Chapitre 9 – Les trésors que nous offre la nature.

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Nul ne pouvait imaginer la puissance de la cascade qui se trouvait en contrebas. La force de l'eau était telle qu'elle emplissait l'air de gouttelettes, les obligeant à fermer les yeux. Jeannot se retourna et fit signe aux autres de se diriger vers l'aval, bien conscient de l'inutilité de crier dans ce vacarme assourdissant. Puis, il aperçut un cairn, signalant le début d'un chemin. Il y ajouta une pierre, trouvé non loin de là, se demandant qui étaient ceux qui avant lui avaient effectué le même geste.

Il l'emprunta le sentier et s'éloigna de la puissance inouïe de cette cascade.

La forêt laissa place à des prés herbeux qui longeaient la rivière. Le cours d'eau, petit à petit, s’écoulait plus paisiblement. Ils continuèrent leur marche en silence sur plusieurs kilomètres. Le soleil était maintenant au zénith, frappant sans pitié. Jeannot défit son foulard, le déplia et l'enroula autour de sa tête pour se protéger des rayons ardents.

— Stop ! s’écria tout à coup Pierrot depuis l’arrière du convoi.

Jeannot s’arrêta net et remonta la file. Christophe soutenait l'un des scouts espagnols.

— Celui-là, j'avais bien senti qu'il allait nous tourner de l'œil, confia-t-il.

Jeannot l’aida à l'allonger. Les autres membres de l'équipe les rejoignirent, Christophe proposa sa gourde, mais Pierrot déconseilla de le faire boire tant qu'il n'avait pas complètement repris ses esprits.

Christophe enleva son chapeau quatre bosses et le remplit d'eau dans la rivière. Bertrand ôta sa chemise. Aidé par Aimé, il la tendit au-dessus du scout pour le mettre à l'ombre. Christophe trempa son foulard dans le récipient improvisé et le lui passa sur le visage. Le jeune reprenait peu à peu connaissance.

Après avoir discuté avec les Espagnols, ils découvrirent qu'ils n'avaient rien avalé depuis plus de deux jours, expliquant leur état d'intense fatigue. Bertrand récupéra les mûres qu'il avait gardées de côté et les distribua aux pauvres scouts affamés.

Jeannot considéra la situation quelques instants, le regard fixé sur les Espagnols allongés dans l'herbe. L'un d'eux ne pouvait plus avancer et les autres semblaient à bout de forces. Aimé suggéra de s’arrêter le temps qu'ils reprennent des forces. Mais Jeannot avait déjà la réponse en tête : ils devaient manger.

— C'est mort ! Y a trop de fond et pas assez de cailloux, Soupira Bertrand.

Jeannot les convainquit qu’ils devaient de se remettre en chemin jusqu'à trouver un endroit propice à la pêche. Le jeune était tellement affaibli qu'il apparut très vite impossible de le porter tout comme Axel. La réalisation d'un brancard devenait l'unique solution. Bertrand et Aimé se proposèrent. Au bout de quelques minutes, ils revinrent avec deux perches pour pouvoir confectionner la civière. Bertrand ôta sa chemise, Aimé tendit la sienne.

— Ça tombe bien ! Il faut que je soigne mon bronzage, gloussa -t-il.

Bertrand enfila les branches dans les manches des chemises qu'il boutonna, formant ainsi une civière.

— Et voilà ! Le bon vieux brancard scout, jubila Aimé.

— On s'occupe avec Bertrand de porter la chochotte, dit Christophe.

— Arrête de m'appeler comme ça, houspilla Axel.

Jeannot se proposa avec Pierrot de transporter le jeune scout espagnol. Il attrapa l'arrière de la civière, son ami l'avant. Bertrand et Christophe hissèrent le malade dessus.

— Allez, c'est parti ! lança.

Les Espagnols se relevèrent pour les suivre. Jeannot leur fit un signe de tête pour qu'ils les précèdent. Le groupe se remit en marche lentement. Au bout de deux heures, Bertrand qui était à l'arrière les héla :

— C'est bon, on essaye ici.

Mécaniquement, Jeannot avait avancé sans prêter attention à son environnement, hypnotisé par le balancement du brancard à chacun de leur pas. Effectivement, la rivière avait considérablement changé de physionomie : moins profonde, elle était désormais émaillée de rochers émergeant à la surface de l'eau.

Ils déposèrent la civière à l’ombre. Bertrand et Christophe étaient déjà partis dans les taillis récupérer des branches bien vertes. Toute l’équipe se joignit à eux, sous le regard curieux des Espagnols. Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent dans la rivière avec chacun leur harpon. Jeannot aperçut une pierre assez grosse et grimpa dessus pour avoir une meilleure vue. L'eau limpide l’aida dans sa tâche. Non loin de sa position, il repéra des ombres tournoyer autour d’un rocher. Il s'approcha avec précaution. Afin de ne pas les effrayer, il contourna largement la pierre. Arrivé à bonne distance, il leva la lance. Les poissons n’arrêtaient pas de bouger. Il attendit patiemment. Il prit une grande respiration et frappa à l’instant où l'un d'eux passait dans sa ligne de mire. Il resta un moment figé jusqu'à sentir frétiller son harpon. Il sortit la broche de l'eau et vérifia avec satisfaction qu’il avait visé juste. Il se dirigea vers la berge pour déposer sa première prise et retourna vers la zone où il avait attrapé celle-ci.

Après une bonne demi-heure, le nombre de poissons était suffisant pour apaiser la faim de tous.

— Il manque plus qu'un feu et on pourra passer à table, jubila Bertrand en se frottant les mains.

Leurs regards se croisèrent et ils lancèrent presque simultanément :

— Allez, c'est parti !

Ils disposèrent des pierres pour construire un foyer, suivant les enseignements de Francis. Ce dernier leur avait expliqué que les pierres n'étaient pas seulement décoratives, mais qu'elles étaient également utiles pour concentrer la chaleur par réflexion. Lorsque le feu fut allumé, ils posèrent des pierres plates au centre pour y mettre les poissons à cuire une fois les braises bien formées.

— Allez ! Service bois. Qui me file un coup de main ? demanda Bertrand.

Aimé l'accompagna.

Jeannot se dirigea vers la rivière pour se rafraîchir. Il plongea ses deux paumes dans l'eau afin de s'en passer sur le visage. Il resta un instant à observer ce reflet qui miroitait : l'image d'un frêle garçon, sans assurance, responsable malgré lui, d'un grand nombre.

Suis-je réellement à la hauteur pour mener le groupe ?

Il se questionna sur les choix qu'il avait pris jusqu'à présent : étaient-ils sur la bonne direction ? Pourront-ils revenir chez eux ?

Des doutes l'envahirent. Il prit une grande inspiration puis secoua la tête pour chasser ces pensées négatives. Il s'aspergea frénétiquement comme pour se laver de toutes ses incertitudes. Soudain, une main se posa sur son épaule. C'était Pierrot.

— Quoi que tu penses, je n'aurais voulu aucun autre que toi comme chef d'équipe dans cette situation, le rassura-t-il.

Jeannot se retourna pour lui répondre. Tout était clair dans sa tête : la complicité qui les unissait, son soutien de tous les jours, son attitude bienveillante face à son mutisme. Jeannot avait beau ouvrir la bouche, le filtre des émotions s'était à nouveau mis en place.

— Je le sais, lâcha Pierrot simplement pour le libérer.

Jeannot soupira, furieux de ne pouvoir poser les mots.

— Pourquoi perdre du temps à m'expliquer ce que je sais déjà ? conclut Pierrot en l'entraînant vers le reste du groupe.

Bertrand et Aimé revinrent avec des bras chargés de bois mort. Bertrand suggéra de commencer à allumer le feu pendant qu'ils allaient chercher plus de combustible. Christophe acquiesça en disant qu'ils auraient besoin d'une grande quantité de bois et se proposa d'accompagner Bertrand et Aimé. Les Espagnols se joignirent à la collecte.

— Je m'occupe de l'allumer, indiqua Axel. Comme je ne peux pas marcher, au moins je me rendrai utile.

Il déposa quelques feuilles mortes bien sèches et plaça des brindilles fines pour former une sorte de tipi. Puis il ajouta des branches de plus en plus grosses.

— Mince, c'est Christophe qui a les allumettes ! soupira-t-il.

— Tu crois que ça va prendre tout seul ? demanda l'intéressé, de retour, les bras chargés.

— Comme monsieur tortue ne se sépare jamais de sa bosse, je suis bien obligé d’attendre.

— Qu’est-ce que vous feriez sans moi ?

Axel avait exprimé son inquiétude quant au faible nombre d'allumettes dans la boîte, mais Christophe le rassura en lui montrant son Zippo. Les flammes léchèrent les brindilles et le feu prit rapidement. Aimé saisit une branche pour l'ajouter au foyer, mais Bertrand l'arrêta net.

— Malheur ! Tu ne sais pas qu'il ne faut jamais toucher à un feu allumé par un autre scout, s’exclama-t-il.

— Arrête, tu vas tout me pourrir ! grogna Axel en voyant Aimé s'approcher.

— Oh, les gars, vous êtes relous avec ça, dénonça Aimé d'un air dépité.

— Attrape plutôt un couteau. Il y a des poissons qui t'attendent, lui fit remarquer Axel.

— Je vais aller récupérer un peu de sucre, proposa Bertrand. J'ai encore repéré une jolie haie de mûres pas loin.

— Décidément, ce Bébert, un vrai détecteur à glucides, railla Aimé.

— Il faut savoir être observateur si on veut découvrir les trésors que nous offre la nature, lui répondit Bertrand. Et cette phrase, je ne l’ai pas piqué à Francis, moi ! lança-t-il en bombant le torse.

Jeannot lui proposa son aide. Il le conduisit jusqu'à la haie qu’il avait repérée. Les mûres luisantes et charnues paraissaient très appétissantes. Jeannot se baissa pour en attraper une. Au moment où il la porta à la bouche, il se ravisa aussitôt sous le regard récriminateur de Bertrand.

— Non, mais c'était pour voir si tu suivais, bredouilla-t-il.

— Oui c'est ça... faites ce que je dis, mais pas ce que je fais...

Il se releva et préleva les mûres, assez haut pour que l'urine d'un quelconque animal n'ait pu l'atteindre. Ils remplirent le tee-shirt qu’ils avaient apporté avant de rebrousser chemin.

Le feu avait bien démarré et montait déjà à hauteur d'homme. Pendant qu'Aimé et Christophe s'affairaient à nettoyer les poissons, Jeannot s’assit à côté du foyer. Le ballet des langues de feu orangées captivait son attention. Il battit rapidement en retraite, le visage rougi sous l'effet de la chaleur.

Plus tard, les flammes cédèrent la place à de belles braises. Aimé débarrassa les pierres des cendres incandescentes avec une longue branche, afin d’y disposer les truites. Les scouts espagnols l'aidèrent. Une bonne odeur flottait dans l’air, attirant tout le monde. Bertrand prépara un plat de service improvisé, constitué de feuilles vertes à même le sol. Il y posa les poissons. Et, lorsqu’ils purent les attraper sans trop se brûler, ils les distribuèrent.

Pendant qu’ils partageaient ce repas autour du feu, Axel se leva à plusieurs reprises pour changer de place. La fumée l'incommodait.

— Ça ne sert à rien, quand la fumée a pris quelqu’un comme cible, toute résistance est inutile. Tu auras beau te déplacer, elle te poursuivra, se moqua Aimé.

— À chaque fois, c’est pour ma pomme ! se lamenta Axel.

— C’est trop inzuste ! s’écrièrent-ils tous, hilares.

— Au moins, la fumée masquera l’odeur de phoque, car cela fait plusieurs jours qu’on ne s’est pas douché, fit remarquer Bertrand.

Après le repas, le ventre bien rempli, Jeannot s’étala dans l’herbe et s'assoupit.

Pierrot le réveilla en le secouant.

— Allez ! La digestion est terminée !

Jeannot se releva difficilement, les yeux encore mi-clos et la bouche pâteuse. Tous ses coéquipiers s'affairaient autour des Espagnols. Aimé leur faisait passer de l'eau et Bertrand leur distribuait quelques mûres. Jeannot aperçut Christophe à l’écart du groupe. Il s’approcha de lui pour tenter de découvrir une fois pour toutes ce qui le tracassait.

— Alors, bien reposé ? lui demanda Christophe en essayant de masquer un air soucieux.

— Écoute. S’il y a quelque chose qui ne va pas, tu peux compter sur nous.

— Nan, t’inquiète.

— C’est quoi ? C’est Aimé ?

— Mais, non. Ce n’est pas un mauvais bougre. Il adore me taquiner. Il sait que je pars au quart de tour, il en profite.

— C’est quoi alors ?

— Je ne vais pas vous embêter avec ça, surtout en ce moment.

— Oh, les gars ! cria tout à coup Axel.

— Mais tu ne nous embêtes pas ! répondit Jeannot à Christophe, ignorant l’appel d’Axel.

— Oh ! Venez voir ! lança à nouveau Axel.

Christophe se releva et se dirigea vers lui, Jeannot le suivit.

— Regardez ! s’écria Axel. Finalement, ce n'était qu'une petite entorse. Cela ne me fait plus mal.

Il ôta le bandage que lui avait confectionné Pierrot avec le foulard.

— Hé ! Sans bandage, rajouta-t-il, en faisant deux pas.

Au troisième, il poussa un cri, releva le pied si rapidement qu’il en perdit l’équilibre et s’étala de tout son long.

— Quelqu’un aurait une pince à épiler, je me suis planté une écharde, bredouilla-t-il.

— Moi je préconise l’amputation, s’exclama Pierrot.

— Oui, et tu peux même aller jusqu’au cerveau, renchérit hilare Aimé.

— Bein, quoi ? Ça arrive à tout le monde, répondit Axel.

— Non, Axel… répliqua Christophe, dépité. Pas à tout le monde !

Après lui avoir ôté l’épine de son pied, ils décidèrent de partir. Pierrot s’assura que chacun était équipé d'un chapeau ou d'un foulard sur la tête avant de se mettre en route. Pendant qu’ils marchaient, Pierrot s'approcha de Jeannot.

— Y a quelque chose qui ne va pas avec Christophe ? lui demanda-t-il.

— Écoute, je n'arrive pas à lui faire dire ce qu'il cache.

— Tu crois qu'il dissimule quelque chose en rapport avec notre situation ?

— Mais non ! Ce n'est pas ce que je voulais dire. Il y a quelque chose qui le tracasse, mais je n'arrive pas à...

Il s'arrêta net en s'apercevant que Christophe venait de les rattraper. Alors qu’ils entamaient la montée d'une colline, le groupe de tête avait stoppé au sommet. Jeannot accéléra le pas pour voir ce qui se passait. Mais avant même d'avoir le temps de demander, Aimé tendit la main de l'autre côté en signe de réponse.

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