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Hazel, jeune fille enthousiaste et surtout infatigable, avait la fâcheuse et non corrigeable habitude d’exaspérer les domestiques. Son trop plein de vie y était sans étonnement pour quelque chose, car elle accumulait sottises, farces et maladresses.

Ce soir-là ne fut pas différent ; elle avait bien entendu mélangé l’herbe du jardin à la soupe aux légumes, goûté la crème pâtissière du dessert et ouvert la porte menant à la basse-cour « pour faire entrer les animaux qui ont froid. »

Après avoir échappé aux représailles de son père quand le vase indien du salon avait miraculeusement basculé de l’étagère, elle était montée dans sa chambre où Carmelle la camérière attendait.

Hazel était surexcitée par la nuit qui s’annonçait ; elle dansait maintenant sur le tapis persan qui garderait à jamais les traces de son passage. Si le maître de cette maison ne possédait pas des manies de gentlemen et était entré dans la pièce, nous n’aurions pu connaître la ou les raisons qui avaient poussé Hazel à s’enfuir en compagnie d’étrangers.

Plusieurs fois, elle s’était heurtée à la coiffeuse et à l’armoire aux agréments fantaisistes, mais cela n’avait pu stopper son chantonnement. Affublée de sa nouvelle robe espagnole, sa gaieté avait doublé ; cette soirée était toute particulière.

— N’est-elle pas jolie, Carmelle ? Ne l’est-elle pas ? dit-elle en désignant son habit.

La femme de chambre rigola de la jovialité de sa jeune maîtresse. Et pourtant, l’impatience la mordait.

— Oh si, mademoiselle, mais je vous en conjure, stoppez-vous un instant que je puisse vous recoiffer. Voilà votre chevelure toute défaite pour ce soir.

La princesse de ce toit fit la moue boudeuse avant de retourner s’asseoir face au miroir massif qui ornait un pan de mur. Malgré tout, elle ne se plaignit pas de la contrainte, puisse qu’elle savait – on lui avait tant de fois dit – qu’une demoiselle mal apprêtée était une demoiselle de bas-échelle.

Avec douceur et attention – il ne fallait surtout pas faire de mal à cette enfant de haut-lieu – Carmelle défit chaque épingle et élastique de la lourde chevelure ; de longues boucles vinrent peser sur les fragiles épaules de Hazel. La femme de chambre s’empara ensuite du peigne posé sur le petit meuble d’acajou et démêla pour la seconde fois la chevelure brune de la jeune fille. Malgré la lenteur du geste, la tête de la fillette accompagnait régulièrement la main de la domestique.

Les lèvres de Hazel étaient pincées et ses yeux fixés sur son reflet. Il était rare de la voir si silencieuse et ceci suscita un instant la curiosité de la jeune femme qui la coiffait. Mais en réalité, de belles pensées avaient envahi l’esprit de l’enfant.

Quelle magnifique soirée s’annonçait là ! Peu avant que le noir ne s’installe, elle et son père partiront pour l’Iter Circus, un cirque ambulant dont la renommée n’était plus à faire. Et depuis des mois, l’ancienne citadelle d’Éphialtès, bien au nord de la capitale de la Grande-Bretagne, attendait avec impatience sa prestigieuse venue.

Hazel avait entendu dire que le grand chapiteau serait sur la Place aux Pics et que tout autour de multiples animations seraient présentes, qu’il y en aurait pour tous les goûts : des animaux, des clowns, des magiciens, beaucoup de sucreries – elle se promit de goûter chacune d’entre elles… Et surtout, il y avait ce qui monopolisait les conversations du pays et peut-être même au-deçà depuis plusieurs années : ce qui faisait toute la réputation de ce phénomène, les Contemptibilia.

Les journaux parlaient de ce cirque à l’évidence, mais son paternel lui en interdisait l’accès. Trop d’atrocités recensées pour son petit âge. Et ce soir, elle découvrirait enfin la magnificence qui faisait le tour du pays.

Il va sans dire que Mr. Viduus, son père, avait été, en un premier temps, bien retissant à l’y emmener ; mais les bonnes critiques augmentaient et les plus jeunes étaient appelés à voir ce spectacle dit humoristique, joyeux et enseignant. Si elle pouvait y apprendre des choses, Hazel en était toute contente, mais elle se demandait encore ce qu’elle y verrait pour qu’il puisse réunir toute ces caractéristiques.

L’horloge du rez-de-chaussée sonna. Les vibrations du pendule se répercutèrent dans toute la maison. On sentait les murs être le chemin des battements du balancier, ceci parfaitement en accord avec ceux du cœur de Hazel. Ces pulsations signifiaient en cet instant beaucoup de choses, et l’une d’elles disait : « Dix-huit heure est là. »

— Carmelle, Carmelle ! Vite, je ne veux pas arriver en retard ! Dis, la voiture est prête ? Hein, est-elle prête ?

Elle n’avait que dix ans et comme toute petite fille, s’impatientait rapidement. Elle se tortilla sur sa chaise, tandis que la jeune femme finissait de rattacher deux nattes en un chignon de femme de grand prestige. L’enfant adorait ressemblait à une dame, elle prenait souvent exemple sur sa tante.

— Je… Oui, il me semble, répondit la camérière finissant de fixer la dernière épingle.

— Alors, il faut que je descende ! s’exclama la petite et elle sauta de la chaise.

Hazel couru à l’autre bout de sa chambre et ouvrit la porte qui claqua contre le mur. Carmelle posa les barrettes qui lui étaient restées entre les doigts et attrapa un bout de tissu laissé sur le lit de l’enfant.

— Mademoiselle, votre châle ! Et votre chapeau !

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