Chapitre 3 • Cassiane

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Cassiane, ressaisis-toi ! me répété-je en boucle dans la tête. Prostrée sur le sentier, je ne peux retenir mes larmes silencieuses qui se déversent sans interruption. Mes mains tremblantes sous l’émotion enserrent mes cuisses.

Peut-être ai-je rêvé de l’avidité qui brillait dans les yeux de Cédrick ? Rien que d’y penser, un long frisson traverse mon dos. Ce n’est pas une hallucination de mon esprit apeuré. Ce loup a une idée bien précise derrière la tête et je ne suis entre ses mains qu’un jouet à manipuler pour le modeler à son désir. Je refuse !

Je suis effrayée par la simple pensée de ce que le lycan aurait pu me faire, jusqu’où il aurait pu aller si je n’étais pas intervenue. Mes peurs se ruent comme un torrent sauvage et fracassent mes défenses. Je tremblent sous leur assaut.

Je retourne dans ce corps d’enfant candide en ce jour qui marque mon existence à jamais. Je n’arrive plus à me détacher de ces peurs qui me noient. Mon impuissance me nargue constamment. À la moindre faiblesse de mon esprit, elle défonce mes barrières pour venir m’enlacer de ses bras. Figée, je suis incapable de raisonner correctement.

Calme-toi ! Rappelle-toi des armes offertes par ta mère.

J’inspire en profondeur et expire lentement pour apaiser mon cœur.

« Ma petite pimprenelle, elles te jugent pour une infériorité imméritée. Passe au-dessus de leurs moqueries enfantines, tu es bien plus intelligente qu’elles. Utilise tes qualités, développe-les et elles ramperont vers toi quand tu les tiendras sous tes connaissances qui sont primordiales. Elles ne comprennent pas la valeur première d’une sorcière, mais toi, si. Sans le Savoir, le pouvoir n’est rien. »

J’avais mis du temps, enfermée dans ma chambre, à digérer les paroles de ma mère. Étrangement, elle m’avait laissé sans me bousculer cette réflexion nécessaire. Bien que ses propos m’eussent fait l’effet d’une gifle, j’y avais puisé la force pour me reconstruire. Ma génitrice se révélait toujours devin dans ces cas de détresse. Mes tortionnaires étaient revenues la queue entre les jambes à leur première difficulté dans la réalisation d’une potion complexe.

Ici, je n’ai pas ma mère et ses douces paroles prophétiques, mais mon intelligence, comme elle me l’avait si souvent attesté. Je dois faire tourner mes méninges givrées par la peur.

« La peur n’est qu’un simulacre de ton esprit bloqué par ses superstitions. »

Encore une parole sage de ma génitrice.

Je me lève et sèche mes larmes. Je suis peut-être faible face à la force physique des lycanthropes. Mais à trop se reposer sur les muscles, leur cerveau a rouillé, pas le mien.

Le silence de la forêt a quelque chose de perturbant. Le silence… Personne qui me suis comme mon ombre, personne qui scande mon nom à ma recherche, je suis seule. Complétement sans surveillance, l’occasion rêvée depuis mon arrivée.

Après la peur, je jubile. Je ne dois pas être toute nette pour passer de ces deux émotions en une fraction de seconde.

Prise d’une énergie nouvelle, je commence à courir dans cette forêt neigeuse. Je ne sais où aller, mais je ne désire aucunement retrouver la morosité du village loup-garou et les traits factices de Cédrick.

Si j’arrive à mettre une bonne distance, je pourrais toujours me repérer le moment venu grâce à mes connaissances. Je ne me fais aucun souci sur ce point. Tout ce qui importe en cet instant précis est de leur faussée compagnie avant qu’ils remarquent ma disparition. Les lycans ont les sens plus développés. Je vais devoir veiller rapidement à effacer mes traces, surtout olfactives. Un cours d’eau serait une bénédiction.

Je cours comme si ma vie en dépendait, en même temps, c’est le cas.

Des arbres, de la neige et des rochers, il n’y a que ce décor qui défile. Je ne veux pas penser à autre chose que fuir. Si je me pose trop de questions, je serais submergée par l’angoisse que les lycans me retrouvent.

Le printemps sort tout doucement le bout de son nez dans le nord, alors que chez moi, les premières fleurs s’épanouissent déjà au soleil. Ici les températures remontent paresseusement et la neige fond par endroit.

Quittant le sentier, je traverse un taillis. Une branche gifle douloureusement ma joue et m’arrache quelques larmes. Certains buissons s’agrippent à ma robe en laine. Indifférente, je continue ma course effrénée.

Ma respiration est aussi sonore que celle d’un buffle. Mon cœur tambourine pour propulser mon sang vital dans mon organisme meurtri. Je fais abstraction aux désagréments, mais mon souffle laborieux me contraint à me stopper pour récupérer un minimum. Je m’arrête et écoute le silence de la forêt. Prise d’angoisse, je reprends d’une marche rapide. Si je m’arrête, la peur me figera et je crains de m’enraciner éternellement au milieu des arbres.

Le temps n’a plus d’emprise. Je marche, cours quand mon corps me le permet et les minutes défilent ou bien les heures… qui sait ? Je ne veux pas m’arrêter. Je ne peux pas m’arrêter.

Le soleil décline vers la ligne d’horizon. L’après-midi est bien entamée et aucun signe de poursuite. Sont-ils tellement sûr d’eux de mon incapacité de leur fuir ? Me laissent-ils une longueur d’avance pour me donner un espoir avant de me couper l’herbe sous le pied ? Toutes ces horreurs germent et trottent constamment dans mon esprit. Je commence à douter de la réussite de mon plan improvisé.

Un long hurlement plaintif d’un loup me statufie d’épouvante. En écho, ses semblables lui répondent, accentuant ma trouille monumentale. Là, les loups-garous sont maintenant à ma poursuite. Plus de retour en arrière, je ne peux qu’aller de l’avant.

Après une dizaine de minutes, j’entendis le roulement de l’eau qui se fracasse contre des roches. Un soulagement éphémère s’empare de mon corps. Je me fie à mes oreilles pour me diriger vers la rivière, mon salut partiel.

Pour le moment, les lycanthropes sont silencieux. Ça m’angoisse de ne pouvoir repérer la distance qu’ils ont déjà grignoté. Ne pas penser à ça, pense plutôt à ton objectif ! assaillis-je mon esprit d’une voix autoritaire.

J’escalade un rocher plus volumineux et fais face à un désastre. La rivière en contre-bas s’est lancée dans une course folle entre les grosses pierres qui jonchent son chemin. Le torrent est trop puissant pour que j’y me risque. Merde ! Merde ! Merde ! MERDE ! Je n’ai pas prévu un tel déluge d’eau.

Me rongeant l’ongle du pouce, je suis indécise face à ce spectacle. Rebroussé chemin est hors de question, traverser encore moins. Je regarde à gauche puis à droite du cours d’eau. Quelle solution prendre ? Où la rivière sera la plus calme un moment ? En amont ou en aval ? Un dilemme à m’arracher toutes les mèches de mes cheveux cuivrés et je n’ai que quelques secondes précieuses pour me décider.

Poussée par mon instinct, je longue le courant en suivant son sens. La boule dans ma gorge descend et pèse dans mon estomac. Ma respiration saccadée par l’effort et la panique me brule les poumons. Je sais que bientôt l’adrénaline ne pulsera plus dans mes veines pour maintenir le rythme surréaliste que je me suis imposée. D’ici, là, je dois être sortie d’affaire.

En contre-bas de mon perchoir, le torrent ne s’assagit aucunement. Les gerbes d’eau se déversent avec violence contre les parois rocheuses. Ça sera du suicide si je me décide de plonger en cet instant dans ce tumulte sauvage, mais vais-je avoir le choix ?

Plus je marche vers l’aval, plus l’espoir de m’en sortir s’effiloche. À bout de force et proche de la crise de nerf, je m’appuie contre l’écorce d’un pin et déverse tout mon saoul en larme. Je me lamente de mon incapacité hachée par mes sanglots.

Un craquement de branche bien trop proche et je sursaute. Silencieuse, j’écoute les bruits de la forêt par-dessus le torrent. Le visage inondé de perles salines et tourné vers le sous-bois, je scrute à la recherche d’une ombre mouvante. Puis, elle surgit entre les buissons au feuillage persistant. Un loup gris s’approche d’un pas nonchalant.

La peur a déserté mon corps. Il n’est plus qu’une coquille vide qui observe sa mort approcher à pas feutrés. Non, non, non, non et non ! Tu vas te réveiller, chiffe molle ?! Je ne peux pas attendre et me laisser attraper aussi facilement. Être arrivée aussi loin et abandonner maintenant, je ne peux le tolérer. Quitte à tenter le tout pour le tout.

Plus le lycan s’avance, plus je recule.

— Ne t’approche pas, le monstre. Laissez-moi tranquille. Je ne retournerai jamais là-bas, lui hurlé-je, la voix tremblante.

Pour seul réponse, il grogne. Ma menace ne l’impressionne pas, car il continue de progresser. Résignée, je cale mon pas arrière sur le sien.

Mon pied dérape et je perds l’équilibre. Des graviers dégringolent la paroi, accentuant mon acrobatie. J’aperçois le loup bondir dans ma direction. Puis je sens mon corps basculer en arrière et tomber dos au vide. Les mâchoires du canidé se referment sur de l’air, là où se trouvait encore mon manteau un instant plus tôt.

M’observant chuter vers les eaux glacées, il couine avant de hurler à la mort.

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