15 Deuxième repas

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Elle me raccompagna chez moi et proposa de rester le reste de la nuit pour assurer ma sécurité. Je voulus jouer au grand garçon en affirmant que je n'étais pas inquiet et que j'allais dormir comme un bébé. Elle ne fit pas de commentaire et partit.

Une fois seul je me dis que loin de paraître « mâle » ma réponse pouvait être prise pour une dérobade et me faire passer pour un dégonflé. Elle avait pris l'initiative du baiser et s'était un peu moqué de moi en insistant sur mon manque d'audace en ce domaine. Alors, dans son esprit cette proposition était-elle à prendre au pied de la lettre ou s'agissait-il d'une perche qu'elle me tendait ? De toute façon j'étais loin d'être aussi serein que je le lui avait laissé croire et je n'avais vraiment pas l'esprit à la bagatelle.

Je me couchais et bien entendu le sommeil se refusa à moi. Ce ne fût qu'au lever du jour que je sombrais dans une semi torpeur qui ne tarda pas à être traversée de cauchemars.

Je passais la journée suivante enfermé chez moi. J'avais beau me dire que j'avais besoin de repos, la vérité était que j'étais terrorisé à l'idée de sortir dans la rue. Je risquais de prendre chaque quidam croisé pour un trafiquant en voulant à ma vie.

En fin d'après-midi Je reçu un appel du lieutenant Dautun me demandant si elle pouvait passer à la maison. Je lui fis remarquer que, d'habitude, elle ne prenait pas autant de gants avec moi. Je sentis à son silence qu'elle ne savait pas comment interpréter ma réflexion alors je me hâtais de la rassurer. Ma maison lui était ouverte.

Je me dépêchais de faire un peu de ménage, notamment dans la cuisine : vaisselle, nettoyage du sol, rangements. Ce fut plus rapide pour le salon. Au dernier moment je pensais à la chambre et la salle de bain. On ne sait jamais.

Cette activité me réveilla de ma torpeur et contribua à me libérer l'esprit. Tout en m'activant je réfléchissais à ce qui pourrait peut être se passer entre nous. En avais-je envie ? Après réflexion je décidais que oui. Certes nos différences de caractère avaient créé une inversion des rôles déstabilisante mais je n'avais pas à m'en plaindre. Avec mon manque de confiance en moi, si elle avait attendu que je me décide nous serions restés sur notre position de départ.

Au delà du badinage pratiqué parfois dans nos discussions j'avais ressenti une vrai émotion lorsqu'elle avait été mise en joue par le trafiquant. Avec la femme et son enfant devant le chantier j'avais eu très peur pour eux et avait réagit en conséquence, mais la nuit dernière j'avais ressentit une vrai panique comme si le monde s’apprêtait à s'effondrer. Ce n'était pas la pensée de ce qui pouvait m'arriver une fois seul sur le terrain mais un déchirement, un nœud au fond de mon ventre comme celui que l'on ressent devant la mort d'un proche. Le sentiment d'une perte écrasante et définitive. Sa présence à mes cotés était devenue naturelle au fil du temps et j'avais été troublé de la voir parfois troublée.

L'appartement étant impeccable, commençait pour moi l'attente. Je tournais en rond dans mon salon, jetais un coup d’œil par la fenêtre et me précipitais dans les autres pièces, persuadé d'avoir oublié un détail qui n'échapperait pas à son regard de fin limier.

Enfin la sonnette de l'interphone retentit. Je me précipitais à sa rencontre. A ma grande surprise elle portait un gros sac de voyage. Un grand sourire se dessina sur son visage devant la stupéfaction qui se lisait sur le miens.

- Vous avez eu l'imprudence de me dire que votre maison m'était ouverte. Je n'ai pas oublié et me voilà.

- Vous... vous voilà ?

- Je viens squatter votre canapé pour au moins cette nuit.

- Je... Bon bon, entrez.

Elle me fit un petit clin d’œil en passant devant moi. Je la suivis à l'intérieur et, par réflexe, verrouillais la porte derrière nous. Cela la fit rire.

- Vous avez peur que je me sauve ?

- Je... Non mais c'est un réflexe. Le soir je m'assure toujours que la porte soit bien fermée.

- Un peu parano ?

- Non, encore que...

Nous rîmes à l'unisson. Je rajoutais :

- Et ce n'est pas ce que nous avons fait hier qui va changer mon état d'esprit. Bien au contraire.

A cette allusion elle redevint sérieuse.

- Je ne vous jetterai pas la pierre et c'est d'ailleurs pour cette raison que je viens vous demander asile. Je n'ai pas envie de me retrouver face à des tueurs en pleine nuit alors autant brouiller les pistes. Vous n'êtes pas connu d'eux donc personne ne viendra me chercher chez vous.

- Au fait je vous ai vu arriver à pied. Où est votre voiture ?

-Sur le parking de mon immeuble. Je suis venue en taxi. Je l'ai pris à trois cent mètres de chez moi et je me suis fait déposer deux rues avant votre maison. Vous voyez que moi aussi je sais prendre des précautions.

- Quand je pense que vous m'avez traité de parano !

Nous nous étions installés comme d'habitude dans le salon, fauteuil pour elle et canapé pour moi. Je lui avait offert un verre, elle avait opté pour une fameuse canette riche en sucre sous l'excuse que sa vie trépidante l’empêchait de le stocker. Effectivement en la regardant on voyait une femme certes forte mais surtout athlétique.

Le sujet de la conversation revint inévitablement sur notre raid et ses conséquences. Elle était bien placée pour suivre de loin l'enquête de ses collègues.

- Le bruit de l'explosion a réveillé le voisinage, Police et pompiers sont arrivés rapidement mais il n'y avait plus rien à faire. Le bâtiment brûlait tellement fort que les pompiers étaient impuissants et se contentaient de contenir les flammes pour qu'elles ne se propagent pas.

- Mais quand nous sommes partis il n'y avait pas d’incendie.

- C'est les trafiquants qui ont du le provoquer pour effacer leurs traces. Mes collègues s'en doutent et envisagent une explosion accidentelle dans un labo clandestin. Ils continuent l'enquête surtout pour essayer d'identifier ces hommes.

- Cela veut dire que de ce coté nous ne seront pas inquiétés ?

- Effectivement.

Je repensais aux corps allongés sur le parking et en particulier à celui de l'homme que j'avais fait voler. Avaient-ils été trouvés par la police ?Je lui posais la question.

- Non, les corps ont disparus. Par contre des traces de sang ont été découvertes sur l'emplacement des deux trafiquants que j'ai abattus.

- Et le mien ?

Je craignais une mauvaise nouvelle mais elle se contenta de hausser les épaules.

- Pas de trace, rien.

Nous restâmes quelques temps silencieux, le temps pour moi d'assimiler toutes ces nouvelles. Soudain le lieutenant Dautun se leva et alla chercher son sac resté dans l'entrée. Elle se mit à fouiller dedans et en sortit triomphalement une bouteille de vin d'Anjou, du Saumur rouge.

- Du vin acheté à la propriété, directement du producteur au consommateur. Vous m'en direz des nouvelles.

Sa présentation spectaculaire me fit sourire.

- Si je comprends bien vous comptez sur moi non seulement pour le gîte mais aussi pour le couvert.

- La bouteille c'est pour me faire pardonner mon sans-gène. Et puis je rêvais de goûter à votre spécialité, vous savez, les fameux petits-poids carottes.

- Vous n'oubliez rien vous ! Bon suivez-moi à la cuisine, je vais m'occuper de ça.

- Je peux vous aider ?

- Surtout pas, où alors mettez la table. Les couverts sont dans ce tiroir, le tire-bouchon aussi, et les assiettes sont en dessous.

Je fouillais dans mes réserves et trouvais le précieux bocal. Je le brandis fièrement.

- Et voilà ! Attention, aujourd'hui j'essaie une nouvelle recette : des petits-poids-carottes-pommes de terre, tout ça en un seul bocal et en salissant une seule poele. J'ai horreur de faire la vaisselle alors pour moi c'est important.

- Si vous voulez je pourrais la faire.

- Quoi ?

- Ben... la vaisselle. Ce n'est pas que j'aime ça mais puisque vous m'invitez si gentiment...

- Pas question, ce soir vous êtes mon invitée alors vous allez vous asseoir sur cette chaise et ne plus en bouger. Bon, bien sûr, si vous « tapez l’incruste » trop longtemps on réexaminera tout ça.

Nous rîmes de conserve.

Par accord tacite nous évitâmes de reparler de notre soirée sur les docks, préférant nous découvrir l'un l'autre à travers de petits détails de la vie de tous les jours, le dernier film vu ou livre lu ou musique écoutée par exemples. Le vin excellent qu'elle avait apporté contribuait à l'ambiance décontractée. Évidemment je ne m'étais pas contenté de mon bocal et avait complété le menu du jour en piochant dans mes réserves. A la fin du repas elle me fit des compliments d'une manière inattendue.

- Vous cuisinez bien mieux que moi. Je devrais vous épouser.

Je ne m'attendais pas du tout à ça et restais muet de stupéfaction, ce qui l'amusa beaucoup.

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