Chapitre 2 • Cassiane

8 minutes de lecture

Depuis ces deux semaines passées avec eux, je suis comme un zombie. Muette, j’observe à longueur de journée mon nouvel environnement de mes yeux cernés de fatigue. Je dors peu, me réveillant à chaque craquement trop proche. Je suis constamment aux aguets.

Cédrick m’a installé dans une petite chambre attenante à sa modeste maison. Elle sent la cire fraichement passée. Les planches en bois n’ont pas encore grisé comme celles des autres demeures. J’ai la douloureuse impression que l’alcôve a été spécialement construit pour m’accueillir.

Assise sur le couvre-lit rêche, je regarde par la petite fenêtre la vie reprendre calmement dans le village après mon arrivée fracassante. Certes, un village de lycanthropes. Je ne me sens comme une brebis parmi une meute de loups. Je ne suis pas à ma place.

Le collier me démange horriblement. Ma peau a rougi à son contact froid et à certains endroits, des croûtes se sont formées pour recouvrir les plaies. Il me terrifie, son emploi plus précisément. Malgré les attentions de Cédrick, je me sens prisonnière des lycans par ce simple bijou.

Chaque fois que je sors dans la forêt, un des hommes m’accompagnait en silence et renforçait ainsi mes doutes. Cédrick a beau me certifier que c’est pour ma sécurité, je n’en gobe pas un mot.

Mon Coven me manque. La senteur des herbes qu’on écrase dans un mortier à l’aide d’un pilon en pierre, la voix stricte et en même temps empreint d’une douceur de ma mère, les rires des jeunes Apprenties qui résonnent dans l’atelier … tout me manque, même les moqueries de mes sœurs.

Ici, tout est imprimé d’une morosité et d’une mélancolie contagieuse. Les gens me fuient, n’osent me regarder dans les yeux. Leur visage est marqué des stigmates de la faim. Même la clarté des rayons de soleil se reflétant sur la neige n’arrive à égayer mon humeur moribonde.

Je pousse un soupir. À travers la fenêtre, je n’ai vu aucun enfant jouer sur la place centrale. Les chalets de bois constituants le foyer des loups-garous sont construit tout autour de cette entendue de pavés. Sept bâtisses en comptant celle de mon « protecteur ». Je n’y vois que des hommes et des femmes sortir des maisons. Quelle déception ! Le rire d’un chérubin aurait pu remonter mon moral.

Depuis deux jours, je m’efforce à tirer subtilement les vers du nez de Cédrick, mais cette armoire à glace ne laisse rien paraitre de ses plans. Derrière ses innombrables sourires qui me donnent la nausée, il cache ses plus lourds secrets. Ils me concernent, j’en donnerais ma main à couper.

On frappe à ma porte. Je suis lasse de cette mise en scène catastrophique, j’ai donc aucune envie de me lever. On insiste au battant. Je m’arrache à ma contemplation pour ouvrir et faire face à une jeune trentenaire. Affublée d’un jupon terne, les traits du visage creusés, le teint cireux, elle ressemble à une loque. Elle serre contre elle un paquet de tissus de fils de laine rouge tressés. Son regard hagard ne se fixe jamais, un coup au-dessus de mon épaule, un autre accroche mon collier de fer, puis le sol… Elle m’en donne presque le tournis.

— C’est pour ? l’houspillé-je.

— Pour vous, me dit-elle en tendant son paquetage. De la part de Cédrick. Il a dit qu’elle vous irait à merveille.

Quand j’attrape le colis, elle se défile et disparait au coin de l’annexe. Le silence troublant de la place m’oppresse quand je la juge d’un œil critique. Je referme vite fait la porte.

À l’intérieur, le feu brûle joyeusement pour garder une température tenable à mon frêle corps. Sur le lit, je défais le paquet se révèle être une robe relevé d’une doublure douce. Que me voulait encore ce scélérat de loup ? Que je me pavane devant lui pour ses beaux yeux ? Il n’a pas kidnappé la bonne sorcière. Je ne suis pas un trophée. Une envie irrésistible de jeter le vêtement aux flammes me traverse.

Je bouillonne. Bon, ça ne m’aidera pas de lui cracher maintenant toutes les insultes de mon répertoire, je dois trouver une solution à cette misérable détention et vite.

Je me présente à la porte de Cédrick vêtue de cette horrible robe rouge de mauvais goût. Ils ne connaissent vraiment rien à la mode moderne du monde des humains ces ermites de loups-garous. Avec ses manches longues, je dois bien avouer que le vêtement tient chaud.

Il ouvrit le battant, toujours accompagné de son sourire espiègle. Calme et patience. Je me récite ce mantra pour ne pas lui sauter à la gorge. Si un duel à mains nues éclate, je ne donne pas cher de ma peau de sorcière entravée de ses Dons face à un loup-garou aux crocs acérés.

Comme chaque midi depuis mon arrivée, il m’invite à diner dans sa demeure exiguë. En passant le pas de la porte, je déboule directement dans le salon ouvert sur la petite cuisinière au bois. Au fond monte un escalier vers l’étage supérieur que je n’ai jamais visité. Et je ne le désire pas. Le plafond de la pièce fort bas donne un effet d’étouffement. Je ne suis pas à l’aise, aussi bien ici que dans le reste du village de tout manière.

Installée à la minuscule table en face de Cédrick, je me nourris sans grande conviction. Les talents culinaires de mon hôte frôlent le néant absolu. Même la nourriture est morne ici, me lamenté-je. Hier c’était carbonisé, aujourd’hui, c’est fade. Je n’arrive à rien trouver d’attachant en cet homme-loup, en même temps je ne cherche pas.

Je suis tellement désespérée de rentrer chez moi, que je lâche de but en blanc :

— Si vous voulez que je vous aide, il va falloir m’expliquer en quoi consiste cette malédiction de la morosité ?

Son sourire s’élargit.

— Patience, ma petite sorcière, le temps est bientôt venu aux explications. Je t’en ferais part, ne t’inquiète donc pas. En revanche, je suis déçu que tu utilises toujours le vouvoiement avec moi.

Je serre les dents. Nous n’avons pas gardé les cochons ensemble, il me semble. Comme toujours, je dois me retenir d’être trop directe. Il me suffit encore de quelques jours et j’aurais la possibilité de m’éclipser de ce taudis. Je dois encore préserver ma façade d’idiote.

En revanche, je m’interroge sur le pourquoi il est si mystérieux.

— Ma mère m’a toujours apprise à vouvoyer les personnes plus âgées que moi, même celles que je connais.

Charme-le de ton plus beau sourire. Je m’exécute à la petite voix de ma conscience. La grimace passe incognito aux yeux de ce loup-garou.

— Une sage femme.

Le repas se déroule dans un silence pesant, chargé de ma nervosité. J’aimerais que ce petit jeu cesse. Quand va-t-il enfin se décider à me déballer son plan pour briser sa malédiction ? J’ai beau chercher, je ne l’ai toujours pas comprise.

Cédrick me jette quelques coups d’œil à table. Quand j’en intercepte un, il barre ses lèvres de ce grotesque sourire qui révèle ses dents blanches. Un carnassier jouant avec sa proie. Ce que je suis réellement, je ne peux me mentir. Je vacille, mais me ressaisis la seconde d’après, en arborant mon masque d’écervelée souriante. Je ne dois pas perdre contenance, car en aucun cas, le lycanthrope ne doit comprendre que je vois clair dans son jeu de grand méchant loup « malheureux ».

Le calvaire touche bientôt à sa fin. Le repas terminé, Cédrick nous chauffe de l’eau pour un thé bienfaiteur par ce froid glacial.

— Tu es magnifique, me souffle-t-il de sa voix rocailleuse en déposant ma tasse fumante.

J’en faillit m’étrangler avec ma propre salive. Moi, magnifique ?! Il m’a bien vue dans cet horrible champignon rouge et fané qui me sert de robe ainsi que mes cheveux hirsutes à cause de l’air sec… il doit avoir de la merde dans les yeux.

Ma dignité de sorcière moderne en prend un coup drastique. Si j’avais un semblant de la panoplie de lotions spéciales fabrication de ma mère ou encore mes habits à la mode des humains, là, je pourrais me qualifier de pas trop mal. Mais avec mes cernes, mon teint pâle et les yeux rougis de fatigue, je devais être moche. Surtout avec mon indomptable tignasse auburn hissée d’électricité.

Je sirote mon thé à la menthe, pas spécialement mon préféré. Je prise les mélanges plus fruités de Clarisse, la cadette de notre fratrie de trois sœurs et mon ainée de deux ans. Elle adore inventer de nouvelles tisanes et moi de les essayer.

Le loup-garou se leva pour aller chercher l’assiette de biscuits qu’il a oublié. Après l’avoir posée au centre de la table, il prend sa chaise pour la mettre perpendiculaire à moi. Ses genoux sont à un cheveu de frôler les miens. Je me raidis et me retiens de reculer mon siège.

— Parle-moi un peu de tes loisirs, tente-t-il d’un timbre étrange.

Il se veut doux et en même temps une pointe d’autorité nimbe le mélange pour exclure aucun refus. Je déteste cette fermeté cachée. Je ne suis pas un gosse à amadouer.

— Rien de spécial, une routine de sorcière, annoncé-je en haussant des épaules.

— Je présume que tu manipules beaucoup de plantes, je dirais la fabrication de potions.

— Comment le savez-vous ?

Surprise par sa réplique, je me suis tournée vers lui. Les mots m’ont échappé avant que je ne puisse riposter une phrase qui sied à mon personnage.

— Ton parfum est un agréable mélange d’herbes et je sais l’affection des sorcières pour leur Savoir médical naturel. Je t’imagine bien, le regard concentré, plongée dans ton mortier à y écraser des plantes.

Je reste muette. Si j’ose dire quelque chose, je crains que ça se retourne à mes dépends. Je ne veux plus qu’il lise en moi comme dans un livre ouvert. Moins il en sait, mieux je me porte.

— Il fait vraiment froid dans cette région, comment arrivez-vous à y vivre toute l’année ?

— Tu n’as pas à renier ce que tu es face à moi.

Pour argumenter ses propos, il pose sa main sur ma cuisse. C’en est trop. Il a quoi derrière la tête ce lubrique garou vieillissant ? Prise d’une répugnance violente, je lui rétorque sèchement :

— Ne me touchez pas !

Aucunement impressionné. Son sourire toujours aux lèvres que j’aimerais tellement lui faire ravaler, il penche son buste vers moi. Mes entrailles tressaillent d’épouvante. Ma respiration se cale dans mes poumons et mon cœur cogne violemment dans mes tempes.

Je me lève d’un bond en arrière. La chaise se fracasse sur le plancher en bois. À cette distance à la limite du non-respect, je lui lance un regard noir. Son sourire a enfin déserté son visage.

Me décalant, je me dirige d’un pas preste vers la porte. Mon cœur tambourine à vive allure dans ma poitrine. Je crains de sentir une grande paluche emprisonner mon épaule et me clouer dans cette pièce étouffante. Notre différence de force physique est à l’opposé. S’il me contraint, je serais incapable de lui résister. Ça me file une telle frayeur.

Je prends mon manteau accroché au crochet près de l’entrée et sors de la maison en claquant la porte. Toujours sous le joug de l’adrénaline, je marche d’un pas prompt vers la forêt. J’ai besoin de mettre de la distance.

M’enfonçant, je ne sais depuis combien de temps je déambule comme un automate. Sur le sentier entouré de bouleau, je m’effondre soudain, accroupie. J’enlace mes jambes de mes bras. Mon cœur batifole anarchiquement. La scène de l’affront tourne en boucle dans ma tête, incapable de l’arracher à mon esprit. Des larmes ruissellent en silence sur mes joues rosies de froid.

Il est complètement cinglé ce loup-garou, ma parole ! Ma mère avait raison. Ne jamais leur faire confiance, ce sont de très bons manipulateurs, me répétait-elle quand j’étais encore un bambin innocent.

Annotations

Vous aimez lire Azurne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0