Chapitre 7 - Signes de piste

8 minutes de lecture

Ouvrant peu à peu ses yeux, Jeannot émergea d’un sommeil profond. Pierrot venait de le réveiller pour lui suggérer de partir au plus tôt. Tous ses coéquipiers étaient déjà en train de s'activer. Bertrand et Aimé s’absentèrent pour cueillir quelques mûres, en cas de fringale. Jeannot se rendit à la rivière et se mouilla le visage pour se donner un coup de fouet. Une fois tout le monde prêt à partir, ils mirent le radeau à flot et le poussèrent sur une distance d'une centaine de mètres en ayant de l'eau à mi-cuisses. Peu à peu, le niveau monta. Une fois immergés jusqu'à la ceinture, ils se hissèrent sur l'embarcation. Aimé attrapa la rame d'Axel.

— Laisse, je pagaye et toi, tu surveilles.

— WO ! s’exclama Christophe. Fais gaffe à ne pas abîmer ton hypertrichose palmaire.

— Oh ! Attention ! Monsieur nous fait un accès d'humour...

Après une bonne heure à pagayer, Jeannot ne sentait plus ses bras. Axel rythmait les temps de pause, et cela allait bientôt être son tour. Les flots s'étaient animés depuis quelques minutes, et ils commençaient à entendre le son d'un courant turbulent au loin.

— Ce bruit ne me dit rien qui vaille, s’alarma Axel.

— T'inquiète Calimero. T'es en première position. Tu amortiras le choc si nous nous écrasons contre un rocher, plaisanta Aimé.

— Il serait plus prudent de s'arrêter et d'envoyer un éclaireur, bredouilla-t-il.

— Non, on va perdre du temps, objecta sèchement Christophe.

— Et si nous tombions dans une cascade... Et si nous chavirions dans les rapides... Et si...

— Calimero ! l’interrompit Pierrot. Rame et psychote en silence !

Le courant s'accéléra brusquement, ballottant l'embarcation dans tous les sens. Jeannot se battait avec acharnement pour la maintenir sur la bonne trajectoire, mais les remous se faisaient de plus en plus violents. Soudain, le cri d'Aimé déchira l'air :

— Rochers ! Droit devant !

Jeannot donna tout ce qu'il avait dans les bras, assénant des coups de pagaie désespérés pour éviter l'obstacle, en vain. Le radeau heurta de plein fouet les rochers, stoppé net par la force des flots. Les passagers furent projetés en avant, luttant pour ne pas être précipités dans les eaux tumultueuses. Jeannot tenta de se raccrocher à tout ce qu'il pouvait pour éviter la chute, mais en vain. Il percuta violemment Aimé qui plongea la tête la première dans les rapides. Le déchaînement des flots l'enveloppa, laissant échapper des bulles d'air désespérées. Christophe hurlait le nom d'Aimé, cherchant à tout prix à l'apercevoir. Mais l'écume tumultueuse de la rivière ne leur laissait rien entrevoir. La panique gagna le groupe, qui ne savait plus quoi faire. Soudain, Jeannot distingua la ligne de vie tendue, plongeant dans les flots.

— Il est accroché à la corde ! cria-t-il.

Ils tirèrent de toutes leurs forces. Ses rastas, ondulant sous l'effet du courant, apparurent en premier. Christophe les empoigna et réussit à lui sortir la tête de l'eau. Le reste de l’équipe l'agrippa de toute part et le hissa à bord.

Au moment où Aimé ouvrait la bouche, le radeau se libéra, et comme une toupie, elle se mit à tournoyer dans les remous. Le courant, impitoyable, faisait vaciller l'esquif tel un fétu de paille dans une tempête. Les rochers surgissaient de nulle part, menaçant de broyer l'embarcation à tout instant. Jeannot s'accrocha désespérément à sa rame, tentant de naviguer à travers les tourbillons.

— Là-bas ! hurla tout à coup Bertrand.

Il indiquait un radeau sur le bord. Sans aucun doute celui des Espagnols.

— À gauche toute ! ordonna Christophe.

Ils luttaient pour garder le contrôle du radeau, mais plus ils ramaient, plus les rapides semblaient les aspirer dans leur tourbillon infernal. Lorsqu'ils réussirent à atteindre la berge, l'embarcation percuta des rochers à pleine vitesse. Sous le choc, Axel fut éjecté dans les airs, et atterrit sur la rive. Ils pagayaient désormais à contre-courant tentant de se rapprocher du bord. Le radeau heurta une pierre affleurant à la surface et se mit à tournoyer sans relâche, projetant les membres de l'équipe dans tous les sens. Ils étaient à la merci du courant impétueux, incapable de reprendre le contrôle de l'embarcation. Le radeau s'enfonçait dans de grands creux, puis en ressortait propulsée à une vitesse vertigineuse. Ils s’accrochaient les uns aux autres pour ne pas être expulsés sous l'acharnement des coups de boutoir. Impuissants, ils subissaient la furie des eaux qui les ballottait dans tous les sens.

— Il faut ramer ! Il ne faut rien lâcher ! cria Jeannot, essayant de reprendre le contrôle.

Ils jetèrent leurs ultimes forces dans la bataille. Jeannot tenta âprement d'orienter le radeau vers la berge. Alors qu’ils s’approchaient de celle-ci, Bertrand s'énervait sur un nœud qui liait une des extrémités de la ligne de vie.

Lorsque l'embarcation toucha les rochers du bord, Bébert s'élança et se réceptionna sur la berge. Il se pencha en arrière en maintenant fermement la corde de ses deux mains. Elle se raidit. Ils pivotèrent une énième fois et furent projetés violemment contre les pierres.

— Je ne tiendrai pas longtemps ! hurla-t-il.

À peine avait-il terminé sa phrase, qu’ils avaient déjà tous sautés sur la rive. Ils aidèrent Bertrand à hisser l'embarcation hors de l'eau avant de s’écrouler à terre, vidés.

— Calimero ! s’exclama tout à coup Pierrot.

Ils se relevèrent et se précipitèrent en amont. Ils rejoignirent Axel qui s'accrochait à une pierre.

— Vous en avez mis du temps ! soupira-t-il.

Ce reproche incongru scotcha tout le monde. Ils se dévisagèrent, bouche bée pendant de longues secondes. Finalement, un éclat de rire nerveux brisa le silence et se répandit. Les jambes encore tremblantes, ils s'appuyèrent les uns sur les autres.

— C'est Jeannot qui ne sait pas faire de créneau, lâcha Aimé.

La plaisanterie multiplia la puissance de leurs rires. Mais l'annonce de sa cheville foulée, par Axel, brisa leur euphorie.

— Il ne manquait plus que ça. T'en rates pas une ! s'exclama Christophe.

— En tant qu'assistant sanitaire de l'équipe, moi, je préconise l'amputation, se moqua Pierrot.

— Ah… trop drôle. Je voudrais t'y voir à ma place, pesta Axel.

Bertrand inspecta l'autre radeau. Les scouts espagnols n’avaient rien laissé derrière eux. Leur embarcation était échouée devant un chemin qui s’enfonçait dans la forêt. Ils décidèrent de l’emprunter. Mais Axel, avec sa foulure, ne pouvait plus poser le pied par terre. Christophe et Bertrand se proposèrent pour le porter en faisant la chaise. Mais après quelques mètres, le balancement aviva la douleur du blessé. Pierrot le déchaussa et lui banda le pied à l’aide du foulard pour immobiliser la cheville.

— Moi qui pensais que ça ne me servirait jamais, lâcha-t-il.

Il noua l’extrémité des lacets de la chaussure d’Axel et la lui passa autour du cou, tel un pendentif.

— Un collier sexy en prime, railla-t-il.

— Et un petit parfum d’ambiance pour la route, soupira Bertrand.

Christophe et Bertrand transportèrent de nouveau le blessé. Après une centaine de mètres, le sentier se scindait en deux voies distinctes. Ils s’arrêtèrent ne sachant pas quelle option choisir. Pierrot suggéra malicieusement de faire porter la responsabilité de la décision à Jeannot.

— On passe au vote, répondit ce dernier. Ceux qui sont pour bifurquer à gauche.

Jeannot leva la main. Christophe et Bertrand l'imitèrent. Pierrot avait fait de même, mais s'est ravisé aussitôt.

— Ceux pour prendre le chemin à droite, s'esclaffa Pierrot en levant la main, accompagné par Axel et Aimé. Voilà égalité ! Une bonne chose de réglée. C’est toi qui départages Monsieur le chef d'équipe.

Dépité par le mauvais tour que venait de lui jouer Pierrot, Jeannot, de manière empirique, trancha pour prendre le chemin à gauche, sous le regard moqueur des autres. Après quelques mètres de marche, ils repérèrent des morceaux de bambous sur le sol, qui détonnaient avec la végétation alentour. Ils réalisèrent alors que ces derniers devaient provenir du radeau des scouts espagnols, sans toutefois comprendre comment ils avaient atterri ici.

— Ils sont placés en forme de croix ou c'est moi qui me fais des idées, fit tout à coup remarquer Christophe.

Le reste de l’équipe le dévisagea.

— La croix dans un signe de piste, cela signifie qu'on n'est pas sur le bon chemin, précisa-t-il.

— Man, ils sont sûrement tombés comme ça.

— Ou peut-être pas ! s'emporta Christophe. Je suis persuadé qu'on trouvera une flèche sur l'autre sentier.

— T'as qu'à aller voir, lui suggéra Aimé. Et tu viens nous récupérer ensuite.

— Je porte Axel, je ne peux pas tout faire non plus ! gronda Christophe.

— OK, je vais aller vérifier, proposa Pierrot en revenant sur ses pas.

— Attends, nous y allons tous, répliqua Jeannot.

— C'est bon... Je ne vais pas me paumer !

— Nous ne nous séparons pas. C'est la règle !

Ils firent demi-tour jusqu'au croisement pour prendre l'autre chemin, curieux de voir si Christophe avait raison. Et ce fut le cas. Posés en plein milieu, des bambous formaient une flèche et indiquaient la direction à suivre. Christophe leur lança un sourire en coin, fier de sa découverte.

— Hey man ! Si tu veux, je te porte, s'exclama Aimé. Tu as l'air d'avoir les chevilles aussi enflées qu'Axel...

— C'est ta tête qui va finir par enfler si tu continues à me chauffer, gronda Christophe.

— Quand vous aurez terminé de vous chamailler, on pourra peut-être se remettre en route, s'impatienta Axel.

— Vas-y ! Passe devant, lui répondit Bertrand en mimant de le lâcher à terre.

Guidés par les indices laissés par les précédents scouts, ils continuèrent sur le chemin. Le son d'une cascade se faisait de plus en plus présent. Tout à coup, Pierrot s'immobilisa et colla son index près de son oreille, signe qu'il avait entendu quelque chose. Cependant, seul le bruit de la chute d'eau était perceptible. Au bout de quelques instants, il concéda que son imagination l'avait trompé. Mais alors qu'ils reprenaient leur progression, Jeannot entendit également des cris en provenance d'en bas. Ils répondirent en hurlant aussi fort qu'ils le pouvaient pour signaler leur présence.

— Il faut accélérer, suggéra Jeannot. Ils ne sont plus très loin.

— Ouais, mais pas trop quand même, alerta Christophe. On se trimbale Axel.

— Partez devant, on vous rejoint à notre rythme, proposa Bertrand.

— Non, on vous attend. J'ai dit qu'on ne se séparait pas, se ravisa Jeannot.

— Allez-y ! s’exclama Christophe. Il ne faut pas les laisser filer. Rattrapez-les ! Promis, on ne s’écarte pas du chemin et si on tombe sur une bifurcation, on vous attend.

— OK ! Mais, vous ne vous écartez en aucun cas du chemin.

— Ouais, t'inquiète... répondit Bertrand

— Compris ? Pour aucune raison ! insista Jeannot une nouvelle fois.

— Allez go ! Vous allez finir par les laisser filer là, l'interrompit Christophe.

En dévalant le sentier à toute vitesse, suivis de près par Pierrot et Aimé, ils ne cessèrent de crier pour attirer l'attention. Enfin, ils débouchèrent sur une large esplanade et Jeannot ne put s'empêcher de soupirer de soulagement en apercevant les scouts qu'ils essayaient de rattraper depuis la veille. Mais alors qu'ils se rapprochaient à quelques mètres, Jeannot entendit une vive altercation.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Castor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0