Chapitre 7 • Jonas

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La forêt a toujours été mon refuge. Seul au milieu des grands pins, j’ai ma place ici, loin de l’agitation de la meute. La meute, je déteste ce mot. Je parle plutôt de famille pour cacher mon malaise, mais Valérien n’est pas dupe. Il sait la blessure béante dans mon cœur qui refuse de cicatriser. Parfois, je surprends son regard chargé de regret à mon encontre et je m’en veux de le mettre dans cet état. Alors, je fuis dans les bois pour hurler ma frustration, la colère qui me submerge.

Par le passé, j’ai désiré mettre fin à mes jours constamment, mais à chaque fois, l’image d’Hanaé s’imposait à moi. Je ne pouvais l’abandonner aussi. Maintenant, je vis lasse, mais sans envie extrême. Parfois, je pleure en silence pour lui camoufler mes plus sombres pensées qui me submergent. Elle ne doit rien savoir de mes tourments. Pour elle et elle seule, je dois me montrer fort, à la hauteur de ses espérances.

Je cours sur mes quatre pattes fortes. Elles me mènent à la limite de notre territoire, bien au nord. Sur mon perchoir, je domine la plaine enneigée en contre-bas, car les arbres commencent à se faire rares. Ici, peu de créatures s’aventurent. La nature est maître en ce lieu, calme de l’animation. Seul le passage d’animaux solitaires ou rare en groupes laisse des traces dans ce paysage figé. J’aime cette solitude.

Je pourrais y rester des jours à contempler cette merveille, mais la faim et mes obligations me rattrapent. À la nuit tombante, je rebrousse chemin d’un pas trainant. C’est toujours le même scénario.

À l’approche du village, je ressens l’anxiété de la meute. La panique me gagne. Je m’imagine le pire, mille scénarios défilent et la crainte me fait accélérer la cadence.

Je déboule parmi les loups-garous sous leur forme bipède. Les pensées se bousculent dans mon esprit animal dont je capte quelques brides : humaine, peurs, sang, faim, sorcière, douleur, colère… Ce flux n’est qu’un tourbillon pour mon esprit. Je me rétracte de la pensée collective tandis que j’intercepte une odeur étrangère. Fruitée aux fortes senteurs d’herbes.

Une seule personne pourra répondre à mes questions. De ce fait, je me dirige vers l’imposante demeure en bois et pierres, un peu à l’écart.

D’un coup de patte, j’ouvre le battant. Je ne prends pas le temps de me manifester aux occupants. Je travers les pièces où le raclement de mes griffes sur le plancher raisonne à chacun de mes pas. Par la porte entrouverte du bureau, une conversation se diffuse. J’y entre sans demander l’autorisation. Les deux bipèdes qui sont en grande discussion se taisent à mon arrivée.

— Jonas, il ne manquait plus que toi, grommèle l’homme à l’apparence d’une cinquantaine d’années.

— Tu aurais pu prendre le temps de te changer, ironise la jeune femelle à la cascade noire donc une mèche blanche la tranche à niveau du front.

Que se passe-t-il ?

L’homme a l’air soucieux et la femme, indifférente.

— Hanaé a fait la rencontre d’une sorcière poursuivie par la meute de Cédrick dans nos bois.

Je ne peux retenir un grognement en entendant ce prénom, mais le mot sorcière retient toute mon attention.

Que faisait-t-elle si loin dans le nord ?

— C’est que je m’apprêtais à aller comprendre. Maryse l’a prise en charge à son arrivée, la jeune femme était frigorifiée à la limite de l’hypothermie.

Je viens avec !

— Non, il est préférable de moins possible la confronter aux loups-garous. Je ne sais ce que lui a fait subir Cédrick, mais le connaissant, il n’a pas dû être tendre avec elle.

J’exprime ma frustration en jappant.

— N’essaye même pas de te déroger à mon ordre, me menace mon Alpha.

Je plis mes oreilles en arrière et incline la tête comme signes de soumission.

— Va te changer, je veux vous voir tous les deux après ma discussion.

Puis Valérien quitte la pièce, nous laissons seuls Hanaé et moi.

Tu en passes quoi ?

— Aucune idée. Naïas la repêcher dans la rivière.

Un piège ?

— Peu probable. Elle a autour du cou un Jadukara Loha.

Sur ces mots, je quitte la pièce, bien décidé à faire même-moi mon opinion de la situation.

Dans la chambre qui m'est attribuée, j'amorce la métamorphose inverse. Le loup laisse place à l'humain. La fourrure à la peau nue. Les os se craquent, se déforme pour s'agrandir et mettre mon centre de gravité pour un bipède. Le processus a toujours été douleur dans mon cas. Si rester constamment en canidé est possible, j'aurais troqué ma peau animale depuis longtemps, oubliant ma vie humaine.

Devant le miroir, je suis nu comme un nouveau-né. Je détaille les longues cicatrices qui barrent mon torse, souvenirs douloureux d'une vie passée que je veux oublier. Je soupire puis enfile des vêtements. La sensation du vent sur le poil me manque déjà. Celui du t-shirt me gratte et le jean me sers les cuisses. Je suis entravé.

Je descends l'escalier à pas de loup. Je dois me faufiler hors de la maison sans éveiller les soupçons d'Hanaé. Trop obéissante, elle n’approuve pas mes écarts de conduite.

Dehors, le vent hivernal gifle mon visage. Je ressers le pan de ma blouse autour de mon corps fragile. Bien que par nos conditions de loup-garou, nous ressentons moins le froid, nous sommes plus sujets à attraper un rhume sous forme humaine.

Quelques curieux observent de loin la maison de Maryse en chuchotant. La sorcière est devenue l’attraction de la monotonie de la meute ; elle va faire jaser les commères pendant un bon bout de temps.

Aussi discret d’une ombre, je me faufile le long des bâtiments. Je n’ai pas comme habitude d’espionner, mais comme tout le monde, j’ai des défauts.

Cette menace planante sur la meute ne me dit rien qui vaille. Avec un besoin viscéral et instinctif de faire ma propos opinion, je ne veux pas suivre aveuglement mon Alpha qui pourrait être ensorcelée par la jeteuse de sorts.

À l’abri des regards des autres loups-garous, je me positionne près d’une fenêtre illuminée de la maison de Maryse. Je calme les battements de mon cœur et tends l’oreille. Les sons me parviennent de plus en plus nettement, au point d’y comprendre chaque mot comme si je participe à la conversation.

— Une malédiction, tu en es sûre ? sonne la voix de mon Alpha.

Le timbre trahit son interrogation qui ébranle ses convictions. Il est tellement infime qu’aucun membre de la meute n’aurait pu le détecter, mais pas moi. Je connais trop bien Valérien pour le décrypter.

Maryse évoque la malédiction de la Lune. Instinctivement, je cherche des yeux le croissant de notre malheur dans le ciel obscur. Des couches de nuages me cache de sa vue macabre.

— Il est resté très mystérieux et m’expliquerait le moment venu.

Cette voix m’est inconnue. Je présume qu’elle appartienne à la sorcière à l’odeur d’herbes. Elle est rauque, manque d’assurance et ressemble à un souffle sifflant difficile à expulser. Je me souviens vaguement qu’Hanaé a évoqué un plongeon dans les eaux de la rivière. Vu l’agencement du terrain, si la jeune femme est tombée plus en amont du seul court d’eau qui sépare notre territoire de celui de Cédrick, elle a dû tanguer sur le fil de sa vie.

Ce que la jeune femme avance comme argument pour sa défense est bien trop vague pour ne pas titiller mes craintes. À la voix posée et rassurante de Valérien, je sais qu’il est pris au piège de ses sorts. Il croit dur comme fer à ses paroles de captivité, mais je connais assez bien l’esprit de Cédrick pour l’imaginer commettre une telle machination. Cependant, cette sorcière doit être vraiment idiote pour marcher à ses côtés au point de se mettre un collier en fer sorcier. Ou bien embrigader par ses paroles suaves de « roi ».

— Je t’avais spécifié de m’attendre dans le salon.

La voix dure de mon Alpha sonne à mes oreilles comme un glas. Il n’a que murmurer pour ne pas porter l’attention des autres membres à mon petit jeu d’espion. Malgré son calme apparent, la musculature crispée de ses mâchoires présage sa colère. Il balade son regard devant lui, dos à moi avec le corps légèrement dans ma direction.

— Retrouve-moi dans la petite clairière, sur le champ !

L’ordre est sans appel. Je déglutis de l’autorité écrasante qu’emploie mon supérieur pour marteler chacun de ses mots.

Dans l’espace déboisée, Valérien m’attend, le dos bien droit. Quand je sors des fourrées, il ancre ses yeux orageux aux miens.

— Tu commences à prendre de plus en plus de liberté, débute-t-il d’un ton sec. Mais je ne peux te blâmer de tes incartades, je suis le seul responsable.

Je suis déstabilisé par sa confession murmurée avec autant de douceur qui tranche tellement avec son reproche bien cinglant.

— Je pense t’avoir laissé assez de temps. Tu n’es plus un enfant et tu as besoin de comprendre qu’il y a des ordres de ton Alpha à ne pas transgresser. Pour ta peine de nous avoir espionné, tu auras la charge exclusive de protéger la sorcière de tout danger puisqu’elle semble tant t’intéresser.

J’ouvre la bouche pour protester.

— Je n’ai pas fini, mon fils !

Calme mais chargée d’une telle intensité d’autorité, sa voix me coupe l’herbe sous le pied de mes arguments. Je me ratatine sur moi-même, incapable de contredire mon Alpha.

— Quand je parle de danger, c’est aussi bien de celles de tous les loups-garous, des créatures de la forêt et d’elle-même. La sorcière est instable émotionnellement. Elle pourrait commettre un geste bien regrettable qui nuirait à toutes les meutes. Ai-je été assez clair ?

Je hoche de la tête, incapable d’émettre le moindre son.

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