Partie 1

5 minutes de lecture

Le 30 novembre 2018

Un an. Cela fait une année entière qu’il est parti. Le trou béant qu’il a créé en rendant son dernier souffle ne s’est pas comblé d’un millimètre. Il me manque toujours autant. Pauline m’avait assuré qu’un jour, sa perte me ferait moins mal à la poitrine, que je finirais par caser Thomas dans mes vieux souvenirs, comme on cache un mauvais moment au fond de sa mémoire. Mais Pauline a tort. Thomas est toujours aussi présent, dans ma tête comme dans mon cœur, et malgré tous les efforts de ma jumelle pour me présenter des hommes, je ne peux passer à autre chose. Je l’aime tellement. J’adorerais écrire « Je l’aimais énormément », mais la vérité, c’est que je suis toujours follement amoureuse de lui, et parfois, je me surprends même à attendre qu’il rentre à la maison. Mais il n’y rentrera plus jamais, malgré tous mes rêves et désirs. Pauline essaie d’être là un maximum pour moi, même si je la supplie parfois d’aller profiter de sa vie, plutôt que d’assister au déclin de sa sœur. Mais Pauline m’aime, et jamais, même si elle le voulait, elle ne pourrait me laisser tomber. Heureusement qu’elle est là.

Je pose mon stylo sur mon bureau, et relis ce que je viens de noter dans mon journal. Mes lignes respirent la tristesse et le désespoir, comme depuis les douze mois qui vient de s’écouler. Une larme se faufile sur ma joue, et je l’essuie avant qu’elle ne vienne se poser sur la page, une énième preuve de mon chagrin démesuré.

Pauline vient dîner avec moi, ce soir. C’est la seule qui vient encore me tenir compagnie. Toutes mes amies ont abandonné, se lassant de la veuve éplorée que je fais. Je les comprends, même moi, je ne me supporte plus. Mon reflet dans le miroir me fait horreur, tandis que mes larmes qui coulent comme une fontaine me donnent envie de hurler. Pauline m’a une fois répondu que je devrais laisser libre cours à mes sentiments, et si me renait l’envie de crier pleins poumons, je devrais le faire. Elle pense que ça pourrait me soulager. Comme si me casser les cordes vocales allaitement m’alléger le poids de la perte. Tout ce dont j’ai besoin, c’est de Thomas.

Je sens mes yeux s’emplirent de niveau d’eau salée quand la sonnette d’entrée retentit. Inutile de me lever, c’est Pauline, toujours aussi ponctuelle. Elle entre sans autre formalité, et pose devant mon nez un sac en papier kraft. Elle a encore ramené de quoi se goinfrer toute la soirée.

- Milkshake maison, et des macarons, répond-elle à ma question silencieuse tout en m’embrassant.

Je lui souris en guise de remerciement. Même parler à haute voix est devenue une épreuve. J’ai la sensation que le silence est encore plus grand quand j’ouvre la bouche. Paradoxal, je sais.

- Alors, on se mate quoi ? Pourquoi pas un film drôle, pour une fois, hein ? Je supporte plus Jack et Rose, même si tu sais que je les aime beaucoup.

J’acquiesce. Je n’ai plus aucune volonté, et elle le sait. Elle tente à chaque fois de me pousser à choisir, à m’imposer, à donner du sens à ma vie. Mais le fait est que le seul sens qui existait dans ma vie avait un nom : Thomas. Et en partant, il a emporté une de mes seules raisons de rester en vie. La dernière qui me reste étant Pauline.

- Coco, tu veux bien me donner un petit sourire, rien qu’un petit ? Tu ne vas pas te laisser dépérir pour un mec, quand même, si ?

- Ce n’était pas UN mec, Pauline ! C’était l’homme que j’aime. Celui avec qui j’avais planifié toute ma vie, avec qui j’avais des projets, des rêves.

- La vie ne suit pas ce qu’on prévoit pour elle. Jamais.

- Est-ce une façon de me faire comprendre que si Thomas est mort, c’est parce qu’on avait prévu qu’il vive ?!

Pauline se tait. Elle a eu ce qu’elle voulait : que je montre que je suis toujours en vie, contrairement à l’apparence que j’en donne.

- Je ne voulais pas te mettre dans tous tes états, pardonne-moi, s’excuse-t-elle au bout d’une dizaine de minutes de pur silence.

Pauline n’a jamais perdu d’être cher. Nous n’avons jamais connu nos parents, et toute notre vie, nous avons compté sur l’autre. Mais pour moi, ma vie a changé quand j’ai rencontré Thomas. Il est devenu la deuxième personne pour qui j’aurais pu faire n’importe quoi, et sur qui je pillais entièrement me reposer. Ce que Pauline a d’ailleurs eu du mal à digérer.

- Tout va bien, ne t’en fais pas, la rassuré-je.

- Non ! Désolé, mais non, tout ne va pas bien ! Ça fait un an que tu te comportes comme une morte-vivante, et je n’en peux plus ! J’ai l’impression que je te perds un peu plus chaque jour, et je déteste ça, Coralie. J’ai besoin de ma sœur, tu entends ? Je sais que c’est dur, le deuil, et que c’est long, mais refuser de vivre n’est pas la bonne solution à ton problème !

Pauline reprend son souffle. Elle dit tout cela d’un trait, comme si reprendre sa respiration allait la couper. Je sais qu’elle garde ces paroles pour elle depuis longtemps, et même si elles sonnent très égoïstes, je ne lui en veux pas.

- Coralie, comme tu le sais, ça fait déjà un an, reprend-elle doucement, et te morfondre n’y changera rien, d’accord ? Arrêter de vivre ne te fera pas revenir en arrière. Ça n’empêchera pas Thomas d’avoir cet accident et mourir. Il faut passer à autre chose, Coco.

- Facile à dire quand on a une vie comme la tienne.

- Comment ça ? Tu crois que mon quotidien est rose bonbon ? La vie, ce n’est facile pour personne, mais on ne doit pas se laisser abattre. La vie est une véritable bataille, à toi de choisir si tu veux te battre pour gagner. Moi, c’est ce que j’ai chois de faire, et tu devrais me suivre.

On se tait. Nous n’avions pas eu de conversation à cœur ouvert depuis … depuis Thomas, en fait. Je réalise à ce moment précis que j’en demande beaucoup à Pauline, sans jamais la remercier en retour.

- C’est important que tu sois là pour moi, tu le sais, ça ?

- Oui, Coco, je le sais. Jamais tu ne m’abandonneras, ni me mentiras. Tu te souviens ?

- Jusqu’à ma mort, sœurette.

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